Par: Jon Farrow
5 Nov, 2019
Jean-Philippe Julien, Chercheur mondial CIFAR-Azrieli 2019, utilise des robots pour concevoir de meilleurs vaccins.
Pour Jean-Philippe Julien, Chercheur mondial CIFAR-Azrieli 2019 au sein du programme Architecture moléculaire de la vie du CIFAR, et chercheur à l’Université de Toronto et à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, les anticorps sont les héros du système immunitaire.
« Mon laboratoire a pour thème le pouvoir des anticorps », dit-il. « Je m’intéresse à la capacité qu’ont les anticorps de neutraliser un virus ou de reconnaître une cellule tumorale, et de recruter ensuite les défenses de l’organisme pour tuer l’envahisseur. »
Julien examine, à l’échelle atomique, les anticorps et les cellules qui les synthétisent afin de trouver précisément les bons ingrédients pour concevoir des vaccins et des traitements anticancéreux de prochaine génération. Toutefois, Julien ne travaille pas seul. Il fait appel à une équipe d’étudiants talentueux, de stagiaires et de robots.
Un vaccin a pour tâche de présenter une forme inoffensive d’un pathogène au système immunitaire pour que l’organisme apprenne à reconnaître ce pathogène. « On tente d’enseigner au système immunitaire comment il devrait réagir et quel type d’anticorps il devrait synthétiser », explique Julien. « De la sorte, quand il rencontrera une menace réelle, il sera déjà capable de vous protéger et vous échapperez ainsi à l’infection. »
Un type de leucocytes, appelé lymphocyte B, fait partie intégrante de ce processus. Les lymphocytes B apprennent à produire des anticorps, de petites protéines qui se lient aux pathogènes et qui avertissent le reste de l’organisme de la présence d’un envahisseur. Un lymphocyte B apprendra à synthétiser un type d’anticorps qui pourra en retour reconnaître un élément étranger à la surface du pathogène envahisseur.
En principe, ce processus fonctionne, mais si les pathogènes subissent des mutations et que la protéine ciblée par l’anticorps change, même les lymphocytes B qui sont de parfaits étudiants pourraient échouer à l’examen. Par exemple, il est largement reconnu que le vaccin antigrippal affiche un taux d’efficacité aléatoire. Dans une année donnée, il protégera peut-être seulement la moitié des gens qui le reçoivent. ( Le vaccin antigrippal, malgré son efficacité variable, demeure tout de même une bonne idée, car il prévient des centaines de milliers d’hospitalisations et de décès chaque année.) La raison en est qu’il existe de nombreuses souches différentes d’influenza dans le monde entier et que celles-ci évoluent et changent rapidement.
Toutefois, Julien souligne que l’influenza est stable comparativement à des virus comme le VIH. « L’ensemble de la diversité de l’influenza dans le monde entier n’arrive même pas à la cheville de la diversité du VIH chez une même personne à un moment donné », explique-t-il.
« Voilà le plus grand défi à relever. Que doit-on mettre dans un vaccin pour réussir non seulement à enseigner à l’organisme d’une personne à reconnaître un VIH, mais aussi tous les différents virus en circulation chez une même personne et toutes les personnes dans le monde entier? »
Le gros du travail au sein du laboratoire de Julien vise à éclaircir la structure et la fonction des lymphocytes B et des anticorps. Il examine, aux échelles atomiques et moléculaires, leurs différentes composantes et leur interaction.
Issu d’une famille qui travaillait dans le domaine de la construction, dans le nord du Québec, Julien s’inspire des plans qu’il voyait souvent à la maison. « Quand on fait de la biologie structurale », dit-il, « et qu’on voit comment bougent les molécules et comment les atomes créent une réaction immunitaire, on peut alors se lancer dans le processus de conception avec une grande précision. On a maintenant les plans en main. »
Pour tenter de trouver d’éventuels vaccins contre le VIH et la malaria, le laboratoire de Julien étudie des centaines d’anticorps qui ont chacun des caractéristiques chimiques et physiques légèrement différentes. L’évaluation manuelle de chaque molécule dans une telle bibliothèque se révélerait difficile et sujette à l’erreur. Conséquemment, pour accélérer la quête de conditions efficaces, les chercheurs ont recours à des robots.
Les robots n’ont pas d’objection à passer la nuit blanche pour verser méthodiquement des liquides dans les puits d’une plaque. Ils vont même travailler le week-end.
« C’était auparavant un élément important du travail d’un étudiant diplômé », précise-t-il. Maintenant, comme les robots peuvent cribler des milliers de fois plus de conditions qu’un être humain pour déterminer ce qui fonctionne, les stagiaires ont le temps de formuler des hypothèses, de faire un suivi et de créer.
Quand une condition éventuellement intéressante se présente, elle est signalée par l’équipe de recherche qui peut vérifier le résultat et lancer la prochaine batterie de tests.
À titre de Chercheur mondial CIFAR-Azrieli, Julien se joindra au programme Architecture moléculaire de la vie pour un mandat de deux ans. Il souhaite tout particulièrement appliquer son travail sur les lymphocytes B aux questions de plus grande envergure que constituent l’immunité et l’infection.
« Comment faire pour que nos découvertes ou nos méthodes s’intègrent au contexte plus large des défis mondiaux? Il y a tant de techniques qui sont mises à profit actuellement. Et je crois que personne ne les maîtrise toutes », dit-il. « Le programme Architecture moléculaire de la vie compte certains des plus grands spécialistes mondiaux de ces techniques en biologie structurale. Je suis ravi de me joindre à ce programme, et non seulement d’apprendre comment au mieux utiliser et intégrer les outils actuels, mais aussi de concevoir les meilleurs outils pour les dix à vingt prochaines années. »