Par: Jon Farrow
16 Sep, 2020
De nouveaux résultats obtenus par des Boursiers du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR et l’équipe du télescope CHIME continuent à mener à la création de connaissances exceptionnelles en astrophysique
Les sursauts radio rapides (SRR) sont des éclairs intenses d’ondes radio provenant de l’espace — mesurables en millisecondes — qui échappent à toute explication depuis leur découverte en 2007.
« Nous ignorons de quoi il s’agit », déclare Victoria Kaspi, boursière de la Fondation R. Howard Webster, directrice du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR et professeure à l’Université McGill. « Si nous le savions, nous n’aurions pas tout ce plaisir. C’est [le mystère] lui-même qui suscite tant notre curiosité. Mais beaucoup de données scientifiques s’accumulent. »
Comme les SRR sont trop puissants pour provenir d’une simple explosion stellaire et trop courants pour émaner d’un événement exotique comme la fusion d’étoiles à neutrons, leur origine demeure un casse-tête astrophysique non résolu. Mais au fil de la découverte d’autres sursauts intergalactiques par l’Expérience canadienne de cartographie de l’intensité de l’hydrogène (CHIME, Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment), le nombre de causes possibles diminue.
Une merveille canadienne
Si CHIME a d’abord vu le jour comme instrument pour cartographier la structure à grande échelle de l’hydrogène dans l’Univers (une tâche à laquelle il continue d’exceller), Kaspi et ses collègues du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR ont participé étroitement à l’adaptation du télescope pour la recherche de SRR. C’est à l’occasion de discussions entre boursiers lors de réunions du CIFAR que les astronomes se sont rendu compte que le télescope ferait un excellent détecteur de SRR. Grâce à ses longs demi-cylindres et à sa conception particulière, il peut détecter des dizaines de SRR en observant patiemment de grands pans du ciel.
« Après avoir construit un nouvel et puissant instrument, comme ce que nous avons fait, les gens entretiennent le rêve que cette puissance permettra aussi la résolution de nouvelles énigmes inattendues », déclare Mark Halpern, Bousier au sein du programme Extrême Univers et Gravité, professeur de physique à l’Université de la Colombie-Britannique et chercheur principal au sein de l’équipe du télescope CHIME. « Ce rêve est maintenant devenu réalité pour nous. »
Il a fallu programmer et construire une toute nouvelle infrastructure de données, aspect du projet auquel travaille Matt Dobbs, également Boursier au sein du programme et professeur à l’Université McGill. « Le débit de données brutes de CHIME, ce que nous transmettons réellement à nos systèmes électroniques, est énorme. Cela correspond à 13,2 térabits par seconde », explique Dobbs. « Quand nous avons construit le [système], c’était plus que le trafic mobile de données du monde entier. »
« Le CIFAR a joué un rôle déterminant pour catalyser le développement du radiotélescope CHIME », écrit Gary Hinshaw, Boursier du programme et professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, dans le sondage auprès des boursiers de 2020. « J’ai quitté un emploi à la NASA il y a près de 10 ans pour m’installer au Canada afin de contribuer à la création et au développement du télescope CHIME. Je savais à l’époque qu’il s’agirait d’un projet stimulant, novateur et amusant, au potentiel scientifique immense. Je n’ai jamais regretté ce déménagement et ma participation au CIFAR a bonifié le tout. »
En 2018, avant l’activation des récepteurs de CHIME, on constatait généralement que le nombre de théories sur l’origine des SRR dépassait celui des détections.
Regardez Vicky Kaspi parler du mystère des SRR en novembre 2018, avant que CHIME n’entraîne une révolution dans le domaine.
Tout a changé au cours des premiers mois de la phase de prédémarrage de CHIME. En janvier 2019, l’équipe du télescope CHIME a annoncé la détection de treize nouveaux sursauts, dont un répéteur. Il s’agissait des premiers résultats de CHIME et ceux-ci laissaient présager un torrent imminent de données et de découvertes.
