Par: CIFAR
13 Déc, 2018
Cette étude propose une nouvelle compréhension de la citoyenneté et de son pouvoir dans les pays occidentaux. Au moyen d’une recension rigoureuse des écrits, d’une analyse d’études de cas et d’une recherche ethnographique, l’article présente la citoyenneté comme une médiatrice entre les demandeurs de droits et leur société, et propose en outre que la citoyenneté constitue probablement un atout pour les immigrants en quête d’inclusion. Cette façon d’étudier la citoyenneté offre un nouvel ensemble d’outils pour analyser comment la politique d’immigration et le militantisme, en particulier aux États-Unis, pourraient évoluer dans un proche avenir.
L’étude de la citoyenneté est importante pour les sociétés contemporaines, car la citoyenneté est liée aux notions de mérite dans les pays occidentaux. En théorie, nous attribuons des droits à des groupes de personnes si nous estimons qu’ils le méritent — le succès des mouvements des droits civiques et de la justice sociale dépend de cette dynamique. Comme les citoyens, en théorie, sont vus comme étant plus méritants que les non-citoyens, on s’attendrait à ce qu’ils aient un accès prioritaire à certains droits, comme le logement ou les soins de santé, deux déterminants importants du bien-être de la personne. Toutefois, les experts sont en désaccord en ce qui concerne cette théorie de la citoyenneté. Pour certains chercheurs, la citoyenneté est une « promesse creuse », car elle offre peu aux citoyens qui ne correspondent pas aux idées conventionnelles qu’on se fait de l’apparence ou du comportement d’un citoyen. Pour d’autres chercheurs, les droits de la personne font perdre sa pertinence à la citoyenneté, car ces droits s’étendent à tous les êtres humains. Les deux camps avancent que la citoyenneté, en fin de compte, n’a pas d’importance.
Si ceux qui critiquent la citoyenneté ont raison, il émane de cette distinction un phénomène intéressant à expliquer. Comparativement à la résidence permanente, l’obtention de la citoyenneté est en corrélation avec des niveaux plus élevés de participation citoyenne, d’inclusion socioéconomique, d’identification nationale et d’intégration sociale. Bloemraad n’était pas convaincue qu’il y avait un lien entre cette augmentation et les droits fondamentaux accordés par la citoyenneté officielle, comme le droit de vote. Cette étude a examiné la question plus en profondeur pour cerner des processus sociologiques sous-jacents qui améliorent les effets de la citoyenneté officielle sur les immigrants.
Bloemraad a émis l’hypothèse que lorsque les immigrants présentent une demande de citoyenneté, il s’ensuit un processus en deux volets. Premièrement, les citoyens existants et ceux qui ont un pouvoir institutionnel débattent de ce que cela signifie d’être citoyen dans leur pays. Deuxièmement, le public décide si un groupe particulier de demandeurs répond à la définition convenue. Si le groupe réussit à surmonter cet obstacle, ses revendications fondées sur les droits se voient légitimées pour deux raisons importantes. D’abord, les revendications fondées sur les droits font appel à l’« idéal normatif » occidental de l’égalité, et les décideurs politiques ne peuvent généralement pas ignorer les revendications d’inégalité, telles que la citoyenneté de seconde classe. Ensuite, en revendiquant des droits sur la base de la citoyenneté, les immigrants peuvent puiser dans le pouvoir de la « solidarité fermée sur un groupe ». Cela signifie que lorsque les citoyens défendent les droits d’une personne qui fait partie de leur propre groupe, ils défendent aussi les droits qu’ils partagent avec cette personne.
Toutefois, il y a des limites au pouvoir des revendications et Bloemraad qualifie de « mobilisation structurée » la capacité limitée des immigrants à faire des revendications fondées sur les droits. La portée des demandes fondées sur les droits que les immigrants présentent avec succès est limitée par les institutions juridiques et les contrôles gouvernementaux qui séparent les citoyens des non-citoyens. Par exemple, alors que les militants peuvent protester et défendre les droits des immigrants, le gouvernement a le pouvoir d’éliminer le financement associé à leur cause, d’emprisonner les militants ou même de les déporter. Bloemraad indique en outre qu’il n’y a aucune garantie que le message des militants fera écho sur le plan des revendications auprès du public. Les notions de citoyenneté dans un pays peuvent être biaisées en faveur de certaines caractéristiques ethniques, de valeurs religieuses et de comportements qui peuvent se révéler très différents de ceux qu’affichent certains groupes d’immigrants, et cela peut affaiblir le pouvoir des revendications fondées sur les droits. Selon Bloemraad, c’est la raison pour laquelle il pourrait être plus efficace d’étudier la citoyenneté à l’aide d’une approche axée sur les limites.
Bloemraad a mis au point le concept de « citoyenneté en tant que médiatrice de revendications » à l’aide d’une combinaison de méthodes, y compris une recension des écrits majeurs sur les théories de la citoyenneté, des études ethnographiques, des entrevues et des études de cas sur les caractéristiques et le fonctionnement de la citoyenneté. Bloemraad a ensuite formulé une théorie de la citoyenneté qui saisit à la fois son « état » et ses « actions », et leur effet sur la légitimité perçue des revendications fondées sur les droits.
Les résultats de Bloemraad selon lesquels la citoyenneté officielle revêt de l’importance ont des répercussions majeures sur la façon dont les sociologues et autres experts pourraient rehausser leur compréhension de la citoyenneté. Premièrement, le recours à des méthodes mixtes est sans doute une bonne façon d’en apprendre beaucoup sur la citoyenneté. Les enquêtes quantitatives sont susceptibles de faire la lumière sur la façon dont les citoyens de naissance définissent et valorisent la citoyenneté dans un pays donné; la recherche qualitative, en revanche, peut analyser comment les revendications fondées sur les droits trouvent un écho auprès des citoyens de naissance. Deuxièmement, les chercheurs ont besoin d’une nouvelle méthode pour expliquer les distinctions sociologiques, comme la citoyenneté. Cela englobera un vaste éventail de critères de citoyenneté, comme ce que l’on observe dans le contexte américain où la citoyenneté a été définie au fil du temps en termes juridiques, culturels et comportementaux. L’examen de la citoyenneté en tant que médiatrice de revendications permettra aux chercheurs et aux décideurs de comprendre la citoyenneté au-delà de théories fondées sur le statut et des théories performatives.
Theorising the power of citizenship as claims-making. I. Bloemraad, Journal of Ethnic and Migration Studies, 4-26 (2018).