Par: Alan Bernstein
18 Juin, 2019
Alan Bernstein prononce une allocution à l’intention des nouveaux diplômés de l’Université de Toronto et de l’Université Western à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes
La transcription du discours prononcé le 11 juin 2019 à l’Université de Toronto se trouve ci-dessous. L’allocution faite par Alan fBernstein le 13 juin 2019 à l’Université Western était une adaptation de ce discours.
Chancelier Patton, président Gertler, principal Keil, vice-rectrice Moran et doyenne Ratcliffe, diplômés de la promotion 2019 du Collège Innis et du Collège Trinity, fiers parents, mesdames et messieurs.
Je suis profondément honoré de prononcer cette allocution à l’intention des diplômés de la promotion 2019 du Collège Innis et du Collège Trinity. Je sais à quel point vous avez travaillé fort pour obtenir votre diplôme. Alors je tiens à vous féliciter, chers diplômés de la promotion 2019.
Mais je réserve mes plus grandes félicitations à vos parents. Pour eux, cette journée symbolise de nombreuses choses : il s’agit d’un autre grand pas vers la réalisation de leurs rêves pour vous, et d’un immense pas vers votre indépendance (et peut-être un jour vers le remboursement de tous ces frais de scolarité).
Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de la promenade que je fais pour me rendre au travail. Quand je marche jusqu’aux bureaux du CIFAR dans l’édifice MaRS, je croise trois plaques historiques commémorant les contributions transformatrices d’un politicien et diplomate, d’une informaticienne et de deux spécialistes du cancer. J’aimerais vous parler un peu de chacun d’eux et des leçons que nous pourrions tirer de leur expérience de vie.
La première plaque que je croise rend hommage à Lester Pearson, ancien ministre des Affaires étrangères et premier ministre du Canada. Pearson a reçu le prix Nobel de la paix en 1957 pour ses nombreuses contributions à la paix, y compris sa contribution à la résolution de la crise du canal de Suez en 1956. À l’époque, l’Assemblée générale des Nations Unies avait mis de l’avant une résolution sans mordant qui visait à pousser les Britanniques, les Français, les Israéliens et les Égyptiens à mettre fin aux combats immédiatement.
Pearson a reconnu que la résolution ne comportait aucune disposition pour résoudre le problème. Il a alors proposé la création d’une force internationale de maintien de la paix, la Force de paix des Nations Unies, qui a joué un rôle déterminant pour éviter une crise internationale, au plus fort de la Guerre froide.
Pearson a grandi au nord de Toronto où son père était ministre méthodiste. Il a obtenu son diplôme à l’Université de Toronto où il a excellé en rugby et en basketball et, plus tard, à l’Université d’Oxford, en hockey. Il a servi pendant la Deuxième Guerre mondiale, y compris dans la Royal Flying Corps et il a survécu à l’écrasement de son premier vol de formation en pilotage!
La deuxième plaque que je croise commémore Beatrice Worsley, l’une des toutes premières femmes informaticiennes. Worsley, décédée en 1972 (la même année que Lester Pearson), a fait l’école à la maison au Mexique et a ensuite fréquenté la Brown Public School et la Bishop Strachan School, avant d’étudier à l’Université de Toronto. Elle a terminé première de classe en 1944 en mathématiques et en physique, et s’est engagée ensuite dans les Forces armées canadiennes. Elle a été affectée au NCSM Conestoga et a réalisé des recherches dans le domaine de la défense.
Après la guerre, elle a étudié au MIT où elle a décroché une maîtrise en informatique. Elle est revenue au Canada pour assumer un poste au Conseil national de recherches et, comme Pearson, elle est devenue chargée de cours à l’Université de Toronto au sein du département d’informatique naissant. Elle est alors allée à Cambridge, en Angleterre, et elle y a poursuivi des études – elle est devenue la première femme à recevoir un doctorat en informatique.
La troisième plaque que je croise est dans l’édifice de MaRS et commémore la découverte des cellules souches dans les années 1960 par Ernest McCulloch et Jim Till. Il se trouve que je connais bien Jim Till, car il était mon directeur de thèse au doctorat et qu’il a été mon massier dans la procession universitaire aujourd’hui. Jim est né et a grandi sur une ferme au nord de Lloydminster, en Saskatchewan. Ses recherches avec McCulloch, pour citer la mention quand ils ont reçu le prestigieux prix Lasker des États-Unis, « … sont devenues le fondement d’un vaste effort qui a permis d’expliquer pourquoi la greffe de moelle osseuse fonctionne chez les patients atteints de diverses formes de cancer, d’anémie et d’autres maladies. »
Alors qu’ont en commun Pearson, Worsley et Till, hormis le fait que je les croise en me rendant au bureau?