En août 2019, une fois CHIME pleinement opérationnel, l’équipe a annoncé la détection de huit autres sources répétitives. Cette découverte laissait entrevoir la possibilité que toutes les sources de SRR soient répétitives, mais que certaines n’aient tout simplement pas été détectées plus d’une fois. Il pourrait aussi y avoir deux types de sources : celles qui sont répétitives et celles qui ne le sont pas. Quoi qu’il en soit, certaines théories ont été écartées, car des événements catastrophiques et ponctuels comme des explosions ou des fusions stellaires ne peuvent pas entraîner de SRR répétitifs.
Cinq mois plus tard, en janvier 2020, CHIME a rajouté à la complexité de l’affaire quand l’équipe a signalé que l’une de ces sources répétitives est périodique. Le sursaut réapparaît tous les 16 jours selon un horaire si régulier que, d’après Kaspi, « vous [pouvez] vous y fier pour régler votre calendrier ».
« L’origine de cette source périodique et répétitive découverte par CHIME a été localisée dans une pouponnière d’étoiles en périphérie d’une galaxie spirale », explique Ingrid Stairs, Boursière au sein du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR et professeure à l’Université de la Colombie-Britannique. « Nous ignorons l’origine de cette période de 16 jours, mais elle semble terriblement longue pour toute forme de rotation. »
En avril 2020, quatre mois après cette découverte, CHIME nous a fait une autre surprise. « En avril, pendant la pandémie, un magnétar dans notre galaxie a soudainement émis un énorme sursaut radio », explique Kaspi. « Les magnétars sont des étoiles à neutrons hautement magnétiques et il se trouve que moi et certains de mes étudiants, membres de l’équipe du télescope [CHIME], les avions étudiés pendant de nombreuses années. Un signal aussi massif provenant d’un magnétar dans notre galaxie n’avait jamais été détecté par quiconque. »
Cet événement, décrit par l’équipe dans un article publié sur un serveur de prépublication en mai 2020 et accepté ensuite par la revue Nature, était le premier du genre jamais observé.
« Tout d’abord, cela nous a montré que les magnétars pouvaient exhiber un tel comportement », dit Kaspi. « Deuxièmement, cela nous a fait croire qu’il était non seulement plausible, mais aussi probable que certains SRR de galaxies lointaines sont aussi des magnétars. Mais les sources lointaines devraient tout de même être un peu plus brillantes que celle que nous avons observée dans notre galaxie. Conséquemment, le niveau de certitude n’atteint pas 100 pour cent, mais c’est très révélateur. »
Comme il est possible de configurer CHIME pour qu’il observe le même grand pan de ciel, nuit après nuit, il peut attendre que se manifestent des événements astrophysiques intéressants, même si les astronomes ne savent pas exactement où ni quand chercher. Cela fait de lui un excellent chasseur de SRR. « Il était très probable que nous détections des centaines de SRR. Nous le savions depuis le début et c’est effectivement ce qui s’est passé », dit Kaspi.
L’étape suivante consiste à regrouper les centaines de SRR détectés dans un seul et même catalogue, et à y repérer des motifs.
Matt Dobbs est particulièrement emballé par les réponses que pourrait fournir l’analyse statistique populationnelle de centaines d’événements de SRR bien caractérisés. « Pour la première fois, ce nouveau catalogue va examiner de manière systématique la nature de la distribution des sursauts radio rapides à travers l’Univers, plutôt que de se concentrer sur des objets individuels », déclare-t-il.
Une fois le catalogue publié aux fins d’examen par la communauté des astrophysiciens, le prochain grand projet pour les astronomes du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR consistera à cerner l’origine de ces événements ponctuels.
