Par: CIFAR
27 Avr, 2018
Des hallucinations simulées en réalité virtuelle produisent une expérience visuelle similaire à celle de drogues psychédéliques, jetant de la lumière sur les processus qui sous-tendent la perception visuelle dans le cerveau.
Hallucination, apprentissage profond, machine, conscience, réalité virtuelle
La présente étude a associé la réalité virtuelle et l’apprentissage automatique dans un simulateur d’hallucinations pour examiner comment le cerveau traite la perception consciente de l’information visuelle. Les chercheurs ont comparé les expériences déclarées des participants dans le simulateur d’hallucinations, une vidéo témoin et la psylocybine (une drogue hallucinogène).
Afin de mieux comprendre le fonctionnement des états altérés de la conscience, les chercheurs s’intéressent depuis longtemps aux drogues hallucinogènes et aux troubles psychiatriques. Cela fait longtemps que l’on se penche sur ces drogues — comme le LSD et la psilocybine (champignons) — ainsi que sur des états comme la psychose pour étudier ces états altérés.
Un intérêt renouvelé pour le domaine a mené à de nouvelles recherches sur les effets de l’expérience consciente d’une imagerie hallucinatoire par l’entremise de la réalité virtuelle (RV). La simulation d’expériences hallucinogènes en RV permet aux chercheurs d’étudier les mécanismes qui sous-tendent la perception des hallucinations sans l’interférence d’autres effets physiologiques et cognitifs causés par des drogues ou des états psychiatriques.
Une nouvelle étude réalisée par Anil Seth, Boursier principal au sein du programme Cerveau, esprit et conscience Azrieli de l’ICRA, et des collègues de l’Université du Sussex vise à produire des simulations d’hallucinations plus justes que celles utilisées dans des recherches antérieures en RV. Pour ce faire, les chercheurs, dont l’auteur principal Keisuke Suzuki, ont eu recours à des enregistrements d’environnements visuels véritables, plutôt qu’une imagerie générée par ordinateur moins réaliste. Ils avancent que cela offre une approximation plus juste d’hallucinations visuelles véritables, permettant une meilleure analyse des aspects visuels d’états altérés de la conscience.
Afin de simuler des expériences hallucinatoires pour les participants, les chercheurs ont créé la « machine à hallucinations » (Hallucination Machine), un casque de réalité virtuelle à affichage panoramique 360 degrés. Cette machine exploite deux technologies : les réseaux neuronaux convolutionnels profonds (deep convolutional neural networks, DCNN) et des vidéos panoramiques de scènes naturelles (c’està-dire, véritables). Les DCNN sont des systèmes d’apprentissage automatique qui imitent le processus de traitement du cerveau humain et des autres primates. On les utilise souvent pour la vision automatique, car ils peuvent reconnaître des objets dans les images.
Pour ajouter une qualité hallucinogène aux vidéos panoramiques, les chercheurs ont modifié un algorithme de visualisation novateur, appelé Deep Dream, qui repère des caractéristiques catégoriques que le réseau neuronal convolutionnel profond a apprises – par exemple, des visages. Deep Dream transforme l’environnement ordinaire illustré dans les vidéos de RV par l’ajout d’interprétations hallucinatoires du paysage, comme en intégrant la face d’un chien dans des objets.
Les chercheurs ont comparé les hallucinations simulées à des simulations véritables par l’entremise de deux expériences. Dans la première, ils ont vérifié à quel point la machine à hallucinations reproduisait correctement les hallucinations véritables. Au départ, avec douze participants, les chercheurs ont comparé l’expérience des participants portant le casque de RV à leur expérience lors du visionnement d’une vidéo témoin non altérée et à des rapports d’états psychédéliques découlant de la prise de psilocybine, une drogue hallucinogène.
La deuxième expérience a examiné si le recours à la technologie induisait des distorsions temporelles – un aspect souvent associé à une conscience altérée qui fausse la perception du temps. Pour ce faire, les chercheurs ont confié aux participants une tâche de chronométrage sous l’influence de la machine à hallucinations ou lors du visionnement des vidéos témoins. Ensuite, les participants ont évalué leur expérience subjective du temps pendant l’expérience hallucinatoire simulée et les vidéos témoins.
Les participants ont signalé des expériences perceptuelles associées à la machine à hallucinations qui étaient similaires aux expériences signalées lors d’études antérieures par des personnes sous l’influence de la psilocybine. Les participants ont déclaré avoir connu des expériences perceptuelles similaires pour plusieurs mesures de l’expérience subjective, y compris l’étrangeté, les motifs et les couleurs de l’imagerie, l’intensité de l’expérience, et une impression altérée de la taille et de l’espace. Il n’y a pas eu de telles similarités pour les expériences associées à la machine à hallucinations et les vidéos témoins.
Toutefois, dans la deuxième expérience, les participants ont signalé que leur perception du temps était la même quand ils étaient sous l’influence d’hallucinations simulées et lors du visionnement de vidéos témoins.
Les hallucinations générées par la machine à hallucinations ont entraîné chez les participants une expérience similaire sur le plan qualitatif à l’expérience hallucinatoire d’origine pharmacologique, mais n’ont pas altéré la perception du temps.
Cette étude constitue la base d’une meilleure compréhension de l’aspect visuel des états altérés de la conscience qui se révélerait utile en psychiatrie et dans l’étude de la conscience. En particulier, l’étude jette de la lumière sur le mécanisme de traitement des hallucinations visuelles dans le cerveau. Les technologies DCNN et Deep Dream traitent l’information d’une façon similaire à celle du système visuel humain et, pour cette raison, pourraient constituer une nouvelle façon d’analyser les mécanismes neuronaux de la perception visuelle. L’algorithme Deep Dream traite l’information visuelle d’après les théories visuelles fondées sur le traitement prédictif. Dans cet algorithme, les perceptions visuelles découlent de multiples couches de traitement qui produisent une image perçue en trouvant un équilibre entre ce que les gens s’attendent à voir et les signaux sensoriels qu’ils reçoivent. Les chercheurs suggèrent que les hallucinations pourraient se produire quand l’un ou l’autre de ces intrants se trouvent en déséquilibre à cause, par exemple, de l’effet d’une drogue ou d’une atteinte perceptuelle.
Ces recherches démontrent que la complexité des hallucinations semble être contrôlée par le niveau de traitement dans le réseau neuronal où ces intrants sont altérés. La manipulation de couches inférieures a entraîné une imagerie plus simple et plus géométrique, alors que la manipulation de couches supérieures a mené à des hallucinations associées à des visages, à des objets et à des scènes. Les chercheurs avancent que le système visuel humain pourrait fonctionner de façon similaire.
Comme l’expérience hallucinatoire simulée n’a pas altéré la perception du temps dans la présente étude, les chercheurs suggèrent que les expériences de temps altéré sont peut-être le fruit des effets de composés psychédéliques qui n’ont aucun lien direct avec la perception visuelle.
RÉFÉRENCES
Anil K. Seth et coll., A Deep-Dream virtual reality platform for studying altered perceptual phenomenology. Scientific Reports; (2017) ;7:numéro 15982.
AUTEURE DU COMPTE-RENDU DE RECHERCHE
Stephanie Orford, B. Sc. (spécialisé), neuroscience comportementale, Université Simon Fraser, pour l’ICRA.