Premièrement, ils sont tous Canadiens.
Deuxièmement, ils viennent d’une famille aux origines modestes.
Troisièmement, ils sont tous diplômés universitaires.
Quatrièmement, ils ont changé le monde.
Et cinquièmement, et c’est important, ils ont changé le monde, mais ils n’ont pas travaillé seuls.
Ils ont changé le monde, mais ils n’ont pas travaillé seuls.
Pearson avait le soutien des cerveaux exceptionnellement brillants du ministère des Affaires étrangères.
Worsley a été formée à l’Université de Toronto, au MIT et à l’Université de Cambridge, des antennes de l’enseignement supérieur pas si éloignées que ça. Et Jim Till a été formé à l’Université Yale et s’est ensuite joint à l’Institut du cancer de l’Ontario, sans doute le meilleur endroit où faire de la recherche biomédicale au Canada à l’époque, où il été entouré de grands mentors, collègues et étudiants diplômés.
Tout comme Pearson, Worsley et Till, vous obtenez votre diplôme à un moment charnière de l’histoire. Aucune guerre mondiale ne fait rage en ce moment, mais la planète fait face à un certain nombre de menaces existentielles qui sont aussi graves, sinon plus, qu’une guerre. Prenons un moment pour parler de l’une de ces menaces.
Pour citer le président Obama, « Il y a un enjeu qui va définir les contours de ce siècle plus dramatiquement que tout autre et il s’agit de la menace imminente des changements climatiques!! »
Comme il a été noté dans un éditorial de la revue Science récemment, la crise climatique requiert une transformation sociétale d’une échelle et d’une rapidité pratiquement sans précédent. Il nous faut un consensus à savoir que les changements climatiques constituent une menace existentielle. Malheureusement, une aggravation de la disparité des revenus, et des intérêts particuliers nationaux et autocentrés entravent une approche concertée, unifiée et mondiale pour lutter contre la crise climatique.
Selon moi, il n’y a que deux façons de relever le défi des changements climatiques. Il y a d’abord la voie des politiques publiques pour accélérer la transition des sources énergétiques à base de carbone aux énergies renouvelables, spécialement le solaire et l’éolien. Le débat actuel sur la taxe sur le carbone illustre le défi associé aux politiques publiques dans ce pays. Comment élever la discussion pour qu’elle porte sur une stratégie exhaustive pour lutter contre les changements climatiques?
L’autre voie passe par la science et l’innovation. Il nous faut de nouveaux matériaux qui transformeront comment nous exploitons et stockons l’énergie du soleil. L’énergie solaire est de loin la ressource énergétique la plus abondante sur Terre. Il y a suffisamment d’énergie solaire qui frappe la Terre chaque heure pour répondre à TOUS les besoins de l’humanité pendant une année complète. Ou pour présenter les choses autrement, chaque gramme de pétrole, de charbon et de gaz naturel pourrait demeurer dans le sous-sol si seulement nous pouvions capturer l’équivalent d’une heure d’énergie solaire chaque année.
Deuxième fait : les panneaux solaires sont aujourd’hui cent fois moins chers qu’ils ne l’étaient il y a 40 ans.
Troisième fait : la Chine compte maintenant suffisamment d’installations solaires pour chauffer et éclairer chaque maison au Canada.
Ces deux approches – politiques publiques, et science et innovation – ne sont pas mutuellement exclusives. Elles sont en fait complémentaires et toutes deux sont essentielles si nous souhaitons accélérer la transition vers un monde basé sur les énergies renouvelables.
Mais il nous faut ajouter un autre ingrédient à cette soupe : le monde a besoin de voir ses jeunes gens – vous! – se mobiliser.
À titre de diplômés de l’une des plus grandes universités du Canada et du monde, vous avez une responsabilité spéciale – vous faites partie de l’élite de la planète, un très petit nombre de personnes sur Terre à avoir été formées dans l’un des plus grands établissements d’enseignement supérieur dans le monde entier.
Peut-être vous dites-vous qu’il est impossible de changer le monde, ou que les changements climatiques ça n’est pas votre truc, ou que vous ne pourriez pas agir seul. Voici ma réponse : premièrement, le monde est toujours en changement. Le changement fait partie de l’air que nous respirons. Le défi n’est pas le changement en soi, mais plutôt de veiller à ce que le changement mène au monde que nous souhaitons.
