Par: Cynthia Macdonald
3 Sep, 2019
Un nouvel instrument incroyable permet une chirurgie sans cicatrices et promet des percées considérables dans la guérison des plaies et le biodiagnostic aux fins de navigation chirurgicale
R.J. Dwayne Miller travaille — très littéralement — à la fine pointe de l’innovation scientifique.
À l’Institut Max-Planck à Hambourg, en Allemagne, le physicochimiste de renom et boursier du CIFAR pilote une équipe qui perfectionne un laser chirurgical extraordinaire. Alors que la formation de tissu cicatriciel est généralement considérée comme un sous-produit inévitable d’une chirurgie, cet instrument pourrait bien éliminer complètement les cicatrices.
Le système de transport du faisceau par fibre optique est aussi mince qu’un cheveu humain et peut être robotisé. Connu sous le nom de scalpel PIRL (laser picoseconde infrarouge), il est aussi très prometteur pour des biopsies ultrarapides en cas de cancer, car il procure un instantané des signatures moléculaires des tissus excisés.
Encore plus impressionnant, le PIRL pourrait éventuellement permettre aux chirurgiens de réaliser une chirurgie sur des cellules individuelles. Les chirurgiens ont généralement recours à la rétroaction tactile et leur champ de vision est résolument limité. La technique PIRL pourrait leur offrir les données moléculaires précises nécessaires à l’élimination des cellules souches élémentaires d’une tumeur maligne, menant à des taux de survie nettement plus grands. « Depuis l’invention du laser dans les années 1960, les gens disaient qu’il serait impossible d’atteindre la limite unicellulaire sans dommages collatéraux », dit Miller, professeur à l’Université de Toronto et codirecteur du programme Architecture moléculaire de la vie du CIFAR. « C’était du jamais vu, jusqu’à présent. »
Une meilleure compréhension du fonctionnement d’une cellule individuelle – réussir à voir à l’intérieur et à manipuler ses processus – se trouve au cœur de ce programme singulier du CIFAR. Jusqu’à tout récemment, les scientifiques voyaient les cellules de façon statique et pour expliquer une bonne partie de leur comportement ils ne pouvaient faire que des suppositions. Grâce en grande partie à Miller et à ses collègues du programme Architecture moléculaire de la vie, tout cela est en train de changer.
L’histoire du laser PIRL a commencé en 1989 quand Dwayne s’est posé la question suivante : ça ferait quoi de voir les atomes en mouvement?
Après plus d’une décennie de développement technologique, en collaboration avec une équipe de l’Université de Toronto, voilà précisément ce qu’il a réussi à faire. Les chercheurs ont créé le premier « film moléculaire » de l’histoire qui a permis d’élucider le mouvement des atomes pendant des changements structuraux. En ayant d’abord recours à l’énergie lumineuse pour exciter les atomes et entraîner leur mouvement, et en les exposant ensuite à un « flash » électronique d’une durée d’un quadrillionième de seconde, « nous avons vécu un moment magique où nous avons pu littéralement regarder des atomes bouger en temps réel », dit-il.
Cette découverte a immédiatement eu des répercussions sur la chirurgie laser, car elle a aidé Miller à comprendre beaucoup plus clairement la transition de phase, le processus par lequel les solides, les liquides et les gaz passent d’un état de la matière à un autre.
En chirurgie laser traditionnelle, on coupe les matériaux par l’entremise d’une forme de transition de phase induite, appelée ablation. Toutefois, du point de vue moléculaire, l’ablation peut se révéler un processus violent, car elle endommage les tissus solides lors de la transition vers la phase gazeuse. En conséquence, quoique largement utilisés en chirurgie oculaire, les lasers ont eu bien peu d’applications chirurgicales.
« Nous sommes près de comprendre la différenciation cellulaire – comment une cellule qui a le même ADN qu’une autre se transforme en un type cellulaire complètement différent. Les phénotypes cellulaires constituent l’un des grands mystères de la vie. »
Grâce à de nouvelles connaissances, Miller a pu concevoir une méthode ingénieuse pour éviter un tel dommage en excitant sélectivement des molécules d’eau dans les tissus humains à l’aide d’un laser. « Le scalpel PIRL fait passer les molécules en phase gazeuse si rapidement qu’il n’y a plus de temps pour la fragmentation moléculaire », dit-il. En reconnaissance de ses travaux, il a reçu le prix en science et applications des lasers de la Société européenne de physique en 2018.
L’efficacité du PIRL dans le domaine de la chirurgie oculaire sans cicatrices fera sous peu l’objet d’essais cliniques. Grâce à un financement adéquat, Miller espère que ses autres usages éventuels (comme l’imagerie des marges cancéreuses pour l’élimination sécuritaire et la biopsie) seront aussi mis à l’essai dans un proche avenir. Entre-temps, d’autres boursiers du programme Architecture moléculaire de la vie du CIFAR explorent et manipulent aussi les propriétés fondamentales des cellules (à l’aide de techniques modernes, comme la spectrométrie de masse, l’IRM moléculaire, la microscopie optique avec résolution temporelle et la cryomicroscopie électronique) pour brosser un portrait complet des fonctions cellulaires.
« Nous sommes près de comprendre la différenciation cellulaire – comment une cellule qui a le même ADN qu’une autre se transforme en un type cellulaire complètement différent », dit Miller. « Les phénotypes cellulaires constituent l’un des grands mystères de la vie. En exploitant le laser PIRL pour réaliser une chirurgie à l’intérieur de la cellule, nous espérons élucider comment la chimie d’une cellule fait pour exécuter le programme biochimique que nous appelons la vie, et donner lieu aux fonctions cellulaires. »
Les programmes de recherche du CIFAR se penchent sur d’importantes questions auxquelles font face la science et l’humanité à travers quatre domaines thématiques interdisciplinaires : Vie et santé, Individus et société, Information et matière, et Terre et espace.