Par: Emma Tarswell
5 Mai, 2020
Les boursiers et conseillers au sein du nouveau programme Règne fongique : Menaces et possibilités du CIFAR savent que les organismes fongiques sont bien plus complexes qu’il n’y paraît. Les organismes fongiques, ou champignons, sont une source de nutriments bien connus, avec des variétés comme le shiitake ou le portobello qui sont monnaie courante à l’épicerie. Dans les écosystèmes forestiers, ils dégradent souvent la matière organique pour qu’elle soit recyclée. Toutefois, un récent article de synthèse dans la revue mBio, coécrit par les 19 membres du programme, met en garde que les organismes fongiques posent un danger considérable pour les humains, les plantes dont nous avons besoin et les animaux de la planète.
En misant sur l’expertise de chercheurs en génétique, en médecine, en épidémiologie et en écologie, y compris des mycologues qui se spécialisent dans les organismes fongiques infectant les hôtes végétaux, humains et animaux, les auteurs unissent des domaines auparavant disparates pour brosser un portrait plus holistique des menaces fongiques.
« Nous avons un groupe incroyablement interdisciplinaire de sommités internationales qui se penchent sur divers aspects des organismes fongiques », explique Cowen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique microbienne et maladies infectieuses à l’Université de Toronto. « Le règne fongique présente d’incroyables possibilités et défis pour l’humanité, en raison de sa remarquable diversité, de sa capacité métabolique exceptionnelle et de sa capacité évolutive rapide. »
Selon les auteurs, le coût humain des pathogènes fongiques est immense.
« Les organismes fongiques tuent approximativement 1,5 million de personnes chaque année »
dit Cowen
« Cela se compare à des maladies comme la malaria et la tuberculose. »
Les maladies fongiques sont particulièrement difficiles à traiter chez l’humain, car bien qu’ils ressemblent plus à des plantes, les organismes fongiques sont étroitement apparentés aux animaux. Comme leurs cellules ont des structures et processus similaires, il est difficile de développer un médicament qui ciblera seulement l’organisme fongique envahissant sans toucher à l’hôte humain.
Quatre types d’organismes fongiques — Aspergillus, Cryptococcus, Candida et Pneumocystis — sont responsables de la grande majorité (90 %) des décès liés aux organismes fongiques. Les auteurs signalent que des espèces de Cryptococcus causent 15 % de tous les décès liés au SIDA et que Candida auris est une nouvelle espèce particulièrement inquiétante.
« Les gens éprouvent beaucoup d’inquiétudes en ce qui concerne Candida auris, car nombre des isolats sont résistants à tous les antifongiques disponibles », dit Cowen. « De plus, ce pathogène émergent a une capacité remarquable de survie sur les surfaces, ce qui veut dire qu’il peut se propager assez facilement dans les établissements de soins de santé. »
Des espèces comme Aspergillus fumigatus, naturellement présentes dans le sol à l’échelle planétaire, comptent parmi les organismes fongiques les plus courants au monde. Une fois inhalées, les spores peuvent causer une maladie pulmonaire mortelle, particulièrement chez les immunodéprimés. Habituellement, le traitement consiste en l’administration d’un produit appelé azole, mais les médecins trouvent de plus en plus de souches d’A. fumigatus qui sont résistantes à ces composés chimiques.
« Comme certains des mêmes antifongiques sont utilisés en agriculture et en médecine, nous voyons que l’utilisation généralisée d’antifongiques en agriculture peut mener à des organismes résistants sur le terrain, et mettre en péril l’efficacité des traitements cliniques », dit Cowen. « La coordination est très importante, en partie pour comprendre les mécanismes fondamentaux de la résistance aux médicaments, et aussi pour établir des stratégies pour une gestion efficace des antimicrobiens afin de préserver des médicaments qui sauvent des vies. »
Non seulement les organismes fongiques interfèrent-ils directement avec la santé humaine, en causant des infections, mais ils détruisent aussi les plantes dont les êtres humains ont besoin. Les auteurs décrivent de graves menaces fongiques qui pèsent sur des espèces sauvages, comme le myrte et l’orme, ainsi que sur des cultures riches en calories, comme le blé et le soja, et des cultures commerciales, comme la banane.
Ils examinent avec une inquiétude particulière la menace qui pèse sur la banane Cavendish, le cultivar jaune bien connu qui représente près de la moitié de la production bananière mondiale. Ils mettent l’accent sur la banane, car il s’agit du fruit qui fait l’objet du plus grand nombre d’échanges commerciaux internationaux et qu’il se trouve au cœur de l’économie de nombreux pays. Par exemple, les auteurs signalent que le Costa Rica exporte 13 % de la production mondiale de banane et que le revenu généré couvre 40 % du coût des importations de nourriture au Costa Rica.
