Par: Kathleen Sandusky
14 Nov, 2024
À l’heure où le monde compose avec les répercussions potentielles de l’IA sur le marché du travail, quelles sont les solutions de rechange viables au processus de conception et de décision entourant les données et l’IA pour éviter que ces technologies ne servent à supplanter la main-d’œuvre et à dévaloriser son travail? Telle est la question au cœur de Communautés de données favorisant l’inclusion (CDFI), le premier Réseau de solutions dont la création a été rendue possible grâce au soutien financier du CIFAR.
Récemment, CDFI a mis en ligne un ensemble de ressources partagées qui reposent sur l’expérience de la SEWA (Self-Employed Women’s Association), une fédération de coopératives détenues et exploitées par des travailleuses issues d’économies parallèles de l’Inde.
« Nous tentons de renverser le discours selon lequel l’IA serait un remède miracle aux problèmes de productivité et de prospérité économique – un discours imposé d’en haut par les valeurs et les décisions d’une poignée de personnes qui détiennent le pouvoir, affirme Revathi Kollegala, membre de CDFI et mentore technologique à la SEWA. Nous travaillons plutôt avec nos partenaires pour voir comment les pratiques qui sous-tendent la gouvernance et l’organisation des initiatives communautaires et des coopératives à l’échelle mondiale peuvent nous orienter vers un cadre complètement différent pour la conception et la prise de décisions entourant l’IA : un cadre plus équitable et démocratique centré sur l’importance des droits et du bien-être des travailleurs et travailleuses.
Le site Web de CDFI, développé grâce au soutien financier du CIFAR, est la clé pour comprendre la stratégie du Réseau. Fonctionnant comme un centre de ressources collaboratif en libre accès, il comprend une « boîte à outils communautaire » qui propose du contenu, des guides et des études de cas. Ceux-ci montrent comment les principes de longue date de la gouvernance coopérative peuvent être appliqués à la conception et à l’utilisation de l’IA dans diverses situations, indépendamment du secteur et des pratiques.
Parmi les ressources proposées sur le site, un rapport corédigé par Salonie Muralidhara Hiriyur, membre du Réseau, décrit la manière dont les Centres de facilitation de l’agriculture exploités en partenariat par deux coopératives agricoles détenues par des femmes en Inde ont contribué à limiter les perturbations causées par la pandémie de COVID-19. « Les associations ouvrières s’étaient déjà imposées comme de solides systèmes de gouvernance et de participation formés pour pallier les défis et les risques liés à l’agriculture, explique Salonie Muralidhara Hiriyur. En intégrant de nouvelles technologies telles que WhatsApp aux systèmes hyperlocaux de communication et de partage d’information fournis par les Centres, les associations ont pu réduire l’instabilité qu’ont connue leurs membres pendant la pandémie. Il s’agit selon nous d’un exemple d’innovation qui est déjà bien intégré dans les associations ouvrières et qui peut être transposé pour atténuer les chambardements que causent déjà les effets de l’IA sur les économies locales. »
« Il est extraordinaire de voir que les membres de SEWA et d’autres coopératives mondiales s’approprient les technologies de données afin de remédier aux préjudices et aux exclusions que les technologies dominantes représenteraient sinon pour leurs travailleuses-exploitantes », renchérit Revathi Kollegala.
Ces possibilités sont loin de se limiter au secteur indien de l’agriculture, fait valoir l’équipe à l’origine de CDFI. Ces modèles, précise-t-elle, peuvent être mis à profit par les collectivités de presque tous les secteurs et pays. Et les équipes de développement technologique peuvent s’inspirer des pratiques démocratiques des coopératives en ce qui a trait à l’organisation du travail et à la prise de décisions afin de créer une IA plus équitable.
« Nous proposons cette boîte à outils en libre accès afin que d’autres puissent l’adapter et la réutiliser dans leurs propres contextes et communautés. Et nous serions ravis d’y inclure leurs ressources et approches, affirme Colin Clark, codirecteur de CDFI et cofondateur de la coopérative canadienne de travailleurs et travailleuses Lichen Community Systems. Lorsqu’on aide les personnes les plus touchées par les technologies d’IA à s’approprier leur conception pour mieux les orienter et décider de leur utilisation, on réduit le risque de préjudices systémiques et on ouvre la voie à des innovations plus équitables présidées par ceux-là même qui, trop longtemps, ont été exclus de la sphère du pouvoir. »
L’approche de CDFI se démarque en ceci qu’elle se détourne des méthodes traditionnelles de consultation et de mobilisation pour favoriser une conception menée par les acteurs locaux – ce qui constitue une meilleure pratique de gouvernance émergente en matière de développement et de déploiement de l’IA.
« L’objectif premier du CIFAR a toujours été de réunir et de mobiliser les plus brillants cerveaux de la planète dans toutes les disciplines et à tous les stades de leur carrière, pour faire progresser les connaissances transformatrices et résoudre, ensemble, les plus grands problèmes de l’humanité », déclare Elissa Strome, directrice exécutive de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA du CIFAR. Le travail de Communautés de données favorisant l’inclusion est un bel exemple de cette mission, car il réunit des personnes dotées d’une formidable expertise technologique et des personnes qui connaissent à fond les principes de la prise de décision collective, de la cocréation et de l’inclusion. Mais peut-être surtout, ce groupe redéfinit la norme en matière de déploiement collaboratif et responsable de l’IA en faisant intervenir les utilisateurs et utilisatrices qui possèdent une connaissance du domaine et des idées d’une valeur inestimable pour la définition et l’atteinte des objectifs collectifs. Il s’agit d’un projet enthousiasmant, et je suis impatiente de voir le réseau CDFI poursuivre sa croissance. »
CDFI est passé cette année à un modèle autosuffisant basé sur l’infrastructure et les outils du programme triennal financé par le CIFAR dans le cadre de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA. L’équipe prévoit de développer sa plateforme et ses outils grâce à ses efforts collectifs et au partage continu des connaissances. « La clé de cette croissance et du partage des connaissances sera la participation et la contribution des personnes déjà impliquées dans des organisations collectives un peu partout dans le monde, explique Colin Clark. Nous invitons les gens à nous faire part de leurs idées et de leurs expériences en utilisant le lien sur le site. »