Par: CIFAR
2 Août, 2018
Cet atelier d’introduction d’un jour a réuni des boursiers du programme Architecture moléculaire de la vie du CIFAR et des dirigeants pharmaceutiques pour discuter des progrès actuels, des défis et des occasions futures en matière de découverte de médicaments.
Les participants ont exploré quatre thèmes principaux, soit : lacunes actuelles en industrie, dynamique spatiotemporelle des biomolécules, analyse de cellules individuelles et pharmacologie des systèmes, et avenir de la protéomique et de la biologie structurale. Les présentateurs ont abordé de nombreux sujets, notamment : cibles médicamenteuses courantes, méthodes novatrices pour dépister les effets des médicaments, méthodes et outils pour surveiller la dynamique des cibles médicamenteuses et l’évolution de la maladie, et technologies novatrices d’utilité clinique.
Les participants ont relevé plusieurs facteurs qui limitent actuellement la découverte de médicaments, y compris la disponibilité d’outils pour évaluer la dynamique spatiotemporelle dans différents types tissulaires, le besoin de rehausser le partage de données, l’importance de décrire plus en détail les conditions expérimentales, l’absence d’une signature du bien-être et le recours à des modèles dans les premières étapes du processus de la découverte qui ne reflètent pas avec précision les divers aspects de la maladie humaine. L’établissement de valeurs de référence illustrant un état sain pour tous les types de biomolécules nous permettrait de mieux comprendre les modifications associées à la maladie et, en retour, pourrait mettre en lumière des cibles médicamenteuses éventuelles. La discussion a permis de cerner plusieurs domaines où de plus amples recherches sont nécessaires. Les contraintes susmentionnées pourraient-elles expliquer les observations actuelles voulant que la plupart des médicaments échouent à cause d’un problème associé à l’efficacité, plutôt qu’à l’innocuité? Le manque d’investissement dans une meilleure compréhension biologique de la maladie, particulièrement les maladies complexes, pourrait-il aussi contribuer à l’échec de l’efficacité des médicaments? Comme certains médicaments ne sont indiqués que chez une population très spécifique et limitée (par exemple, la présence d’une mutation spécifique), un meilleur profilage des patients pourrait-il mener à une plus grande efficacité médicamenteuse?
La discussion a aussi porté sur des méthodes qui pourraient améliorer la découverte de médicaments, comme l’utilisation de modèles biologiques pertinents qui reproduisent la maladie humaine avec plus de précision (par ex., échantillons de patients ex vivo), la combinaison de méthodes (biologie structurale et computationnelle) et l’association de plusieurs couches de données « omiques » (protéomique, métabolomique, génomique, lipidomique, etc.). La mise au point d’autres outils est nécessaire pour faciliter la fusion de ces ensembles de données à large échelle.
Il y a eu des présentations et des discussions sur de précieux outils pour la découverte de nouveaux médicaments et la surveillance de la réaction aux traitements : transfert d’énergie par résonance bioluminescente, qui permet l’étude de la dynamique de la signalisation en temps réels dans les cellules vivantes; fluorescence excitée à deux photons, qui permet de visualiser les structures subcellulaires dans la rétine d’animaux vivants; laser picoseconde infrarouge, qui permet une précision chirurgicale au niveau de la cellule individuelle sans formation de tissu cicatriciel; lame de phase volta, une méthode de contraste de phase pour la microscopie électronique à transmission, et; résonance paramagnétique électronique (EPR) et double résonance électron-électron (DEER), des méthodes pour mesurer la distance entre les étiquettes de spin et des sources ultra-brillantes d’électrons qui permettent l’observation des mouvements atomiques pendant des processus chimiques. On s’attend à ce que des améliorations aux technologies actuelles, y compris des outils permettant leur combinaison, améliorent la découverte de médicaments. Finalement, un criblage à haut rendement de microbiomes individuels pour évaluer les interactions entre les médicaments et le microbiome a révélé que la réaction à divers médicaments homologués par la FDA diffère entre les sujets et peut avoir de graves effets sur le microbiome. Conséquemment, les participants se demandent s’il ne faudrait pas analyser les effets sur le microbiome de nouveaux candidats-médicaments.
