Par: Alison Rutka
13 Août, 2025
Dans un monde où les systèmes alimentaires mondiaux se détériorent et où des centaines de millions de personnes souffrent encore de dénutrition ou n’ont pas accès à une alimentation équilibrée, abordable et saine, l’avenir de l’alimentation est un sujet urgent d’importance mondiale. Hugo Campos, directeur général adjoint pour la science et l’innovation au Centre international de la pomme de terre, au Pérou, offre ses perspectives particulières sur cette question cruciale. Membre du panel exploratoire du Rapport sur l’avenir de l’alimentation du CIFAR, Campos nous donne un aperçu du processus de résolution de ce « problème épineux ». Dans un nouvel entretien, il se penche sur les principales conclusions du rapport, sur le pouvoir de la collaboration interdisciplinaire et sur les raisons pour lesquelles se soucier de l’avenir de l’alimentation, c’est essentiellement se soucier de l’avenir de l’humanité.
CIFAR : Pouvez-vous nous présenter la situation? Pourquoi les gens devraient-ils se soucier de l’avenir de l’alimentation?
HUGO CAMPOS (HC) : L’alimentation équivaut à la civilisation. Au-delà de la nutrition, elle façonne les cultures, rapproche les communautés et crée un sentiment d’appartenance. Lord Boyd Orr, lauréat du prix Nobel, l’a dit bien simplement : « On ne construit pas la paix avec des ventres vides. » Ses paroles sont aujourd’hui plus vraies que jamais. L’insécurité alimentaire attise les conflits, tandis qu’un accès équitable à la nourriture renforce les sociétés. La nourriture définit notre identité – elle est porteuse de souvenirs, de traditions et d’expériences communes. Si l’avenir de l’humanité, la justice, la santé et la stabilité nous importe, nous devons alors nous soucier profondément de l’avenir de l’alimentation.
CIFAR : Vous avez siégé au panel exploratoire sur l’avenir de l’alimentation du CIFAR. Quel est le principal enseignement que vous avez tiré de ce processus?
HC : Trois idées clés sont ressorties. Premièrement, le pouvoir de la convergence : le fait de réunir des spécialistes de renom de diverses disciplines a permis de transformer les connaissances individuelles en percées collectives sur des questions qui touchent l’ensemble de l’humanité. Deuxièmement, l’efficacité de l’excellence : à partir d’un investissement modeste en temps et en ressources, le processus structuré du CIFAR a permis de cerner des questions de recherche et des pistes claires, attestant de la manière dont une collaboration intelligente multiplie l’impact. En dernier lieu, j’ai été frappé par la valeur de la tension constructive : nous sommes parvenus à un consensus, mais les moments les plus précieux sont nés d’échanges francs de points de vue divergents, qui ont approfondi notre réflexion et renforcé les résultats finaux.
Pour relever des défis mondiaux complexes, il faut conjuguer la diversité intellectuelle, l’audace et un cadre propice à un dialogue productif – voilà précisément ce qu’offre le CIFAR.

CIFAR : Le travail du panel exploratoire a donné lieu à un nouveau Rapport sur l’avenir de l’alimentation, publié cet été. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ce rapport?
HC : Le rapport repose sur la puissance de ses questions de recherche. Il jette un pont entre la technologie, la science, les finances et les politiques pour créer une feuille de route multidisciplinaire propice à la réalisation de progrès réels et à la définition de la voie à suivre. En outre, il est remarquablement concis, distillant des idées complexes en moins de 20 pages, faisant preuve d’une acuité remarquable sans pour autant sacrifier la profondeur. Grâce à ces qualités, le rapport est à la fois visionnaire et exploitable, une combinaison rare.
CIFAR : Dans son analyse prospective, le CIFAR a identifié l’avenir de l’alimentation comme l’une des questions urgentes, reconnaissant qu’elle continuera à présenter un défi mondial dans les décennies à venir. Selon vous, en quoi ce type de travail de prospective est-il crucial?
HC : Nous ne pouvons plus considérer les systèmes alimentaires mondiaux à travers des divisions simplistes, où la dénutrition et l’obésité sont des problèmes de pays moins développés et de pays mieux nantis, respectivement. Malgré les progrès récents, environ 670 millions de personnes souffrent encore de dénutrition, soit plus de 15 fois la population canadienne, et cela constitue une crise morale d’une ampleur stupéfiante. Quelle en est la cause profonde? Les systèmes alimentaires défaillants sont incapables de fournir des régimes alimentaires nutritifs, durables et abordables à tout le monde.
Ce problème épineux requiert une transformation de l’ensemble des systèmes alimentaires, depuis la production et la transformation jusqu’aux politiques, aux finances, à la distribution, au comportement des consommateurs et à la gestion des déchets. Voilà pourquoi la prospective est essentielle. L’approche interdisciplinaire exceptionnelle du CIFAR ne se limite pas à suivre les tendances, elle anticipe les défis et les opportunités invisibles. Dans ce contexte de crise urgente, la prospective globale peut constituer notre outil le plus puissant pour un changement significatif.

CIFAR : De votre point de vue, comment envisagez-vous l’impact de cette initiative à l’avenir?
HC : Comme point de départ, je recommande une approche en deux volets. D’abord, il convient de créer un pôle d’impact rassemblant les plus brillants cerveaux du monde, tant du Canada que d’ailleurs, afin de combler d’importantes lacunes dans les domaines des sciences biologiques et sociales ainsi que sur le plan des dimensions commerciales de l’alimentation. Ensuite, il faut un dialogue axé sur l’action pour mettre à profit le pouvoir de rassemblement du CIFAR en vue de transformer les résultats scientifiques en solutions politiques concrètes, qu’il s’agisse de financement, de protection sociale ou de mobilisation du secteur privé. Par l’association de la science de pointe et des applications pratiques, la recherche se traduit en impact concret.
Grâce à son approche audacieuse et à son engagement sans faille en faveur du meilleur de la science qui remet en question le statu quo, le CIFAR est particulièrement bien placé pour diriger les initiatives visant à redéfinir les systèmes alimentaires, non seulement sur le plan de la nutrition, mais aussi en tant que pierre angulaire du progrès de l’humanité.
Misant sur les conclusions du rapport du panel exploratoire sur l’avenir de l’alimentation, le CIFAR lancera un appel à ateliers exploratoires en septembre 2025 dans le cadre de la nouvelle Initiative sur l’avenir de l’alimentation CIFAR-Arrell. Les ateliers exploratoires ont pour objectif d’encourager la collaboration au sein de nouveaux réseaux de recherche interdisciplinaires d’envergure mondiale et de leur procurer le cadre nécessaire à la résolution des questions fondamentales énoncées dans le rapport.