Par: Alan Bernstein
23 Avr, 2018
La semaine dernière, le conseil d’administration de l’ICRA s’est rencontré à Montréal.
En soirée, après la réunion du conseil dans la magnifique salle de conférence de Power Corporation, nous avons tenu un dîner réunissant près de cent personnes du milieu universitaire, du gouvernement et du secteur privé. Après ce repas, il y a eu un débat d’experts dont le thème était : Le CIFAR et le Québec : L’histoire d’une réussite en IA. Animé gracieusement par Olivier Desmarais, membre du conseil d’administration du CIFAR, l’événement a célébré le dynamisme de l’écosystème québécois de l’intelligence artificielle (IA), ainsi que le grand partenariat entre le CIFAR et le Québec qui a permis d’établir cet écosystème.
Voici la composition du groupe d’experts : Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec; Yoshua Bengio, Boursier principal et codirecteur d’un programme du CIFAR, MILA et Université de Montréal; Joelle Pineau, Boursière principale du CIFAR, Université McGill et Laboratoire de recherche en IA de Facebook; Pierre Boivin, président et chef de la direction, Claridge Inc. et président du conseil d’administration du MILA; et Philippe Beaudoin, cofondateur d’Element AI.
L’excellence en matière d’IA à Montréal et dans la province de Québec saute aux yeux. Qu’il s’agisse du MILA, des centres d’excellence à l’Université de Montréal et à l’Université McGill, de l’écosystème hautement robuste composé de géants du domaine, comme Facebook et Microsoft, d’entreprises en accélération, comme Element AI ou d’entreprises en démarrage qui sont trop nombreuses pour en faire la liste, il ne fait aucun doute que Montréal a su se hisser au rang de centre d’excellence mondial en IA pour le Canada et aussi pour le monde.
Cette excellence d’envergure mondiale est le fruit du dur labeur de personnes et d’organisations qui ont collaboré au fil de nombreuses années à l’atteinte d’une vision et d’objectifs communs. Dans mes remarques, à l’occasion de cette soirée, j’ai souligné qu’il ne faudrait pas tenir cette réussite pour acquis. En effet, le succès de Montréal (et du Canada) en recherche et en innovation dans le domaine de l’IA fait figure d’exception dans un écosystème canadien qui affiche un mauvais rendement en la matière, comme il a été signalé dans le rapport annuel du Conseil des académies canadiennes au chapitre de la transformation de la recherche en de nouveaux produits ou en des entreprises prospères.
Je crois que le Canada a beaucoup à apprendre de notre succès exceptionnel en recherche et en innovation dans le domaine de l’IA. Le soutien du CIFAR au profit de la recherche en IA, qui a commencé dans les années 80 pendant ce qu’on appelait l’hiver de l’IA, a joué un rôle déterminant pour attirer, maintenir en poste et former de grands talents en IA. Dirigé à l’époque par Geoff Hinton (Université de Toronto), Membre distingué de l’ICRA, et aujourd’hui par Yoshua Bengio et Yann LeCun de l’Université de New York, ce programme réunit sans aucun doute la meilleure équipe de spécialistes de l’IA de la planète.
Philippe Beaudoin d’Element AI n’aurait pu mieux dire quand il a parlé de sa vision du CIFAR :
« L’ICRA a compris que pour générer de grandes idées il faut mettre en lien les plus brillants cerveaux. C’est très facile de croire que seul le financement importe. Mais à un moment donnée, les millions de dollars de plus ont moins d’importance que de donner du temps à des gens brillants qui sont prêts à collaborer, à s’asseoir à la même table, et à cerner et à résoudre de grandes questions de recherche. »
Il faut que les grandes institutions œuvrent à l’appui des grands scientifiques. Les universités à Montréal, à Toronto, à New York et ailleurs qui ont offert leur soutien à Geoff, à Yoshua et à Yann et à leurs collègues méritent notre reconnaissance pour le soutien qu’elles ont offert et qu’elles continuent à offrir.
L’ICRA a compris que pour générer de grandes idées il faut mettre en lien les plus brillants cerveaux.