La première séance, présidée par Michel Bouvier, Boursier principal du CIFAR, auteur principal et chef de la direction, Institute for Research in Immunology and Cancer, a porté sur les lacunes actuelles en industrie et sur ce qu’il faut pour découvrir la prochaine génération de médicaments. Les participants ont souligné le besoin de repousser les limites de la technologie actuelle et de créer des technologies qui se prêtent à une plus grande communauté de chercheurs en transcendant les domaines. Il faut explorer et aborder comment la communauté scientifique peut avancer pour réaliser des recherches qui ont un plus grand impact sur la découverte de médicaments. La mise au point de technologies qui peuvent éclairer ce qui se passe à l’échelle atomique et la création de cartes moléculaires de la cellule pourraient mener à une meilleure conception de médicaments.
RÉSULTATS DE LA DISCUSSION DE GROUPE SUR LES LACUNES ACTUELLES EN INDUSTRIE
L’établissement de valeurs de référence illustrant un état sain faciliterait la découverte de médicaments.
Afin de comprendre les changements biologiques détaillés qui se produisent dans la maladie, des valeurs de référence illustrant un état sain sont nécessaires pour tous les types de biomolécules. Une meilleure compréhension des mécanismes détaillés en jeu dans l’évolution d’un état sain vers la maladie nous procurera de précieuses données sur des cibles médicamenteuses éventuelles. Bien qu’il y ait une masse de données sur la maladie, il nous manque encore une signature du bien-être. La surveillance de sujets au fil du temps avant la manifestation de la maladie permettrait d’établir une signature du bien-être. L’analyse d’échantillons humains actuellement entreposés dans des banques de tissu pourrait faciliter l’établissement de cette signature protéique du bien-être.
L’élargissement du partage de données et une meilleure définition des conditions expérimentales des échantillons peuvent améliorer la découverte de médicaments.
Il est essentiel de connaître la structure des protéines pour découvrir des médicaments et, en associant la biologie structurale et computationnelle, on peut améliorer la découverte de médicaments (par ex., sur le plan de la puissance). Malgré la masse de données émanant de la révolution récente des « omiques », les biologistes computationnels ont besoin de plus de données de haute qualité pour dresser un portrait complet. Les participants ont souligné l’importance de fournir des données détaillées sur les conditions expérimentales et cela pourrait contribuer à résoudre le problème de la capacité limitée de reproduction des résultats expérimentaux qu’on qualifie de « crise de la reproductibilité ». Le partage public des données de façon cohérente, qui permet leur interprétation interdisciplinaire, a aussi été souligné. Il faut explorer plus à fond quelle serait la nature des infrastructures d’entrepôts de données nécessaires au partage cohérent des données.
Une analyse multi-omique serait avantageuse pour la découverte de médicaments.
L’association de plusieurs couches de données omiques, comme la transcriptomique, la génomique, la lipidomique et la protéomique, pourrait produire de précieuses données sur la découverte de médicaments et les mécanismes d’action. Toutefois, nous ne disposons pas encore des méthodes nécessaires pour combiner les données omiques, ni des méthodes qui permettraient une corrélation significative des données. Comme les protéines constituent l’unité biologique fonctionnelle ultime, les données protéomiques se révèlent particulièrement utiles pour la découverte de médicaments. Actuellement, les données transcriptomiques sont relativement abordables et on prédit que dans cinq à dix ans le coût des données protéomiques sera comparable.
Robert H. Austin, conseiller du CIFAR et professeur à l’Université de Princeton, a présidé cette séance qui a mis en vedette des présentations de Michel Bouvier, Boursier principal du CIFAR, et auteur principal et chef de la direction de l’Institute for Research in Immunology and Cancer, et de Krzysztof Palczewski, Boursier principal du CIFAR, et professeur et directeur du département de pharmacologie à l’Université Case Western Reserve.
