Par: CIFAR
16 Jan, 2017
C’était dans les années 1930 et le père de Jerry Heffernan avait un problème. La ferme familiale en Colombie-Britannique produisait des pommes, mais la famille n’avait aucun moyen de les acheminer au marché.
Un jour Heffernan a marché dix milles jusqu’à Nelson, le village voisin, et a négocié un contrat avec le propriétaire d’une usine de confitures pour lui vendre les fruits. Il a ensuite utilisé le contrat en garantie pour acheter un camion usagé. Après ça, il est rentré à pied à la maison et a parlé du contrat à son père. Il ne pouvait pas rentrer en camion, car, à 13 ans, il était trop jeune pour avoir un permis de conduire.
Un tel esprit d’entreprise conjugué à un esprit scientifique et à un désir incessant d’accroître l’efficience ont finalement permis à Heffernan de bâtir une entreprise sidérurgique internationale et, ce faisant, de transformer l’industrie mondiale de l’acier. Il dit avoir été attiré par le CIFAR, car il a pu y voir cette même importance accordée à l’application des leçons de la recherche à la transformation concrète du monde qui nous entoure.
Heffernan est l’ingénieur et homme d’affaires qui a fondé l’empire Co-Steel dont les innovations technologiques ont contribué à créer la révolution de la « mini aciérie électrique ». Il est aussi un bienfaiteur de longue date du CIFAR à titre de donateur et d’ancien administrateur. Sa participation a commencé en 1985, peu après avoir discuté de l’Institut avec Fraser Mustard, le fondateur du CIFAR.
« Je me rappelle de ma première rencontre avec Fraser, nous nous sommes tout de suite bien entendu. Je me suis toujours beaucoup intéressé au côté scientifique des choses et en échangeant avec Fraser j’ai découvert que nous partagions de nombreuses visions de l’industrie et de la science. C’est alors que tout a commencé », dit Heffernan.
Heffernan est né à Edmonton en 1919, mais sa famille a déménagé dans la région de Kootenay (Colombie-Britannique) alors qu’il était enfant. La famille vivait dans une région minière et œuvrait dans cette industrie – son grand-père en tant que propriétaire d’une mine et son père en tant que courtier, près de Kaslo.
Heffernan se rappelle que devant la mine de son grand-père se trouvait un gros rocher avec des incrustations d’or pour illustrer la qualité du minerai. Heffernan soupçonne que son grand-père avait incrusté des particules d’or dans le rocher à l’aide d’un fusil de chasse. « Mon grand-père était un grand promoteur », dit-il.
Enfant, Heffernan allait dans les mines avec un ami de son père et avait appris à si bien identifier les minerais qu’il avait gagné cinq dollars dans un concours où il s’était mesuré à des adultes, y compris des prospecteurs et d’autres professionnels.
En plus de susciter son intérêt pour les mines et les métaux, son enfance dans la région de Kootenay lui a permis de perfectionner deux qualités qui se révéleraient précieuses pour lui en tant qu’homme d’affaires – l’esprit entrepreneurial et la prise de risque. Il cueillait et vendait des baies de Huckleberry, il collectionnait des bouteilles de bière et, à 16 ans, il avait même conclu un contrat avec un boxeur professionnel à la retraite. En vertu du contrat, le boxeur professionnel devait facturer 25 cents du match aux partisans pour le regarder se battre en échange de leçons. Pour se détendre, il faisait de la randonnée en montagne et se baignait dans des lacs glaciaires. « J’ai bien peur d’aimer le risque », dit-il.
À l’Université de Toronto, il a étudié le génie métallurgique et s’est joint au Corps-école d’officiers canadiens (COTC). Avant de passer ses examens de fin d’année, on lui a remis son diplôme et il est devenu officier du Corps du génie royal canadien et a formé de nombreux pelotons de troupes d’ingénieurs.
« Après la fin de la guerre, un collègue officier et moi jouions au cribbage et nous ennuyions à mourir. Cet officier m’a alors dit “Plusieurs membres de mon peloton retournent à l’université.” »
Heffernan a obtenu un congé et a visité le département de génie à l’Université de la Colombie-Britannique. L’ami de Heffernan avait raison. Comme tant d’hommes servaient encore outre-mer, il manquait de personnel à l’université, et les gens tentaient désespérément de se préparer à l’arrivée d’anciens militaires qui s’inscriraient bientôt. L’université a embauché Heffernan et s’est arrangée pour qu’il obtienne une libération immédiate.
« J’ai rencontré le Dr Frank Forward, le directeur du département, il m’a pris dans ses bras et a dit, “Comme je suis content de vous voir. J’ai tous ces gars qui reviennent et je suis tout seul dans le département. »
Heffernan a été professeur et doctorant, et il assistait aussi à des cours en administration des affaires. Au bout du compte, après avoir suivi les conseils d’un professeur qui lui avait dit qu’il ferait un jour un excellent chef de la direction, il a quitté l’université pour l’industrie privée. Il a accepté un poste de métallurgiste à la Western Iron & Steel Foundry.
