Par: Cynthia Macdonald
30 Mai, 2019
Grâce à une meilleure compréhension du mécanisme par lequel les mutations génétiques mènent à des tumeurs, la Chercheuse mondiale CIFAR-Azrieli Hannah Carter ouvre la voie à des diagnostics et à des traitements plus efficaces et personnalisés.
Une seule copie défectueuse d’un gène transmise par nos parents peut nous prédisposer au cancer. Toutefois, le mécanisme précis par lequel les mutations génétiques mènent à la survenue d’un cancer et à son évolution demeure un mystère, particulièrement en ce qui concerne les interactions entre les mutations germinales héréditaires et les mutations somatiques acquises.
Hannah Carter
Hannah Carter, Chercheuse mondiale CIFAR-Azrieli de la cohorte de 2017, et biologiste computationnelle et professeure adjointe de médecine à l’Université de la Californie à San Diego, se penche sur cette question. À l’aide de bases de données gigantesques, d’algorithmes et d’outils logiciels de pointe, elle explore comment les tumeurs apparaissent à l’échelle moléculaire.
« En saisissant mieux la constitution génétique et le risque d’évolution d’une tumeur, dit Carter, nous pouvons prédire non seulement la probabilité de survenue d’un cancer au cours de la vie, mais aussi peut-être le siège du cancer dans l’organisme, ou bien sa virulence ou son indolence. De la sorte, nous pourrons procéder à un dépistage plus éclairé. »
Dans un article important publié en 2017 dans Cancer Discovery, Carter et son équipe ont analysé plus de deux millions de variantes génétiques héréditaires associées au cancer dans 10 000 génomes de patients dans le cadre du programme The Cancer Genome Atlas (TCGA), un programme marquant sur la génomique du cancer lancé en 2006. Les chercheurs ont réussi à repérer plus de 400 variantes qui suggéraient où et comment une tumeur maligne pourrait évoluer.
« En saisissant mieux la constitution génétique et le risque d’évolution d’une tumeur, dit Carter, nous pouvons prédire non seulement la probabilité de survenue d’un cancer au cours de la vie…»
Les données recueillies par le TCGA ont marqué le début d’une nouvelle ère pour la recherche sur le cancer. « Nous disposons maintenant de toutes ces couches de données différentes à examiner et à étudier ensemble. Il s’agit d’une ressource d’une richesse incroyable qui est sans égal », affirme Carter.
Pendant trop longtemps, la recherche sur les traitements anticancéreux a souffert d’une approche « à taille unique ». Les essais cliniques comptent relativement peu de patients et, parmi ceux-ci, seule une petite minorité pourrait en retirer des avantages, car l’effet de la constitution génétique particulière des patients n’est pas pris en compte.
La venue de l’oncologie moléculaire a tout changé. Des traitements ciblés, comme les anticorps monoclonaux et l’immunothérapie peuvent maintenant modifier la fonction cellulaire de façon très particulière. Dans certains cas, les résultats ont été spectaculaires : même des gens aux prises avec une maladie métastatique avancée ont vu leurs tumeurs régresser rapidement.
Mais il y a encore place au progrès. Selon Carter, « les tumeurs constituent des adversaires de taille, car elles finiront au bout du compte par résister à tout traitement. Conséquemment, il nous faut être encore plus judicieux et continuer à déployer des efforts pour mieux les comprendre ».
Les deux dernières années ont été riches en événements pour le laboratoire de Carter. En plus de révéler des indices sur le mode d’interaction du génome germinal et du génome somatique dans le processus cancéreux, elle a élucidé avec ses collègues d’importantes questions sur la façon de stimuler le système immunitaire afin qu’il puisse lutter plus efficacement contre la propagation des cellules tumorales.
« Je me suis découvert une profonde passion pour la génétique et le fondement moléculaire de la maladie… »
Quoiqu’experte en apprentissage automatique et en génétique, Carter, originaire du Kentucky, a commencé sa carrière en tant qu’ingénieure électrique. (« J’ai pris un sérieux virage à un moment donné », ironise-t-elle.) Au départ, comme elle pensait vouloir mettre au point des neuroprothèses, elle s’est inscrite à un programme à l’Université Johns Hopkins qui lui a permis de suivre des cours de première année de médecine.
« Je me suis découvert une profonde passion pour la génétique et le fondement moléculaire de la maladie, j’ai donc changé d’orientation et me suis jointe à un laboratoire qui faisait de la biologie moléculaire computationnelle », dit-elle. Son expérience en génie s’est révélée extrêmement utile lors de l’apprentissage de compétences en apprentissage automatique et en modélisation computationnelle.
À l’heure actuelle, affirme Carter, le plus grand défi dans son champ d’études est de recueillir les données nécessaires pour réaliser de très grandes découvertes dans le domaine du cancer. Beaucoup de données ont été recueillies, mais il en faut encore beaucoup plus. Grâce aux bons outils, les chercheurs seront prêts à réaliser d’extraordinaires percées dans les années à venir.
« Je crois que c’est un moment vraiment très emballant pour la recherche sur le cancer, dit-elle. La multitude de publications et d’études est intimidante – c’est presque impossible de rester au fait des écrits scientifiques. Mais nous avons fait beaucoup de progrès dans notre compréhension du développement des tumeurs sur le plan mécanique. Nous avons commencé à mettre au point des stratégies pour tenter d’intervenir directement dans ce développement et personnaliser d’autant plus le traitement anticancéreux. »