Par: David Rolnick & Tami Vasanthakumaran
15 Oct, 2021
L’intelligence artificielle (IA) peut constituer un outil puissant pour aider la société à atténuer les changements climatiques et à s’adapter à leurs effets. L’IA peut contribuer à transformer des données brutes en informations utiles, par exemple en utilisant l’imagerie satellitaire pour surveiller automatiquement les émissions de gaz à effet de serre ou l’utilisation des sols, ou en analysant les rapports financiers des entreprises pour révéler des données sur le climat. L’IA peut faciliter l’optimisation de systèmes complexes — par exemple, en réduisant l’énergie nécessaire au chauffage et à la climatisation des bâtiments ou en améliorant l’efficacité des réseaux de transport de marchandises. L’IA peut améliorer les prévisions — par exemple, prévoir l’offre et la demande pour aider à équilibrer les réseaux électriques, ou présager la productivité agricole. Enfin, l’IA peut accélérer le processus de modélisation et de découverte scientifiques — par exemple, en accélérant la recherche de nouveaux matériaux comme ceux des batteries et des cellules photovoltaïques.
Cependant, l’IA n’est pas une solution miracle pour lutter contre les changements climatiques. Elle s’avère utile lorsqu’elle est bien adaptée à des goulots d’étranglement particuliers dans les domaines des politiques, de l’énergie, de l’aménagement du territoire ou autres. Un grand nombre des domaines d’application les plus pertinents sont relativement ordinaires : la détection de défaillances dans les systèmes ferroviaires ne suscite pas autant d’intérêt que les voitures autonomes, par exemple, mais dans une perspective climatique, c’est probablement plus bénéfique. Comme pour d’autres domaines de l’IA appliquée, les connaissances propres à un domaine sont généralement essentielles, car il y a toujours des contraintes et des données contextuelles qui échappent à un ensemble de données brutes. Au début de tout projet, il est important de considérer comment la méthodologie sera finalement déployée pour veiller à ce qu’elle soit réellement utile et que toute question de déploiement fasse partie intégrante de la conception. La collaboration entre les experts de l’IA et ceux du domaine d’application concerné est nécessaire pour éviter les pièges et garantir une voie vers l’impact.
Les questions d’équité vont de pair avec l’impact, notamment en déterminant qui est habilité à concevoir des solutions, ainsi qu’à définir les problèmes prioritaires et la façon dont ces problèmes sont traités. Il est essentiel de donner à un ensemble diversifié et mondial de parties prenantes le pouvoir de définir les applications de l’IA dans la lutte contre les changements climatiques, afin que les technologies appartiennent aux personnes concernées, plutôt que de renforcer les déséquilibres de pouvoir existants entre les pays et les institutions. À la question de savoir qui, s’ajoute celle de savoir sur quoi on travaille, car la priorisation des problèmes reflète souvent les inégalités qui existent en IA et en technologie. Par exemple, l’IA au service de la lutte contre les feux de forêt (un problème majeur en Amérique du Nord, en Europe et en Australie) tend à susciter plus d’attention et de financement que l’IA au service de la lutte contre les criquets (qui touchent l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’Inde), même si les deux problèmes sont exacerbés par les changements climatiques. Par ailleurs, il est aussi important de savoir comment on travaille à un projet. En raison des déséquilibres en matière de données entre les régions ou entre les communautés au sein d’une région, les solutions basées sur l’IA pourraient s’appliquer seulement à un sous-ensemble de la population, ou les algorithmes pourraient se révéler plus efficaces dans les régions riches en données. Idéalement, l’IA au service du climat devrait servir à améliorer l’équité, mais il faudra travailler activement à la fois à un niveau élevé (politique) et à la base (conception et gestion de projets).