Si vous songez aux grands défis de notre époque, il est évident que le travail d’équipe et la collaboration seront essentiels à leur résolution.
Deuxièmement, l’humanité est confrontée aujourd’hui à de nombreux défis, dont presque aucun n’était perçu comme un problème il n’y a que quelques décennies : changements climatiques, énergies renouvelables, crise des réfugiés, inégalités en matière de revenu et d’égalité des chances, insécurité alimentaire et hydrique, antibiorésistance, maladie mentale et démence, pour n’en nommer que quelques-uns. Qui sait quels nouveaux défis nous attendent au détour du chemin? La meilleure façon de nous préparer à ces défis irrésolus et indéfinis est de former les jeunes et d’espérer qu’ils, c’est-à-dire vous, détiennent les compétences et la détermination nécessaires pour s’y attaquer.
Et troisièmement, si vous songez aux grands défis de notre époque, il est évident que le travail d’équipe et la collaboration seront essentiels à leur résolution.
Le CIFAR, l’organisation dont j’assure la direction, a une vision d’une simplicité désarmante : rassembler des chercheurs extraordinaires de domaines, de pays et de cultures différents pour collaborer à la résolution de questions d’importance pour la science et l’humanité. Nous avons pour objectif de catalyser de nouveaux modes de pensée, ainsi que des percées de l’esprit qui permettront de faire progresser la science et de créer un monde meilleur. Cette vision d’une simplicité désarmante du CIFAR a mené à des modes de réflexion transformateurs sur la santé des populations, le développement pendant la petite enfance, les origines et l’évolution de notre planète, l’intelligence artificielle, et les réseaux génétiques qui sous-tendent la santé et la maladie. Le CIFAR soutient aujourd’hui près de 400 Boursiers, Chercheurs mondiaux et conseillers de 24 pays qui travaillent dans plus de 120 établissements.
Donc, un autre conseil : entourez-vous de gens exceptionnellement brillants qui pensent différemment de vous, avec qui il est amusant de travailler et qui vous font sortir du lit chaque matin.
J’ai eu le grand privilège de choisir de vivre ma vie comme scientifique – et quel moment incroyable pour être un scientifique! – et d’être entouré de gens qui sont à la fois différents de moi et plus intelligents. Lors de la procession universitaire aujourd’hui, j’ai été accompagné (comme je l’ai mentionné précédemment) par mon mentor du doctorat, Jim Till, et par trois de mes anciens stagiaires, John Dick, Robert Rottapel et Mira Puri, qui représentent les brillants étudiants diplômés et stagiaires postdoctoraux que j’ai eu le privilège de former.
Pour s’attaquer aux défis auxquels fait face la planète, il faut une approche nouvelle qui n’est pas limitée par le domaine, la nationalité, l’ethnicité ou la politique. Dans son ouvrage « The Future », Al Gore parle des profonds changements qui vont sous peu toucher notre monde. Mais il ignore le plus grand moteur du changement. Votre génération a une perspective globale que le monde n’a jamais connue. Vous associez à cette vision globale, énergie, initiative, enthousiasme et audace, et le désir d’appliquer ce que vous avez appris, de faire de la planète un monde meilleur.
Vous êtes la raison pour laquelle je déborde d’optimisme quant à l’avenir et vous serez les plus importants moteurs de changement du siècle.
Dans vos réflexions pour décider ce que vous voulez faire du reste de votre vie, souvenez-vous de trois choses : premièrement, vous n’êtes pas en train de décider ce que vous allez faire pour le reste de votre vie. Vous êtes en train de décider ce que vous allez faire pour les quelques prochaines années.
Deuxièmement, ne visez pas la perfection, visez l’impact. Changez le monde. Comme l’a dit Leonard Cohen : « Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner / Oubliez vos offrandes parfaites / Il y a une fissure en toute chose / C’est ainsi qu’entre la lumière ».
Vous faites partie d’une minorité privilégiée. Le moment est venu de redonner. Le moment est venu de changer le monde.
Et troisièmement, entourez-vous de collègues, de mentors et de gens dont les compétences et la personnalité complèteront les vôtres, plutôt que les dédoubler.
Il est de coutume dans ces discours d’encourager les diplômés à suivre leur passion. Mais aujourd’hui je souhaite vous donner un conseil différent.
Vous êtes maintenant diplômés d’une des meilleures universités au monde. Vous faites partie d’une minorité privilégiée. Le moment est venu de redonner. Le moment est venu de changer le monde.
Voici donc le dernier conseil que je souhaite vous offrir : donnez un sens à votre vie. Changez le monde.
Nous comptons sur vous. Et félicitations!