Par: Jon Farrow
26 Mar, 2020
« Des maladies non transmissibles », notamment la cardiopathie, le cancer et la pneumopathie constituent maintenant les causes de mortalité les plus fréquentes, représentant 70 pour cent des décès à l’échelle mondiale. On considère ces maladies comme étant « non transmissibles », car on pense qu’elles sont le résultat d’une combinaison de facteurs associés à la génétique, au mode de vie et à l’environnement, et qu’elles ne se transmettent pas d’une personne à l’autre.
Un nouvel article scientifique publié dans la revue Science par une équipe de boursiers du programme Microbiome humain du CIFAR remet en question cette croyance de longue date en présentant des résultats probants voulant que de nombreuses maladies puissent se transmettre par l’entremise des microorganismes (y compris bactéries, organismes fongiques et virus) qui habitent notre corps.
« Si notre hypothèse s’avère, cela va tout changer en santé publique », dit B. Brett Finlay, boursier du CIFAR et professeur de microbiologie à l’Université de la Colombie-Britannique, et auteur principal de l’article.
Les auteurs fondent leur hypothèse sur les liens entre trois filières distinctes de résultats probants. Premièrement, ils démontrent que le microbiome de personnes qui souffrent d’un vaste éventail de maladies, qu’il s’agisse notamment de l’obésité, de la maladie inflammatoire de l’intestin, du diabète non insulinodépendant ou de la cardiopathie, a subi des modifications. Ensuite, ils démontrent que si l’on transfère un microbiome altéré d’une personne malade à un modèle animal, il entraînera la maladie. Finalement, les auteurs présentent des résultats probants voulant que le microbiome soit naturellement transmissible, par exemple : le microbiome d’époux qui partagent une maison se ressemble davantage que celui de jumeaux qui vivent séparément.
« Quand on met tous ces résultats ensemble, on se met à penser que de nombreuses maladies que l’on croyait non transmissibles le sont peut-être après tout », dit Finlay.
Eran Elinav, un des auteurs de l’article, boursier du CIFAR et professeur à l’Institut Weizmann des sciences, voit les liens éventuels entre ces résultats probants comme un argument en faveur d’une réflexion plus large sur la maladie. « Cela pourrait mener à de nouvelles possibilités d’interventions pour certaines des maladies les plus fréquentes et débilitantes du monde », dit-il. « Nous pouvons maintenant songer à la modulation de facteurs environnementaux et du microbiome, pas seulement à des interventions où on cible l’hôte. » Collaboration interdisciplinaire
Le programme Microbiome humain du CIFAR tire profit de son réseau interdisciplinaire d’envergure mondiale de boursiers, de conseillers et de Chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli qui compte notamment des microbiologistes, des anthropologues, des immunologistes et des généticiens. Ils découvrent ensemble comment les microorganismes qui nous habitent influencent notre santé, notre développement, voire notre comportement.
« Cet article offre une nouvelle façon stimulante de réfléchir aux maladies non transmissibles et pourrait avoir des répercussions importantes en santé publique », dit Alan Bernstein, président et chef de la direction du CIFAR. « Des idées comme celles-ci illustrent bien ce qui arrive quand de grands chercheurs du monde entier collaborent dans un environnement où règnent la confiance, la transparence et le partage de connaissances. »
Les auteurs expliquent que l’article est le résultat direct de discussions ouvertes et exploratoires qui ont eu lieu lors d’une réunion du programme du CIFAR en mars 2019.
« L’idée découle de l’intégration de nouvelles données biologiques provenant d’humains et de modèles animaux, et de résultats essentiels de partenaires qui travaillent avec les mêmes concepts, dans d’autres contextes, en anthropologie et en sciences sociales », dit Elinav.
« Tout a commencé par une expérience de la pensée », dit Finlay, « mais l’emballement nous a ensuite pris quand nous avons commencé à réfléchir aux résultats probants que nous avions. Quand l’article s’est mis à prendre forme et que de nouveaux éléments de données de spécialités différentes ont commencé à surgir, les discussions se sont mises à fuser autour de la table. »
Quoique cette hypothèse suscite beaucoup d’enthousiasme, les chercheurs précisent que les mécanismes en jeu sont encore très nébuleux. « Nous ignorons encore dans quelles circonstances la transmission augmente, ou bien si une transmission non pathologique est possible », dit une des auteures de l’article, Maria Gloria Dominguez-Bello, boursière du CIFAR et professeure à l’Université Rutgers. « Nous devons réaliser d’autres recherches pour comprendre la transmission microbienne et ses effets. »
« Nous espérons que l’article sera une source d’inspiration pour d’autres recherches sur les mécanismes et l’étendue de la transmissibilité », dit Finlay. « Nous encourageons tous les chercheurs qui réalisent des études sur la maladie à réfléchir aux effets éventuels des microorganismes. »
L’article a été publié dans la revue Science le 17 janvier 2020.