Par: Cynthia Macdonald
30 Avr, 2019
La levure C. auris, dangereuse et pharmacorésistante, prolifère presque partout
Depuis dix ans, Leah Cowen est témoin de la propagation mondiale d’un pathogène mortel. Il est pharmacorésistant, difficile à diagnostiquer, survit facilement sur les surfaces et cible les personnes dont le système immunitaire est déprimé.
Il s’agit d’un champignon pathogène appelé Candida auris. Cowen est codirectrice (avec Joseph Heitman, professeur à l’Université Duke) du nouveau programme Règne fongique : Menaces et possibilités du CIFAR, et spécialiste de la biologie et de l’évolution des pathogènes fongiques. Ceux-ci tuent plus de 1,5 million de personnes par année et l’une des missions clés du programme est de répondre au besoin urgent à l’échelle mondiale de nouveaux types de médicaments dans le domaine.
Une souche de C. auris cultivée dans une boîte de Pétri
C. auris n’est pas une bactérie ni un virus, mais une forme de levure qui fait partie du règne fongique.
« L’un des problèmes, c’est que les organismes du règne fongique sont des eucaryotes et ressemblent donc bien plus à leurs hôtes humains que les bactéries », explique Cowen, professeure et directrice du département de génétique moléculaire à la Faculté de médecine de l’Université de Toronto. « Comme ils partagent de nombreux processus essentiels avec les humains, il est difficile de les tuer sans produire aussi des effets toxiques chez le patient. »
En conséquence, il y a très peu de médicaments contre les infections fongiques. « Nous avons seulement trois grandes familles d’antifongiques, comparativement à une douzaine de familles d’antibiotiques. Et certaines souches sont résistantes à tout ce qui existe. »
Tout comme les bactéries, les levures colonisent l’intérieur et l’extérieur de notre corps. La levure courante Candida albicans peut causer le muguet buccal ou des infections vaginales quand elle prolifère de façon incontrôlée (par exemple, en raison de la prise d’antibiotiques pour lutter contre une infection bactérienne). Toutefois, même si sa pharmacorésistance s’accroît, C. albicans demeure facile à traiter.
De plus, elle prolifère le mieux dans des espaces corporels chauds, alors que C. auris prolifère presque partout.
« L’un des plus grands problèmes c’est que C. auris semble incroyablement persistante dans l’environnement, dit Cowen. C’est tout un problème en milieu hospitalier, car elle peut contaminer toutes sortes de surfaces. »
C. auris a été identifiée pour la première fois en 2009 dans l’oreille d’une femme de 70 ans, au Japon (« auris » veut dire oreille en latin). Personne ne sait où tout a commencé, mais certains ont formulé l’hypothèse que sa résistance pourrait s’expliquer par l’utilisation excessive d’azoles, des antifongiques utilisés en agriculture. Les azoles constituent également la classe de médicaments la plus populaire pour traiter les infections chez l’humain.
Jusqu’à présent, le pathogène a été trouvé chez 19 patients canadiens. Les gens touchés le plus gravement étaient déjà immunodéprimés, notamment à cause d’un cancer ou d’une greffe d’organe. Toutefois, comme Cowen a dit, les hôpitaux sont pleins de gens comme ça. « Et si vous devez fermer l’unité des soins intensifs d’un hôpital, c’est un très gros problème. » Récemment, c’est ce qu’un hôpital britannique a dû faire.
C. auris nous rappelle que les organismes du règne fongique peuvent être mortels, non seulement pour les humains, mais aussi pour les plantes et les animaux. À l’échelle mondiale, les maladies fongiques déciment le cinquième des cultures sur pied et entraînent la perte d’un autre 10 pour cent des cultures en entreposage. De plus, au cours des cinquante dernières années, une maladie fongique appelée chitrydiomycose a entraîné l’extinction de 90 espèces d’amphibiens.
Selon Cowen, le monde se rend finalement compte du danger que peut représenter le règne fongique. « Le vent est en train de tourner, dit-elle. Nous vivons un moment crucial. »
D’un autre côté, elle souligne que le règne fongique peut aussi être bénéfique. En fait, certains des médicaments les plus utiles de l’histoire, de la pénicilline aux statines, sont fabriqués par des organismes du règne fongique.
« Ils peuvent entraîner tout un éventail de résultats, voilà pourquoi notre programme du CIFAR s’articule à la fois autour des menaces et des possibilités que ces organismes représentent. Nous voulons exprimer très spécifiquement que les organismes fongiques posent de très grandes menaces, mais présentent aussi de formidables possibilités pour la résolution d’autres problèmes. »