MICHEL BOUVIER
Détection en temps réel de la propagation des signaux dans les cellules vivantes
KRZYSZTOF PALCZEWSKI
Pharmacologie des systèmes : Développement de médicaments grâce à une nouvelle compréhension des réseaux cellulaires
RÉSULTATS DE LA DISCUSSION DE GROUPE SUR LA DYNAMIQUE SPATIOTEMPORELLE DES BIOMOLÉCULES, ET SUR L’ANALYSE DE CELLULES INDIVIDUELLES ET DE LA PHARMACOLOGIE DES SYSTÈMES
Nous ne disposons pas d’outils pour évaluer la dynamique spatiotemporelle in vitro.
À l’échelle d’une cellule individuelle, il est impossible de capter la signature de l’orientation spatiale et il est ardu de l’évaluer, exception faite des outils conçus spécifiquement pour l’œil où il est possible d’évaluer la réaction individuelle des bâtonnets et des cônes, et où les mêmes cellules peuvent être réinterrogées. Quand on ne peut prendre en compte cette dynamique, on perd le contexte environnemental (c’est-à-dire, les cellules adjacentes). De nombreux médicaments échouent-ils parce qu’il n’y a pas d’évaluation de la dynamique spatiotemporelle? La mise au point d’outils efficaces, compatibles avec divers tissus, en vue d’évaluer la dynamique spatiotemporelle améliorerait-elle la découverte de médicaments?
La plupart des médicaments n’échouent pas à cause d’un problème associé à l’innocuité, mais plutôt en raison d’un manque d’efficacité.
Cela souligne le besoin de modèles plus pertinents pour mettre à l’essai des médicaments en stade précoce (problème d’application). Plusieurs sont passés à des systèmes qui reproduisent la maladie humaine plus étroitement, y compris des échantillons de patients ex vivo (c’est à dire, des organoïdes). Compte tenu de l’hétérogénéité de certaines maladies (c’est-à-dire, l’hétérogénéité tumorale), un meilleur profilage des patients pourrait aussi contribuer à accroître l’efficacité des médicaments. L’absence d’évaluation de la dynamique spatiotemporelle pourrait-elle contribuer à la mauvaise efficacité des médicaments?
Est-ce qu’une meilleure compréhension de la biologie en jeu permettrait d’accroître le taux de succès de la découverte de médicaments?
Les maladies monogéniques, comme la fibrose kystique, constituent l’objet principal de la découverte de médicaments, car la cause est connue et une seule cible est nécessaire. Dans le cas de maladies complexes, comme la schizophrénie, nous ignorons les mécanismes précis et cela vient entraver la découverte de médicaments. Encore une fois, le manque de données sur le bien-être limite notre compréhension des modifications biologiques qui ont cours dans la maladie. De plus, l’hétérogénéité dans la maladie entrave l’apprentissage automatique, car il faudrait alors un grand nombre de points de données cohérents. La singularité du cancer présente des complications pour l’apprentissage automatique.
Pourrait-on améliorer le taux de réussite de la découverte de médicaments en modifiant le portefeuille de la découverte de médicaments?
Pour de nombreuses maladies, aucun modèle animal ne reproduit pleinement la maladie humaine. Conséquemment, des pressions se font sentir pour passer directement des essais précliniques sur l’innocuité chez les animaux aux essais cliniques de phase 1.
Krzysztof Palczewski, Boursier principal du CIFAR, professeur et directeur du département de pharmacologie de l’Université Case Western Reserve, a présidé cette séance qui a mis en vedette des présentations de R.J. Dwayne Miller, codirecteur du programme Architecture moléculaire de la vie, Boursier principal du CIFAR et directeur de l’Institut Max-Planck, et de Daniel Figeys, Boursier principal du CIFAR et directeur du département de biochimie, de microbiologie et d’immunologie de l’Université d’Ottawa.
