Par: Jon Farrow
11 Déc, 2018
Une protéine découverte dans l’intestin du poisson zèbre pourrait nous aider à élucider un mystère de longue date sur le microbiome : pourquoi restons-nous insensibles à la plupart des bactéries qui nous habitent?
Il y a en chacun de nous au moins autant de cellules bactériennes que de cellules humaines. Mais les bactéries ne sont pas toujours de bonnes voisines. Elles disposent d’une paroi cellulaire dotée d’étranges protéines, elles libèrent des déchets et elles peuvent proliférer si massivement qu’elles en viennent à prendre le dessus. Pour nous protéger, nous nous sommes munis d’un système immunitaire qui recherche et détruit les cellules envahissantes.
Comme des billions de cellules bactériennes nous habitent et que le système immunitaire attaque des organismes étrangers, des chercheurs comme Karen Guillemin, Boursière principale au sein du programme Microbiome humain, se demandent pourquoi nous ne sommes pas aux prises avec une réaction inflammatoire massive permanente.
Une des réponses à cette question pourrait se trouver dans une nouvelle protéine découverte dans l’intestin d’un poisson zèbre dans le laboratoire de Guillemin. Cette protéine surnommée « modulateur immunitaire Aeromonas » (AimA) est au cœur d’une nouvelle étude publiée dans eLife. Elle est sécrétée par la bactérie Aeromonas, une résidente commune des vertébrés aquatiques, et a pour fonction de contenir le système immunitaire. Selon Guillemin, bien qu’il s’agisse d’une nouvelle découverte scientifique, sa forme « rappelle celle de nombreuses autres protéines, dont la lipocaline qui joue le rôle d’anti-inflammatoire chez les mammifères ».
Après une série d’épreuves en laboratoire, Guillemin a dit : « Il est évident que cette protéine exhibe une puissante action immunomodulatrice chez le poisson. Et nous avons pu démontrer qu’elle soulage l’inflammation causée par un certain nombre de stresseurs différents. Nous avons d’abord découvert qu’elle peut soulager l’inflammation causée par Aeromonas elle-même, mais nous avons ensuite démontré qu’elle pouvait aussi soulager d’autres types d’inflammation. Cela suggère qu’il s’agirait d’un mécanisme anti-inflammatoire plus global. »
En d’autres termes, la protéine maintient la paix. Et c’est avantageux non seulement pour l’hôte, qui se trouve à économiser de l’énergie et à récolter les fruits d’un microbiome stable, mais aussi pour les bactéries, qui jouissent d’un endroit stable où vivre et grandir. En conséquence, selon Guillemin, « cela a pour répercussion emballante que les résidents communs de l’intestin, comme Aeromonas, ont la motivation de produire des anti-inflammatoires, car c’est avantageux pour eux ».
Et vu son succès, Guillemin ne pense pas qu’Aeromanas soit la seule à adopter cette stratégie de conciliation dans l’environnement intestinal. Des travaux antérieurs réalisés en 2015 ont démontré que les bactéries intestinales du poisson zèbre ne sont pas aussi pro-inflammatoires qu’elles devraient l’être, ce qui suggère que beaucoup d’entre elles pourraient utiliser des protéines comme AimA pour réduire activement l’inflammation et vivre en harmonie avec l’hôte.
Dans le cadre de travaux futurs au sein du laboratoire de Guillemin et du programme Microbiome humain du CIFAR, des chercheurs tenteront d’élucider le mécanisme d’action de protéines comme AimA et de voir si ces mécanismes sont présents chez l’humain. Cela fait partie de l’objectif plus large du programme de découvrir comment les microorganismes interagissent et coévoluent avec leur hôte et l’environnement.