FAVORISER UNE TERRE RÉSILIENTE
La « bombe de carbone » qui se cache sous terre
Par : Liz Do et Alison Rutka
le 24 octobre 2023
Les effets des changements climatiques se font sentir à l’échelle mondiale à un rythme alarmant. Le CIFAR est à l’avant-garde de la lutte contre ce phénomène. Cette série spéciale, Favoriser la résilience de la Terre, examine comment la communauté du CIFAR — par-delà les frontières, les rôles et les disciplines — a un impact significatif sur la concrétisation de changements importants.
Découvrez comment les études sur les microorganismes émetteurs de carbone que mène Jacqueline Goordial, membre du CIFAR, pourraient ralentir le dégel rapide du pergélisol.
Photo : Josh Fee
Jacqueline Goordial, membre du programme des chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli au sein du programme Terre 4D : Science et exploration du sous-sol, se souvient de sa dernière visite dans l’Arctique canadien. Avec son équipe, elle a survolé en hélicoptère une vaste zone de pergélisol qui dégèle à une telle vitesse que les contours de sa structure s’affaissent, comme si un géant avait pris une bouchée du sol sous la surface.
Une fois à terre, l’équipe s’est aventurée dans la toundra, parfois de la boue jusqu’aux cuisses, et a enfoncé profondément ses instruments dans le pergélisol, à côté d’une veine de glace millénaire, pour mesurer les niveaux de méthane s’échappant du sol gelé.
Le lendemain, ils sont revenus pour constater que le front de dégel du pergélisol avait fondu, emportant leurs instruments.
« Cela s’est passé en moins de 24 heures, explique Goordial. Il s’agit d’une structure gelée depuis des milliers d’années, mais nous l’avons vu s’éroder en temps réel, centimètre par centimètre, en l’espace d’une journée. »
L’érosion rapide du pergélisol est l’un des nombreux exemples alarmants des effets des changements climatiques, qu’il s’agisse du retrait des glaciers, de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, de l’aggravation de la pénurie alimentaire ou de l’élévation du niveau des mers.
Les travaux de Goordial portent sur la persistance de la vie microbienne dans des environnements souterrains extrêmes comme le pergélisol, la croûte océanique et les sédiments marins.
Bien que Goordial n’ait pas pu récupérer ses instruments, son équipe a réussi à recueillir des données sur le méthane dans l’Arctique canadien.
« Nous installons des enceintes dans la face du pergélisol et nous constatons entre autres que ces éléments d’érosion rapide libèrent instantanément du méthane, explique Goordial. Il y a beaucoup de vieux carbone gelé. »
La fonte rapide du pergélisol libère le méthane piégé par les microorganismes souterrains. Le méthane est 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2) pour piéger la chaleur dans l’atmosphère et finit par se lier à l’oxygène pour créer du CO2.
Le pergélisol de l’hémisphère nord piège actuellement environ 1 700 tonnes de carbone, dont du méthane et du CO2. Dans un article publié en mars 2021 dans Nature sur les effets du dégel du pergélisol, les climatologues expliquent que la disparition du pergélisol pourrait déclencher une « bombe de carbone » massive.
Comment le CIFAR vous aide-t-il à mener des recherches pertinentes pour lutter contre les changements climatiques?
« Grâce au CIFAR, j’ai eu l’occasion d’apprendre comment interagir avec les décideurs politiques, comment freiner la désinformation et comment amorcer un dialogue avec les médias par des articles d’opinion. Il s’agit d’outils auxquels je n’aurais pas eu accès autrement, mais qui m’aideront à veiller à ce que le travail que je fais et que d’autres font dans le domaine ait un impact sur le monde réel, au-delà des articles universitaires. »
En haut à gauche et à droite : Jacqueline Goordial prend des mesures d’un effondrement lié au dégel dans les Territoires du Nord-Ouest. De tels effondrements se produisent lorsque le pergélisol se dégrade rapidement, créant un glissement de terrain lorsque le sol dégèle et se transforme en boue. Le « mur » sur les photos est constitué de pergélisol gelé, et des veines de glace sont visibles.
À droite : Jacqueline Goordial et un stagiaire diplômé procèdent au forage de la partie dégelée du sol dans le pergélisol. Ils utilisent cette technique pour récupérer une carotte d’environ 3 mètres.
Photos reproduites avec l’autorisation de la chercheuse.
« Lors du dégel, nous craignons notamment qu’une partie de ce carbone devienne disponible pour les microorganismes qui sont passés d’un état de congélation à un état plus chaud. Ensuite, par leur propre métabolisme, ces microorganismes convertiront ce carbone en davantage de gaz à effet de serre », explique Goordial.
Bien que les microorganismes aient la capacité mortelle de produire davantage de gaz à effet de serre, Goordial estime qu’ils pourraient bien faire partie de la solution aux changements climatiques.
« Les microorganismes peuvent en fait absorber et séquestrer le méthane, fait-elle remarquer. Ils pourraient contribuer à atténuer l’ampleur des émissions de méthane. Notre laboratoire tente de trouver un équilibre entre les microorganismes mangeurs de méthane et les microorganismes producteurs de méthane, ainsi que de déterminer les conditions favorables à un type de microorganisme plutôt qu’un autre. »
L’un des grands objectifs de Goordial et de son équipe est de comprendre les conditions qui permettent d’exploiter les capacités de piégeage du carbone des microorganismes, car cela leur permettrait de mieux comprendre comment créer des « puits de méthane nets » (zones où les microorganismes piègent le méthane) dans différents contextes géologiques. Sans ces connaissances fondamentales, il sera difficile d’établir des bilans carbone qui tiennent compte des véritables émissions naturelles, limitant ainsi notre capacité en tant que société à fixer des objectifs pertinents en matière d’émissions de carbone.
Bien que pour Goordial les réalités des changements climatiques dans l’Arctique canadien semblent parfois redoutables à surmonter, elle garde espoir que ses contributions, et celles d’autres membres du CIFAR, apporteront des changements positifs.
« Les changements climatiques constituent l’un des problèmes les plus urgents de notre époque, déclare Goordial. J’ai l’impression d’avoir l’occasion, grâce à mes compétences et à mes connaissances intellectuelles, de contribuer modestement à une meilleure compréhension du problème. Je contribue à repousser les frontières de la science pour l’humanité, et à faire avancer la recherche. »
Joignez-vous à nous pour relever l’un des plus grands défis de notre époque en soutenant le fonds Terre résiliente. Votre contribution permet à des scientifiques de pointe de jeter des ponts entre les disciplines et les situations géographiques pour poser les bases des solutions de demain.