R.J. DWAYNE MILLER
Dépasser les limites spatiotemporelles fondamentales de l’imagerie cellulaire : Feuille de route technologique pour dresser une carte moléculaire de la cellule.
DANIEL FIGEYS
Une nouvelle plateforme de criblage de microbiomes individuels.
RÉSULTATS DE LA DISCUSSION DE GROUPE SUR L’AVENIR DE LA PROTÉOMIQUE
Faudrait-il garantir l’innocuité des nouveaux candidats-médicaments pour le microbiome?
Comme la réaction du microbiome à divers médicaments homologués par la FDA diffère d’une personne à l’autre, les nouveaux candidats-médicaments devraient-ils faire l’objet d’une épreuve d’innocuité pour le microbiome? De plus, devrait-on classer les médicaments en fonction de leurs effets sur le microbiome? Après une exposition aux antibiotiques, certains microbiomes sont incapables de se rétablir et des résultats préliminaires ont démontré que certains médicaments homologués par la FDA, qui n’appartiennent pas à la famille des antibiotiques, peuvent avoir des conséquences sur le microbiome qui ressemblent à celles entraînées par un antibiotique. Si on allait de l’avant avec ces épreuves, il faudrait alors cerner la composition d’un microbiome « sain ».
Le laser infrarouge picoseconde (PIRL) compte de nombreuses applications cliniques éventuelles.
Le laser PIRL ne devrait pas causer de dommages à la couche épithéliale de la cornée, car il a été utilisé dans l’œil à de nombreuses reprises sans entraîner la formation de tissu cicatriciel. Conséquemment, le laser PIRL pourrait se révéler utile dans le traitement de la cataracte, car la modalité thérapeutique actuelle implique l’utilisation d’une aiguille et de l’administration d’ondes de choc avec aspiration qui peuvent endommager la cornée. De plus, le laser PIRL peut se prêter à des biopsies du foie et à l’administration de médicaments. Pourrait-on appliquer cette technologie aux métastases? Comme les métastases sont inopérables, serait-il avantageux d’enlever les tumeurs métastatiques? Il est à noter que les virus peuvent passer à la phase gazeuse à l’aide de cette technologie et qu’elle est donc classée comme un risque biologique; le virus de la mosaïque du tabac a pu infecter une feuille.
Daniel Figeys, Boursier principal du CIFAR et président du département de biochimie, de microbiologie et d’immunologie de l’Université d’Ottawa, a présidé cette séance qui a mis en vedette des présentations d’Oliver Ernst, codirecteur du programme Architecture moléculaire de la vie, Boursier principal du CIFAR et professeur à l’Université de Toronto, et de R.J. Dwayne Miller, codirecteur du programme Architecture moléculaire de la vie, Boursier principal du CIFAR et directeur de l’Institut Max-Planck.
OLIVER ERNST
Progrès actuel dans notre compréhension de la structure des RCPG.
R.J. DWAYNE MILLER
Méthodes pour l’analyse structurale et l’imagerie en solution à haut rendement.
RÉSULTATS DE LA DISCUSSION DE GROUPE SUR L’AVENIR DE LA BIOLOGIE STRUCTURALE
La cryomicroscopie électronique est un outil précieux pour étudier les structures biologiques. L’amélioration de cette technique et son association à d’autres technologies amélioreront d’autant plus la découverte de médicaments. Bien que de meilleurs logiciels et détecteurs puissent améliorer la cryomicroscopie électronique, la préparation des échantillons est un facteur limitatif. Les échantillons doivent être homogènes et il faut en tenir compte lors de l’établissement de liens avec la biologie. Pour dresser le portrait complet d’une interaction médicamenteuse, les photographies statiques ne suffisent pas. La réalisation de films serait utile pour évaluer si un médicament atteint sa cible et s’y lie.