Par: Juanita Bawagan
30 Oct, 2017
Joelle Pineau, Boursière principale, crée de nouveaux algorithmes chaque semaine et il était tout indiqué qu’elle partage une telle recette au profit de la révolution de l’IA au Canada, lors de la conférence ICRA-Massey, tenue le 23 octobre dernier.
« Pour favoriser la réussite de la révolution de l’IA, quelques ingrédients me viennent à l’esprit », dit Pineau. Les voici : données, infrastructures informatiques, connaissances spécifiques à un domaine d’étude, algorithmes et architectures d’apprentissage efficaces, et équipes de scientifiques talentueux.
« Afin de progresser, tous les ingrédients doivent être en alignement », dit Pineau, codirectrice du laboratoire de raisonnement et d’apprentissage de l’Université McGill et directrice du laboratoire de recherche en IA de Facebook à Montréal.
Dans les années 1990, Pineau terminait son doctorat à l’Université Carnegie Mellon à Pittsburgh. Elle se souvient que des chercheurs étaient déjà en train de mettre au point des voitures autonomes. On dit qu’un prototype aurait roulé de la côte est à la côte ouest, mais il avait plutôt « simplement suivi la ligne blanche » sur des tronçons en ligne droite de l’autoroute.
Bien que la recherche en IA a commencé dans les années 1950, les grandes percées n’ont vu le jour que récemment. La transition d’une méthode « programmatique » à une méthode « démonstration et explication » est à l’origine de ces avancées. Maintenant, les scientifiques n’ont plus à programmer des pages d’instructions. Ils doivent plutôt montrer à la machine comment prendre des décisions et lui permettre d’apprendre pour arriver à ses propres conclusions. Ce processus, appelé apprentissage profond, aurait été impossible sans d’énormes ensembles de données et sans la puissance de calcul nécessaire au traitement de ces données.
L’apprentissage profond a mené à de grandes percées en vision artificielle et en reconnaissance de la parole, ainsi qu’à d’importantes répercussions dans de nombreux domaines, comme la conduite autonome et les robots de recherche, telle Alexa.
« Nous parlons de révolution, car l’impact de la technologie cognitive artificielle se fait sentir dans de nombreux secteurs différents de l’économie et de la société », dit Pineau.
Voilà où entrent en jeu les « connaissances spécifiques à un domaine d’étude ».
Pineau s’intéresse tout particulièrement aux applications d’IA en soins de santé. Actuellement, son laboratoire travaille avec des neuroscientifiques de renom pour explorer de meilleures façons de traiter l’épilepsie. Une crise épileptique se produit quand les signaux cérébraux se synchronisent et causent une hyperstimulation. Un des traitements a recours à la stimulation électrique en temps réel pour perturber les signaux responsables de la crise. Par l’entremise de l’apprentissage par renforcement, les chercheurs tentent de perturber ces signaux cérébraux en utilisant le moins d’impulsions électriques possible à la plus petite intensité possible. Ils étudient actuellement ce concept dans des modèles animaux, mais cette approche fondée sur l’IA pourrait se révéler utile pour un certain nombre de maladies humaines complexes, comme le cancer, le diabète et les troubles du sommeil.
Finalement, les chercheurs constituent l’ingrédient le plus important pour la réussite de la révolution de l’IA.
« Au Canada, nous avant la chance d’être à l’avant-plan de cette révolution. Nous sommes aux premières loges à observer ce qui se passe, car nous comptons parmi nos rangs certains des chercheurs de pointe du domaine, comme Geoff Hinton, Yann LeCun, Yoshua Bengio et, bien sûr, la grande population d’étudiants diplômés que ces chercheurs ont formés au fil des ans », dit Pineau.
Pineau a bon espoir que la prochaine génération de chercheurs maintiendra l’élan de la révolution de l’IA qui émane de l’industrie et des laboratoires de recherche. Toutefois, la formation d’un nombre suffisant de chercheurs constitue l’un des plus grands défis pour répondre à la demande provenant de tous les domaines.
Ce défi a refait surface lors de la discussion entre Pineau et les jeunes boursiers Massey. Elle qualifie la pénurie de chercheurs de plus gros « goulot d’étranglement » dans la communauté de recherche en IA. Non seulement faut-il plus de chercheurs, mais il faut une plus grande représentativité de personnes.
« En tant que femme en technologie, voilà un thème qui a été présent tout au long de ma carrière. On dit qu’une grande partie du travail des chercheurs est de choisir les bonnes questions à poser. Et quand nous choisissons une question, nous orientons le programme de recherche », dit Pineau.
« Si un segment restreint de la population pose toutes les questions menant à la création de technologies, alors nous aurons possiblement un éventail très restreint de technologies. »