« La fonderie était dirigée par une bande d’Écossais, des durs à cuire, qui faisaient dans les sciences occultes. Le fondeur évaluait la température de l’acier à l’œil, selon sa couleur. Et bien sûr, la couleur changeait avec la lumière. Si le temps était ensoleillé et clair, il obtenait une certaine lecture. S’il pleuvait et que c’était nuageux, il obtenait une autre lecture. Ils avaient beaucoup de problèmes avec la fusion de la ferraille. »
Heffernan a convaincu les membres sceptiques de la direction d’acheter un pyromètre optique qui donnerait une lecture très précise de la température. Le pyromètre a éliminé les problèmes de coulage et Heffernan a ensuite instauré un certain nombre d’autres changements qui ont amélioré l’exploitation de l’usine. Mais ce n’était pas toujours facile de convaincre le surintendant. « C’était un vieil Écossais à l’air sévère. “Ça marchera pas, mon gars. Ça marchera pas.” Voilà ce qu’il me disait habituellement quand je lui proposais un changement. À force de me battre contre mon vieux Jimmy, je me suis retrouvé avec mon premier ulcère. »
Mais il s’agissait d’une bonne expérience qui prouvait qu’une méthode plus scientifique en sidérurgie pouvait rapporter fruit. « Je me rappelle que mes professeurs avaient parlé de l’art et de la science de la sidérurgie. Mon objectif était de me débarrasser de l’“ art ” », dit Heffernan.
Quand Heffernan s’est lancé dans l’industrie, l’acier était fabriqué principalement dans de grands hauts fourneaux et dans des fours à creuset ouvert de 1000 tonnes. L’acier en fusion était coulé dans de grands lingots de 30 tonnes et laminé dans d’immenses aciéries pour en faire des plaques, des rouleaux et des barres.
En 1954, Heffernan a construit une aciérie à Edmonton dotée de fours électriques à arc de 30 tonnes où se faisait la coulée continue de billettes à laminer directement en produits finis. En 1963, Heffernan a vendu l’aciérie à la Steel Company of Canada (STELCO) basée à Hamilton, en Ontario, et a mis sur pied une autre entreprise, Lake Ontario Steel Co. (LASCO), à Whitby, pour faire concurrence à STELCO à l’aide de fours électriques à arc et de la coulée continue. Voilà ce qui est devenu la première véritable « mini aciérie électrique », selon John Stubbles, historien dans le domaine, et cela a marqué le début d’une nouvelle ère en sidérurgie.
Heffernan a poursuivi le développement de la technologie et a continué à ouvrir d’autres usines. Il met sur pied Co-Steel International en 1970 qu’il développe pour en faire un empire de mini aciéries électriques avec des usines en Angleterre et aux États-Unis.
Dans les décennies qui ont suivi, la technologie de la mini aciérie électrique – moins coûteuse, plus souple et moins polluante – a été adoptée partout sur la planète et a contribué à fermer les vieilles usines moins efficaces. Aujourd’hui, environ 33 pour cent de l’acier à l’échelle mondiale est fabriqué dans des fours électriques à arc.
En 2014, la carrière de Heffernan lui a mérité une place dans le Panthéon canadien des sciences et dans l’American Metal Market Hall of Fame. Heffernan a reçu de nombreux prix et hommages, y compris : prix AIME Benjamin E. Fairless pour son leadership en matière de nouvelles conceptions et techniques en sidérurgie; médaille d’or des Ingénieurs professionnels de l’Ontario; officier de l’Ordre du Canada; médaille d’or Bessemer de l’Institute of Metals du R.-U. en reconnaissance d’innovations technologiques dans l’industrie sidérurgique; médaille commémorative Tadeusz Sendzimir de l’Association for Iron & Steel Technology; et membre honoraire de AIME pour son engagement envers l’avancement des technologies de sidérurgie et de coulée continue associées aux fours électriques à arc. En outre, il a été admis au Panthéon canadien des sciences et du génie et au Temple de la renommée de l’entreprise canadienne.
Impressionné par la vision qu’avait Fraser Mustard de l’Institut canadien de recherches avancées, Heffernan s’est joint au conseil d’administration de le CIFAR en 1985. Ses conseils ont aidé le CIFAR à cheminer à travers ses premières années, alors que l’Institut visait à atteindre la stabilité financière. Un tournant décisif s’est produit pour le CIFAR quand Heffernan et le Dr Gerry Hatch, fondateur de Hatch Engineering, ont embauché David Johnston, aujourd’hui le gouverneur général du Canada, à devenir le premier président de le CIFAR. Heffernan et Hatch ont chacun fait un don de 1 million de dollars au CIFAR comme fonds de roulement.
Parmi ses nombreux intérêts de recherche, notons les travaux réalisés sur le développement pendant la petite enfance par Clyde Hertzman et d’autres au sein d’un programme du CIFAR qui s’appelle maintenant Développement du cerveau et de l’enfant. Ces dernières années, Heffernan a aussi montré de l’intérêt pour le nouveau programme du CIFAR Énergie solaire bioinspirée, dirigé par le Dr Ted Sargent de l’Université de Toronto.
« Ted aime prendre des risques et je crois que c’est un atout essentiel pour son travail, dit Heffernan. Les résultats de ce programme auront une immense incidence. Grâce à une meilleure compréhension de la photosynthèse, les chercheurs pourront répondre à d’importantes questions. Tous les enfants suivent des cours sur la photosynthèse, mais personne ne sait vraiment comment ça fonctionne. »
« La vision scientifique et les connaissances en affaires de Jerry ont fait de lui un atout précieux au CIFAR », dit Alan Bernstein, président et chef de la direction du CIFAR. « Il est un grand bienfaiteur de l’Institut depuis très longtemps et nous n’aurions jamais pu concrétiser toutes nos réalisations sans lui. Jerry comprend vraiment l’importance de la recherche scientifique et comment celle-ci peut avoir une incidence positive sur le monde. Nous avons de la chance d’avoir pu compter sur son soutien et sur ses conseils judicieux pendant toutes ces années », dit Bernstein.