La banane Cavendish est vulnérable à une maladie fongique appelée fusariose qui détruit les feuilles, les racines et les systèmes de transport d’eau. Une souche de la maladie appelée TR4 se propage à l’échelle mondiale depuis les années 1990 et a récemment fait une incursion dans des régions de production bananière en Amérique du Sud où les auteurs craignent que cela n’entraîne des dommages considérables. Il n’existe actuellement aucun cultivar de bananes résistant à la TR4 et les auteurs préviennent que la faible diversité génétique des bananes, associée à la virulence de cette maladie, fait de la fusariose une menace considérable.
La lutte chimique, comme le recours au fongicide, risque d’entraîner une résistance, mais les auteurs parlent de travaux novateurs et emballants réalisés par divers chercheurs, comme la boursière du CIFAR Hailing Jin. Elle a formulé une stratégie non conventionnelle qui utilise de petits ARN pour interférer avec les pathogènes à l’échelle génétique, esquivant le problème de la résistance aux fongicides.
La menace des organismes fongiques ne guette pas que l’être humain, elle vise aussi particulièrement les populations fauniques. « Les organismes fongiques sont actuellement les seuls à causer l’extinction d’espèces en temps réel », explique Cowen. « Nous sommes témoins d’extinctions d’espèces causées par des infections fongiques. »
Les chercheurs du CIFAR parlent de deux exemples de maladies fongiques qui ont un effet dévastateur sur la faune : le syndrome du nez blanc chez les chauves-souris en hibernation (causé par Pseudogymnoascus destructans) et la chytridiomycoses chez les amphibiens (causée par Batrachochytrium dendrobatidis et Batrachochytrium salamandrivorans). Ils signalent que cette maladie des amphibiens, maintenant présente sur tous les continents sauf l’Antarctique (où il n’y a aucun amphibien à infecter), a entraîné le déclin de 501 espèces d’amphibiens et a complètement décimé 90 espèces de grenouilles.
Quand ils examinent la pandémie de COVID-19, Cowen et l’équipe du programme Règne fongique voient de nombreux parallèles.
« Ce que nous observons chez les grenouilles est essentiellement une pandémie »
dit Cowen
« Il y a une propagation mondiale massive de pathogènes fongiques et, sur le plan fondamental, il est essentiel que les chercheurs soient toujours à l’affût de menaces émergentes, et qu’ils tentent de découvrir où se manifeste la résistance aux antimicrobiens et comment élaborer des stratégies de lutte efficaces. »
À titre d’exemple de la puissance de la méthode interdisciplinaire de l’équipe du CIFAR, notons le travail collaboratif improbable entre un médecin (Bruce Klein) et un biologiste de la faune (David Blehert) sur un vaccin contre le syndrome du nez blanc chez les chauves-souris. Mettant à profit leur expertise singulière, ils déploient maintenant un vaccin candidat prometteur dans des populations sauvages à risque.
Les forces des organismes fongiques déployées contre les humains, les plantes et la faune sont mortelles, dangereuses et croissantes. Mais il y a place à l’espoir. Par l’intégration de connaissances, de méthodes et d’idées à travers des domaines traditionnellement isolés, les membres du programme Règne fongique du CIFAR produisent de nouveaux traitements et stratégies de lutte.
« Nous avons de multiples programmes de développement de médicaments où nous exploitons de nouvelles stratégies pour créer des molécules qui ont une sélectivité pour les organismes fongiques et qui peuvent tuer ces derniers sans toucher l’hôte », ajoute Cowen.
Parmi les autres pistes explorées figurent les vaccins, l’interférence de l’ARN, le génie génétique et de nouvelles combinaisons médicamenteuses – des cocktails médicamenteux qui peuvent réchapper l’activité d’antifongiques existants en paralysant les mécanismes de résistance d’un organisme fongique.
Afin de prévenir de futures pandémies comme la COVID-19, l’équipe insiste sur le fait qu’il faut maintenir le soutien à la recherche fondamentale. « Selon moi, la leçon principale à retenir est qu’il est important de miser sur la science, d’être conscient des menaces et de surveiller les pathogènes », dit Cowen.
« Il y a une mobilisation incroyable des efforts scientifiques à l’heure actuelle autour du défi grave et colossal que constitue le SARS-CoV-2, et nous devons veiller à maintenir la capacité nécessaire pour poursuivre les recherches afin de lutter avec succès contre les menaces futures, car d’autres se présenteront. »
Le programme Règne fongique : Menaces et possibilités du CIFAR réuni divers experts qui s’emploient à approfondir notre compréhension des aspects exceptionnels de la biologie fongique, ainsi qu’à formuler de nouvelles stratégies pour atténuer les menaces posées par les organismes fongiques et à exploiter leur potentiel extraordinaire.
Lisez l’article de synthèse dans mBio : Les menaces fongiques qui pèsent sur les humains, les animaux et l’agriculture (en anglais).