Par: Jon Farrow
5 Nov, 2019
Hailing Jin, boursière du CIFAR, a mis au jour les détails d’un effrayant stratagème pour museler l’opposition et renverser la résistance dans le règne fongique.
Depuis des millions d’années, les plantes et les organismes fongiques se livrent une guerre évolutionnaire aux enjeux considérables, restée longtemps dans l’ombre, à l’aide d’armes moléculaires non conventionnelles.
Hailing Jin, boursière du CIFAR au sein du programme Règne fongique : Menaces et possibilités et professeure à l’Université de la Californie à Riverside, a élucidé les détails fascinants de cette lutte et a mis au point des techniques pour veiller à ce que les cultures dont nous avons besoin remportent la victoire.
La guerre a commencé il y a des millions d’années, mais l’histoire de sa découverte commence en 1998. Cette année-là, Andrew Fire et Craig Mello ont publié des travaux illustrant que de petits fragments de matériel génétique composés d’ARN peuvent entraver les processus cellulaires et empêcher l’expression des gènes. Cette « interférence ARN », pour laquelle Fire et Mello ont reçu un prix Nobel en 2006, est maintenant vue comme un phénomène assez courant qui aide les organismes à croître, à se développer et à lutter contre l’infection.
Les troisième et cinquième rangées du diagramme illustrent des fruits et légumes qui sont protégés grâce à une pulvérisation de petits ARN de conception spéciale. Tiré de l’article majeur de Jin publié dans Nature Plants en 2016.
Hailing Jin et ses collaborateurs ont réalisé une percée en 2013 quand ils ont découvert que les plantes et les organismes fongiques exploitent ce mécanisme d’interférence ARN à travers les espèces pour détourner les processus d’infection et d’immunité. Jin a découvert que certaines espèces fongiques pathogènes ingénieuses, comme Botrytis cinerea, envoient de petits ARN-espions dans les cellules d’un hôte pour perturber la réaction de défense de la plante. L’organisme fongique détourne la machinerie normale d’interférence ARN et l’utilise pour inactiver les gènes dont la plante a besoin pour lutter contre l’infection.
Les plantes, quant à elle, ne restent pas les bras croisés. Jin et d’autres spécialistes du domaine ont démontré que les plantes se livrent aussi à ce type d’espionnage cellulaire. Elles envoient de minuscules capsules – des vésicules extracellulaires – remplies de petits ARN-espions conçus spécialement pour inactiver les gènes des pathogènes qui les infectent.
Ce type de conflit interspécifique se distingue sur le plan qualitatif des épines pointues ou des poisons, les armes habituellement associées aux plantes et aux organismes fongiques. Toutefois, les chercheurs sont en train de se rendre compte que l’interférence ARN est peut-être tout aussi importante.
« Cette course aux armements coévolutionnaire fondée sur l’ARN n’a été reconnue que tout récemment », explique Jin. Et maintenant, les vannes sont ouvertes. « Après notre découverte, d’autres études dans de nombreux systèmes différents ont démontré que le phénomène est effectivement largement répandu. »
Comme ce nouveau champ de bataille entre les pathogènes et les hôtes est maintenant au grand jour, Jin et ses collaborateurs ont commencé à se demander si les humains pouvaient prendre parti.
Une étude récente estime que chaque année les pathogènes, les ravageurs et les parasites entraînent la perte de 20 à 30 pour cent des cultures à l’échelle mondiale. Les risques directs pour les êtres humains sont aussi bien réels, comme en font foi des pathogènes fongiques mortels, tel C. auris, qui se propagent rapidement en milieu hospitalier.
La plupart des fongicides ciblent un acide aminé, une section de protéine ou un enzyme, mais ils sont en général très spécifiques. Si l’organisme fongique a une minuscule mutation, il peut échapper au danger et proliférer.
« Une étude récente menée par le laboratoire de Sarah Jane Gurr démontre que de nombreux pathogènes fongiques ont acquis une résistance complète ou partielle à presque tous les antifongiques utilisés couramment chez les humains et les animaux (et les fongicides pour les plantes et les cultures) », met en garde Jin. « Nous nous trouvons donc en quelque sorte en situation d’urgence. Nous devons dans l’urgence mettre au point de nouveaux antifongiques et fongicides. Une méthode basée sur l’ARN pour lutter contre les pathogènes fongiques se révèle une stratégie prometteuse et novatrice pour l’avenir. »
Jin et ses collègues veulent intégrer aux plantes des ARN spécialement conçus en laboratoire pour qu’elles puissent se défendre contre les pathogènes. Tout comme des pirates ou des assassins moléculaires, elles disposeraient des outils nécessaires pour infiltrer le système d’un pathogène et inactiver les gènes qui le rendent dangereux. Pour ce faire, nous pouvons modifier génétiquement les plantes pour qu’elles produisent elles-mêmes de petits ARN ou bien pulvériser les feuilles avec les ARN conçus en laboratoire.
Ces deux méthodes fonctionnent, mais s’accompagnent de compromis. Il faudrait beaucoup moins d’insecticide pour traiter une plante qui peut produire son propre ARN dans le but de pirater un pathogène. D’un autre côté, il peut être ardu d’obtenir une autorisation et l’acceptation du public pour des organismes génétiquement modifiés. L’Union européenne, par exemple, impose des restrictions sur la modification génétique. Un pulvérisateur topique contournerait ces règlements et se révèle efficace en laboratoire, mais dans l’environnement l’ARN se dégrade après seulement quelques jours. Conséquemment, il faudrait presque constamment procéder à une nouvelle application. Toutefois, il y a de l’espoir : le laboratoire de Jin, en s’inspirant de sa découverte des vésicules extracellulaires utilisées par les plantes pour livrer les pirates moléculaires, a récemment mis au point des vésicules artificielles qui peuvent protéger l’ARN pendant des semaines.
Cette course aux armements coévolutionnaire, où les plantes et les organismes fongiques créent des modes d’infection et de résistance de plus en plus sophistiqués, ne montre aucun signe de ralentissement. Toutefois, en comprenant comment la guerre est menée, des chercheurs comme Jin du programme Règne fongique : Menaces et possibilités du CIFAR espèrent faire tourner la guerre à l’avantage des plantes dont les humains ont besoin, et appliquer les leçons tirées du champ de culture à d’autres cadres, notamment le cadre clinique.
Hailing Jin est l’une des plus récentes boursières du CIFAR au sein du programme Règne fongique : Menaces et possibilités. Ce programme réunit une communauté de mycologues, d’écologistes, de médecins, de bioinformaticiens et de microbiologistes qui cherchent à comprendre les dangers et les possibilités du règne fongique que l’on oublie souvent.
« Il s’agit d’un groupe de scientifiques vraiment très complet », dit Jin. « Je crois que notre travail en collaboration sera extrêmement novateur et aura un impact considérable. Je suis ravie et honorée de faire partie de cette équipe. »
Pour en savoir plus sur le programme Règne fongique : Menaces et possibilités, cliquez ici.