Par: Emma Tarswell
26 Mar, 2020
Le cancer est la deuxième cause de décès à l’échelle mondiale et entraîne environ un décès sur six. Il s’agit d’une maladie difficile à diagnostiquer et à traiter, car chaque tumeur est différente. Le cancer peut prendre bien des trajectoires au fil de son évolution et de sa propagation. De nouvelles recherches tirent profit de l’IA pour reconstruire cette trajectoire afin de déterminer les causes d’un cancer et de cerner les traitements éventuellement les plus efficaces.
Quaid Morris est titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR à l’Institut Vecteur et professeur au Centre Donnelly de l’Université de Toronto. Dans son laboratoire, il a recours à des méthodes en apprentissage automatique pour résoudre des problèmes biologiques, comme la génétique et le cancer. Morris est l’auteur principal, de concert avec Lincoln Stein de l’Institut ontarien de recherche sur le cancer, de deux articles récents publiés dans Nature Communications sur l’analyse du génome de 2600 tumeurs destinée à cerner des profils communs dans le cadre du consortium Pan Cancer Analysis of Whole Genomes (PCAWG).
Le cancer se produit quand des mutations dans une cellule stimulent de façon incontrôlée sa croissance et sa division. Souvent, les mutations désactivent le mécanisme de réparation de l’ADN d’une cellule qui, selon Morris, pourrait constituer la clé pour retracer la source d’un cancer. Comme les cellules cancéreuses sont incapables de réparer leur ADN, les mutations s’accumulent, telle une espèce de registre de tous les endroits où la cellule est allée.
« Les cellules cancéreuses évoluent à partir de cellules normales et saines en cellules cancéreuses, en raison de l’accumulation de mutations conductrices qui leur confèrent un avantage sélectif », dit Morris. « Et pendant qu’elles accumulent ces mutations conductrices, elles acquièrent aussi des milliers de mutations passagères. »
Selon Morris et ses collaborateurs, ces mutations passagères, ainsi nommées car elles ne participent pas activement à la croissance et à la division rapide des cellules cancéreuses, reflètent l’environnement de la cellule. L’exposition à des substances cancérigènes, comme la fumée de cigarette, et l’état du tissu où vivent les cellules, laisseront des signatures mutationnelles distinctives. Des chercheurs comme Morris peuvent utiliser ces signatures pour découvrir où le cancer a commencé dans l’organisme et pourquoi.
Les signatures mutationnelles sont complexes. Comme le génome compte des milliards de paires de bases d’ADN et que celles-ci peuvent changer de nombreuses façons différentes, la quantité de données à analyser est considérable. L’apprentissage automatique se nourrit de données.
Dans le premier article, Morris et son équipe ont utilisé un système d’apprentissage profond pour cerner le tissu d’origine d’un cancer.
La métastase, le phénomène par lequel le cancer se propage d’un tissu à un autre, est fréquente, mais la sensibilité d’un cancer au traitement dépend de son tissu d’origine. Comme le signalent Morris et son équipe dans l’article, trois pour cent des patients présentent un cancer métastatique dont l’origine est inconnue. Même pour bien des pathologistes, il est difficile de distinguer les tumeurs métastatiques des tumeurs primaires.
Sachant que les mutations passagères refléteront la trajectoire d’un cancer dans l’organisme, l’équipe de Morris a entraîné un algorithme d’apprentissage profond à classer les tumeurs en fonction de leur profil de mutations. Les chercheurs ont d’abord montré au système un ensemble de données étiquetées sur les milliers de génomes de tumeurs disponibles dans le consortium PCAWG. Après la phase d’entraînement, ils ont montré au système des génomes de tumeurs qu’il n’avait pas vus auparavant et lui ont demandé de classer les tumeurs dans l’une de 24 catégories.
L’algorithme a réussi le test haut la main et a correctement identifié l’origine de 83 pour cent des tumeurs. Il s’agit d’un résultat considérablement supérieur à la moyenne de 50 pour cent obtenue par les pathologistes humains.
Grâce au financement et au renforcement des capacités qu’offre le programme des Chaires en IA Canada-CIFAR, Morris a pu élargir son éventail d’outils fondés sur l’IA. « Nous avons eu recours à des techniques en apprentissage profond que mon laboratoire n’aurait pas normalement utilisées », dit-il. « Grâce au financement du CIFAR et à nos liens avec l’Institut Vecteur, nous nous sommes intéressés à ces techniques en [apprentissage profond] et je crois que cela a donné d’excellents résultats. »
Le deuxième article, qui fait la démonstration d’un logiciel appelé Tracksig, a retracé l’évolution du cancer d’après les mutations qu’il accumule.
« Ces mutations passagères n’ont aucune incidence fonctionnelle », dit Morris. « Mais elles ne sont pas complètement aléatoires, car le type de mutation qu’acquièrent les cellules dépend de ce qui a causé la mutation. » Morris et d’autres dans le domaine ont découvert que, de façon générale, la substance cancérigène à l’origine du cancer laissera sa signature tôt dans le processus. En repérant le moment des mutations, les chercheurs se rapprochent de la cause.
TrackSig exploite l’apprentissage automatique pour repérer des profils dans les mutations et cerner le moment probable des mutations dans une tumeur, ce qui équivaut essentiellement à retracer son histoire évolutive. Non seulement cela offre-t-il des indices quant à la cause d’un cancer, mais cela se révèle aussi utile pour cerner le bon traitement. « Un certain nombre de traitements anticancéreux ciblent des éléments du mécanisme de réparation de l’ADN », dit Morris. « Si nous arrivons à voir l’impact de l’absence ou des déficiences du mécanisme de réparation de l’ADN [à l’aide de TrackSig], nous aurons accès à un deuxième signal qui peut nous aider à interpréter si oui ou non quelqu’un réagirait mieux au traitement. »
Des liens plus étroits avec la communauté de l’apprentissage automatique par l’entremise du programme des Chaires en IA Canada-CIFAR ont permis à Morris de découvrir les plus récentes techniques et d’embaucher des étudiants talentueux pour appliquer celles-ci à des problèmes biologiques. « [Le programme des Chaires en IA Canada-CIFAR] a sans contredit accru le transfert de technologies à des cadres cliniques », dit-il.
Morris croit que la combinaison de percées en génomique et en science biomédicale, et de techniques récentes en informatique transformera le cancer d’une maladie aiguë et mortelle en une maladie chronique. Selon lui, pour réussir, il faut comprendre les différents profils dans l’ADN. « Le plus grand problème du siècle est de comprendre la signification de notre ADN et le fonctionnement de nos cellules », dit-il. « Et je crois qu’il serait possible de résoudre ce problème de notre vivant. »
Quaid Morris est titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR à l’Institut Vecteur.
Le programme des chaires en IA Canada-CIFAR constitue le programme clé de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA du CIFAR. Au total, 86,5 millions de dollars ont été attribués à ce programme.
Le programme des Chaires en IA Canada-CIFAR a pour objectif d’embaucher et de maintenir en poste au Canada certains des plus grands chercheurs en IA du monde, et de leur offrir un financement de recherche à long terme à l’appui de leurs programmes de recherche et de la formation de la prochaine génération de chefs de file de l’IA.