Bien qu’il soit possible d’utiliser l’IA dans le but explicite de lutter contre les changements climatiques, il convient aussi de noter que toutes les applications de l’IA influencent le climat (et plus largement la société) de manière positive et négative. Idéalement, l’« IA au service du bien commun » devrait aller plus loin que le simple fait d’ajouter des applications bénéfiques aux pratiques habituelles. Il est clair que certaines applications de l’IA aggravent les changements climatiques. C’est le cas, par exemple, des systèmes publicitaires basés sur l’IA qui augmentent la consommation, et des algorithmes d’IA qui accélèrent la découverte et l’extraction de combustibles fossiles (). Souvent, les choix implicites des ingénieurs peuvent modifier l’impact d’une nouvelle technologie. Par exemple, si nous concevons des véhicules autonomes en mettant l’accent sur les voitures personnelles, il sera plus facile de conduire, les gens pourraient rouler davantage et les émissions de carbone à l’échelle mondiale pourraient augmenter (même si chaque kilomètre parcouru devient un peu plus efficace). En revanche, si l’on oriente la technologie des véhicules autonomes vers le partage de véhicules et les transports publics, les émissions de carbone pourraient diminuer. Notre travail en tant que technologues a une incidence sur les changements climatiques, que cela nous plaise ou non — les choix que nous faisons, implicitement et explicitement, ont un impact.
L’initiative Climate Change AI propose d’autres ressources, notamment des lectures, des webinaires, des événements et diverses opportunités.
David Rolnick est professeur adjoint et titulaire de chaire en IA Canada-CIFAR à l’Université McGill et au Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle, et l’un des cofondateurs et le président de Climate Change AI.
En l’absence de représentation et de diversité, la recherche et le développement en IA pourraient se révéler biaisés, injustes et inéquitables. Bien que la recherche en IA puisse contribuer à la création de solutions novatrices pour lutter contre la crise climatique, les chercheurs, les entreprises et les décideurs doivent examiner comment les outils d’IA peuvent aussi bien nuire qu’aider.
Après le tsunami du 26 décembre 2004, j’ai recueilli des fonds dans mon quartier. Quatre ans après la catastrophe, après être allée dans un village sinistré en Inde, j’ai fait don de ces fonds à des victimes. Témoin directe des conditions dans lesquelles vivaient les gens, même des années plus tard, je me suis rendue compte de l’impact considérable des catastrophes naturelles et des effets des changements climatiques sur les communautés marginalisées. Les changements climatiques risquent d’accroître les inégalités dans le monde entier, mais une recherche responsable en IA pourrait permettre d’y remédier. Pour défendre cette cause, j’ai défini les éléments fondamentaux de l’intégration de l’EDI consciente dans la recherche en IA.
L’intégration culturelle et l’intersectionnalité vont de pair pour comprendre les enjeux mondiaux et leur impact sur les populations les plus vulnérables. L’initiative Women in Data Science de l’Université Stanford pratique une IA responsable et réduit les préjugés en garantissant la représentation des femmes et des personnes noires, autochtones et de couleur (PANDC) en recherche. Des programmes comme le AI4Good Lab CIFAR-OSMO veillent à ce que des perspectives diverses alimentent l’avenir des technologies basées sur l’IA au profit de la société. La diversité est essentielle à une compréhension multidimensionnelle des enjeux climatiques et à la démocratisation de l’IA.
Les données constituent le moteur des technologies basées sur l’IA. Des données non biaisées et représentatives de la population pourraient soutenir des algorithmes robustes qui auraient un impact social fondé sur les résultats probants. Les données doivent brosser un tableau complet du problème sans occulter ce que le colonialisme considérait jadis comme insignifiant. Il importe d’inclure les communautés marginalisées comme les peuples autochtones et leurs connaissances de l’environnement dans la conception de solutions basées sur l’IA au service du climat.
Les outils basés sur l’IA, tels que ceux utilisés pour suivre les essaims de criquets et transmettre un signal aux pulvérisateurs aériens de pesticides, s’attaquent au fardeau économique et aux problèmes de sécurité alimentaire auxquels sont confrontés les agriculteurs en Afrique. Le véritable changement émane de recherches en IA qui prennent en compte les résultats ayant un impact positif sur tous les membres de la société. Il s’agit d’appliquer des solutions inédites basées sur l’IA qui répondent aux problèmes particuliers des différentes cultures et régions géographiques, et rehaussent leur capacité de mettre en œuvre ces outils.
Nous devons mettre en œuvre l’EDI dans la recherche sur le climat assistée par l’IA en misant sur la compréhension, la conception et le changement dans nos méthodes de recherche pour faire avancer des solutions positives à l’impact durable.
Tami Vasanthakumaran est une jeune ambassadrice du programme Les filles ont leur place de Plan International Canada qui milite pour l’égalité des sexes dans le monde. Elle est inscrite au programme de formation des chercheurs cliniques mondiaux de l’École de médecine de Harvard.