Comme le ciel compte des milliards de galaxies, repérer précisément celle d’où provient un SRR requiert un niveau de précision qui est impossible à atteindre avec CHIME seul. « Pour le moment, l’unique SSR que CHIME a vraiment localisé est le répéteur [périodique] », explique Stairs. « Il a été localisé, car nous savons qu’il est répétitif et que d’autres télescopes peuvent l’observer et découvrir son emplacement. »
Grâce au soutien de la Fondation Gordon et Betty Moore et de la National Science Foundation, et à une subvention Catalyseur du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR, les Boursiers du CIFAR ont l’intention de construire une série de télescopes satellites plus petits pour faciliter la triangulation des signaux de SRR.
Le premier de ces télescopes satellites, à Allenby (Colombie-Britannique), se trouvera à 100 kilomètres de la base du télescope CHIME à l’Observatoire fédéral de radioastrophysique de Penticton. Une fois le télescope pilote mis en service à la fin 2021, il servira de banc d’essai au logiciel complexe responsable de l’établissement de corrélations dans la grande quantité de données émanant du ciel qui auront été enregistrées dans de multiples endroits.
La prochaine étape consistera à construire un autre mini-CHIME à l’autre bout du continent, à l’observatoire de Greenbank en Virginie occidentale.
« Avec CHIME, nous avons une base de 80 mètres », dit Dobbs. « Mais si nous installons un télescope satellite à Greenbank, nous aurions une base de trois mille kilomètres. Conséquemment, non seulement pourrions-nous déterminer approximativement où [tous les SRR] se trouvent dans le ciel, mais nous pourrions aussi cerner leur galaxie d’origine. Et mieux encore, nous pourrions repérer leur emplacement au sein de la galaxie d’origine elle-même, que ceux-ci se trouvent dans le noyau galactique, dans les halos centraux ou en périphérie. De telles données nous seraient d’un grand secours pour mieux comprendre l’origine des sursauts radio rapides. »
Trois ans après la première lueur au télescope CHIME, connaît-on la cause des SRR?
La meilleure réponse à cette question est que certaines des sources répétitives de SRR sont probablement des magnétars, mais il pourrait aussi y avoir d’autres phénomènes en jeu. Cette réponse est le fruit d’idées audacieuses, de collaborations interdisciplinaires et du travail d’une équipe de scientifiques dévoués qui compte de nombreux chercheurs en début de carrière.
« Le succès du projet SRR du télescope CHIME en particulier, et de l’astronomie en général, tient vraiment à tous nos remarquables stagiaires postdoctoraux, étudiants diplômés et programmeurs », explique Stairs. « Ils ont fait un travail incroyable et ont construit ce [télescope] à partir de zéro au fil de quelques années. »
« Voilà comment progresse la science », dit Kaspi. « Les SRR constituent un tout nouveau phénomène astrophysique. Il est impossible d’élucider l’intégralité du problème du jour au lendemain, ça ne marche pas comme ça. Il faut plutôt procéder petit à petit, morceau par morceau. Nous avons assemblé des morceaux du casse-tête. L’image complète nous échappe encore, mais nous sommes sur la bonne voie. »
Le programme Extrême Univers et gravité du CIFAR réunit des chercheurs de renommée mondiale œuvrant en astrophysique, en cosmologie, en astronomie computationnelle et en physique des hautes énergies pour étudier les événements les plus extrêmes de l’Univers dans le but de comprendre son origine et son évolution.
Voici les membres du programme Extrême Univers et gravité qui font partie de l’équipe du télescope CHIME : J. Richard Bond (Université de Toronto), Matt Dobbs (Université McGill), Mark Halpern (Université de la Colombie-Britannique), Gary Hinshaw (Université de la Colombie-Britannique), Victoria Kaspi (Université McGill), Ue-Li Pen (Université de Toronto), Scott Ransom (National Radio Astronomy Observatory), Ingrid Stairs (Université de la Colombie-Britannique) et l’ancien Chercheur mondial CIFAR-Azrieli Keith Vanderlinde (Université de Toronto).