Les gouvernements ont aussi un rôle important à jouer dans le soutien de la recherche fondamentale par l’entremise d’un financement à long terme et concurrentiel à l’échelle mondiale. Les gouvernements sont les véritables investisseurs providentiels de la recherche fondamentale. Le CIFAR est reconnaissant du généreux soutien que le gouvernement canadien et de nombreux gouvernements provinciaux, dont l’Ontario et le Québec, nous offrent depuis presque nos débuts il y a plus de 35 ans. Ce soutien a permis au CIFAR de mener à bien l’objectif qu’il s’était fixé à ses débuts : se pencher sur certaines des plus grandes questions de notre époque en mettant en lien les meilleurs chercheurs du monde, par-delà les domaines et les frontières. Le soutien du secteur public, associé à des fonds de contrepartie considérable du secteur philanthropique, a été un élément essentiel de notre succès.
La prise de risque, de grandes institutions et des scientifiques exceptionnels constituent tous des éléments clés. Mais tout cela ne doit pas se faire en vase clos. Comme l’ont souligné les membres de notre groupe d’experts, la clé de la réussite de l’IA pour Montréal et pour le Canada fut l’alignement, la volonté de toutes les pièces mobiles de cet écosystème de s’aligner dans l’atteinte d’un but commun. Cet esprit de communauté a créé les synergies et le dynamisme nécessaires pour attirer de brillants chercheurs, des entreprises, comme Google, Google Deep Mind, Facebook et Microsoft, ainsi que des regroupements de capitaux, comme Real Ventures et la Caisse de dépôt, et a encouragé des entreprises canadiennes, comme RBC, TD et Magna à investir. Et la création de nouvelles organisations, comme le MILA, procure un lieu de rencontre pour toutes ces pièces mobiles. De plus, des entreprises en accélération, comme Element AI, ont envoyé un signal aux étudiants, au gouvernement et aux entreprises, à savoir que le Québec et l’IA constituent un écosystème attirant où investir temps, talent et argent.
La Stratégie pancanadienne en matière d’IA a trois autres objectifs : création de chaires de recherche CIFAR-Canada pour attirer, maintenir en poste et former de grands spécialistes de l’IA, mise sur pied d’un programme national en IA et participation à une conversation mondiale sur les répercussions éthiques, juridiques, sociales et économiques des applications de l’IA.
Depuis plus de 35 ans, le CIFAR n’est pas qu’un rassembleur de grands chercheurs, mais aussi de grandes organisations. Conséquemment, quand le gouvernement du Canada a cherché à mettre sur pied une initiative pancanadienne qui renforcerait la position du Canada à titre de chef de file de la recherche et de l’innovation en IA, il s’est naturellement tourné vers le CIFAR pour le développement et la mise en œuvre de ce qui est devenu la Stratégie pancanadienne en matière d’IA, assortie d’un financement de 125 millions de dollars. Nous travaillons maintenant étroitement avec le MILA à Montréal et avec ses organisations sœurs, l’Institut Vecteur à Toronto et Amii à Edmonton. Tout comme le MILA à Montréal, ces instituts sont des plateformes d’expertise en IA et constituent des pôles d’attraction pour l’écosystème de l’IA dans ces trois villes.
En plus d’offrir un soutien financier à ces trois instituts, la Stratégie pancanadienne en matière d’IA a trois autres objectifs : création de chaires de recherche CIFAR-Canada pour attirer, maintenir en poste et former de grands spécialistes de l’IA, mise sur pied d’un programme national en IA et participation à une conversation mondiale sur les répercussions éthiques, juridiques, sociales et économiques des applications de l’IA.
La création de ces trois instituts constitue une expérience importante qui va bien au-delà de l’IA. Le CIFAR espère que, tout comme Janus, le dieu romain à deux visages qui sert de porte d’entrée vers deux pièces différentes, les trois instituts serviront d’expérience importante sur la façon de transformer les grandes idées de nos scientifiques et chercheurs talentueux en innovation dans les secteurs public et privé.
Trop souvent au pays nous déplorons notre mauvaise feuille de route en matière d’innovation dans la course mondiale pour transformer la recherche en de nouveaux produits, entreprises ou processus. Il y a trois leçons importantes à tirer du succès du Québec et du Canada en IA : premièrement, les grandes innovations émanent de l’excellence scientifique. Deuxièmement, seul le secteur public peut soutenir la recherche fondamentale à long terme et à risque élevé qui est à la base de l’innovation. Troisièmement, ce sont la complémentarité et l’alignement entre tous les joueurs de l’écosystème de la recherche et de l’innovation, dont l’excellence scientifique mondiale est le fondement, qui nous permettront d’atteindre la réussite en matière d’innovation.