Par: Jon Farrow
1 Fév, 2019
Des recherches récentes réalisées en collaboration par Melvyn Goodale, codirecteur du programme Cerveau, esprit et conscience Azrieli, font de la lumière sur la façon dont le cerveau traite inconsciemment l’information visuelle en étudiant une personne atteinte de vue aveugle affective.
Melina Canning est une Écossaise de 49 ans atteinte de cécité corticale. Ses yeux, ses nerfs et la majeure partie de son cerveau sont parfaitement fonctionnels, mais une série d’accidents vasculaires cérébraux survenus il y a vingt ans ont endommagé les régions cérébrales responsables de la compréhension et de l’interprétation conscientes de la vision. Elle est incapable de voir les formes, les couleurs et les visages, mais elle peut détecter certains mouvements visuels.
Canning ne sait pas quand elle regarde un visage. Mais si on lui présente des images de visages et qu’on lui demande de deviner les émotions illustrées, ses réponses sont bien souvent plus justes que des réponses aléatoires. D’une façon ou d’une autre, elle voit le contenu émotionnel sans s’en rendre compte.
La vue aveugle affective de Canning est intéressante et contre-intuitive, mais des neuroscientifiques comme Goodale pensent qu’il s’agit plus que d’une simple curiosité. Cet état ouvre une fenêtre sur les parties les plus primitives du cerveau qui traitent les émotions rapidement et inconsciemment.
Dans le cas de Canning, le manque de perception consciente semble être la clé pour réussir cette tâche apparemment impossible. Quand on lui a demandé de ralentir et de préciser son niveau de confiance quant à la justesse de ses suppositions, ses réponses n’étaient pas plus souvent correctes que si elle avait simplement tiré à pile ou face.
Ces constatations étonnantes ont mené Goodale et ses collègues, Chris Striemer et Rob Whitwell, à conclure que l’information visuelle entrante contourne les aires responsables de la vision consciente des visages. Au lieu d’atteindre le cortex visuel primaire, l’aspect émotionnel des images est traité dans une autre structure profonde du cerveau appelée amygdale. Et comme l’amygdale de Canning fonctionne normalement, elle est capable d’interpréter les émotions. Peut-être que l’introspection ou l’évaluation de la justesse de ses suppositions a d’une certaine façon forcé l’information à essayer de trouver les parties endommagées du cerveau de Canning, mais cela l’a menée à une impasse.
Les aires visuelles à l’arrière du cerveau de Canning sont gravement touchées. Les accidents vasculaires cérébraux ont endommagé de nombreuses aires corticales qui soutiennent le traitement visuel du visage dans son cerveau. L’IRM d’un cerveau sain est illustrée aux fins de comparaison.
« Le traitement ne se fait pas dans le cortex cérébral, les signaux se rendent en fait dans des structures du sous-cortex que nous partageons avec les grenouilles et les reptiles. Il s’agit de voies très anciennes qui sont présentes chez d’autres animaux », explique Goodale.
Il peut paraître étrange que l’information visuelle contourne la conscience, mais cela se produit tout le temps. Selon Goodale, l’œil envoie l’information directement à plus de dix cibles différentes dans le cerveau et cela est pratiquement imperceptible pour notre moi conscient. Notre rythme circadien, par exemple, est associé aux cycles de lumière et d’obscurité de notre environnement sans perception consciente.
L’état de Canning vient soutenir les résultats voulant que le traitement émotionnel se fasse au moins en partie inconsciemment. Le prochain casse-tête est de comprendre comment cette voie vers l’amygdale fonctionne dans un cerveau sain.
Ces recherches sont publiées dans Neuropsychologia.