Par: Dan Falk
8 Mar, 2016
Victoria Kaspi, boursière de la Fondation R. Howard Webster et membre du programme Cosmologie et gravité de l’ICRA, est reconnue depuis longtemps pour ses travaux de pointe sur les étoiles exotiques ultra-denses.
Et cet hiver, la chercheuse de l’Université McGill a reçu un hommage particulièrement prestigieux, la médaille d’or Gerhard Herzberg, le prix plus le plus important décerné à des scientifiques canadiens. Ce prix d’une valeur d’un million de dollars est décerné par le CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Kaspi est à la fois la plus jeune récipiendaire et la première femme à recevoir la médaille en 25 ans d’histoire.
« Ses recherches scientifiques sont de calibre mondial », dit Christine Wilson, astronome à l’Université McMaster et présidente actuelle de la Société canadienne d’astronomie. « Elle mérite grandement cet honneur. » Mario Pinto, président du CRSNG, a dit qu’il s’agissait d’« un grand tournant », ajoutant que cela montre « aux filles et aux jeunes femmes… que l’hommage le plus prestigieux du CRSNG est à leur portée ».
Kaspi, membre du programme Cosmologie et gravité de l’ICRA, est née au Texas; sa famille a bougé beaucoup avant de s’établir à Montréal, alors qu’elle avait sept ans. Et bien qu’elle ait toujours aimé la science, elle admet que son parcours vers une carrière en astronomie est quelque peu le fruit d’un heureux hasard. Elle était douée en mathématiques, mais le domaine lui semblait trop déconnecté de la réalité; quant à la chimie, elle ne se pratiquait pas sans se salir les mains, se rappelle-t-elle, et la biologie n’avait pas suscité son intérêt. Il restait donc la physique – mais elle aimait aussi la littérature et se sentait déchirée entre les deux. Au bout du compte, elle a fait un choix pragmatique. « Je me suis dit que je pourrais toujours lire de bons romans dans mes temps libres, mais qu’il serait difficile d’avoir la physique comme passe-temps », dit-elle.
Au baccalauréat, Kaspi s’est plongée dans la physique et a obtenu son diplôme en n’ayant pratiquement aucun contact avec l’astronomie. Conséquemment, elle ne savait « presque rien » de l’astronomie quand elle a commencé son doctorat à l’Université de Princeton. « J’ai tout simplement appris au fil de mes études. »
Et sans contredit elle a beaucoup appris – particulièrement sur les étoiles ultra-denses et compactes, comme les étoiles à neutrons et les pulsars. Une étoile à neutrons est ce qui reste après qu’une étoile massive a épuisé tout son carburant nucléaire; elle explose en supernova et ensuite s’effondre. Le cadavre stellaire qui demeure est si dense qu’une poignée de la matière qui forme une étoile à neutrons pourrait peser aussi lourd que la Terre. Kaspi, maintenant âgée de 48 ans, est devenue une grande spécialiste de ces objets étranges.
« La matière d’une étoile à neutrons ne se compare à aucune autre matière connue ou que l’on pourrait fabriquer en laboratoire », explique Kaspi. « La densité de ces étoiles, par exemple, est extrêmement élevée – plus de dix fois la densité d’un noyau atomique. Cette matière nous est vraiment étrangère. »
Il y a aussi les pulsars – des étoiles à neutrons en rotation qui émettent des ondes radio à intervalles très précis, tel un phare cosmique. Grâce à leurs sursauts radio précis, habituellement à des intervalles d’environ 60 millisecondes, les pulsars peuvent servir d’« horloges » pour réaliser des mesures très précises de phénomènes astrophysiques, explique Kaspi. Conséquemment, si un pulsar se trouve à faire partie d’un système binaire – dont plusieurs ont maintenant fait l’objet d’études – on peut s’en servir pour calculer diverses propriétés du système, comme son énergie totale.
À l’Université de Princeton, Kaspi a travaillé avec un groupe dirigé par Joseph Taylor qui avait étudié un système stellaire binaire contenant un pulsar. Les données de Taylor démontraient que le système perdait de l’énergie. Soixante-dix ans plus tôt, Einstein avait trouvé une explication à ce phénomène : un tel système irradierait de l’énergie sous la forme d’ondes gravitationnelles. Les travaux de Taylor ont confirmé la prédiction d’Einstein, offrant des données solides (quoiqu’indirectes) quant à l’existence des ondes gravitationnelles. Taylor a partagé le prix Nobel de physique avec le physicien Russell Hulse en 1993, l’année où Kaspi a terminé son doctorat. En février dernier, on a annoncé la première détection directe d’ondes gravitationnelles à l’aide des détecteurs jumeaux LIGO (Observatoire d’ondes gravitationnelles par interférométrie laser).
Kaspi, même si elle ne participe pas directement à LIGO, a transmis des données essentielles aux spécialistes des ondes gravitationnelles. (En fait, certains théoriciens avaient prédit qu’un système binaire d’étoiles à neutrons en coalescence constituerait la source la plus probable d’ondes gravitationnelles qui seraient repérées; il se trouve qu’une paire de trous noirs a fourni le premier signal.) « Il y a en fait beaucoup de synergie entre les spécialistes des pulsars, comme moi, et les gens de LIGO », précise Kaspi. « Ils doivent savoir combien il y a d’étoiles à neutrons dans l’espace et nous pouvons les aider en la matière, car nous sommes constamment en train d’observer notre propre galaxie à la recherche de ces étoiles. »
Actuellement, Kaspi s’intéresse beaucoup à un autre phénomène astronomique étrange, les sursauts radio rapides (FRB pour Fast Radio Bursts). Les FRB sont des sursauts rapides d’ondes radio provenant de directions apparemment aléatoires dans le ciel. Ils semblent venir de très loin, mais à part cela, ils relèvent pratiquement de l’énigme pour nous. Mais des données issues d’un nouveau télescope canadien connu sous le nom de CHIME (Expérience canadienne de cartographie de l’hydrogène), en Colombie-Britannique, pourraient finalement nous permettre d’acquérir quelque lumière sur les FRB. Quoique CHIME ait été conçu pour étudier l’« énergie sombre », l’entité mystérieuse qui compose le gros du contenu énergétique de l’Univers, il se trouve qu’il se prête parfaitement à l’étude des FRB, dit Kaspi.
Le prix en argent de la médaille Herzberg permettra à Kaspi d’embaucher des étudiants diplômés et des stagiaires postdoctoraux pour contribuer à l’analyse des téraoctets de données que CHIME commencera à produire à sa mise en fonction l’année prochaine, et pour attirer de nouveaux talents à l’Institut spatial de McGill, dont Kaspi est la directrice.