Comprendre l’impact du microbiome sur la santé publique par l’entremise d’une démarche multidisciplinaire
Par: Johnny Kung
16 Mar, 2020
16 mars 2020
Contexte
Des recherches récentes sur les microorganismes qui vivent sur nous et en nous — appelés collectivement « microbiote » ou « microbiome » — changent la perception que nous avons des microorganismes en science médicale et en santé publique selon laquelle ils sont principalement des agents infectieux à éliminer pour protéger la santé humaine. Nous comprenons de mieux en mieux maintenant que le microbiome constitue plutôt un élément essentiel de l’ holobiote qui interagit avec la physiologie et la génétique de l’hôte de façon complexe et bidirectionnelle, et qui pourrait contribuer au mécanisme de médiation des effets des environnements écologiques etsociaux sur la biologie de l’hôte. Conséquemment, il est important d’avoir une meilleure compréhension du microbiome humain, ainsi que de l’influence des pratiques sociales et culturelles, et des facteurs environnementaux sur le microbiome afin de favoriser la création d’une démarche intégrée et systémique pour aborder les politiques et la pratique de la santé publique, particulièrement en ce qui concerne les deux pôles de la vie : l’enfance et la vieillesse. Des travaux récents réalisés par les boursiers du programme Microbiome humain du CIFAR, où est mise à profit une expertise en microbiologie, en biologie de l’évolution, en anthropologie et dans d’autres domaines, illustrent l’importance d’avoir recours à une perspective véritablement interdisciplinaire pour étudier le rôle du microbiome dans la trajectoire de la santé humaine.
Pourquoi est-ce important?
Les travaux résumés dans le présent compte rendu soulignent des résultats importants émanant de recherches de pointe sur le microbiome humain que les professionnels de la santé publique devraient considérer lors de l’élaboration de programmes et de politiques. Nombre de ces études démontrent que des facteurs sociaux et environnementaux, comme le régime alimentaire, le style de vie, l’utilisation d’antibiotiques et l’environnement bâti, entraînent des changements importants et spécifiques dans le microbiome. Il y a, en retour, une corrélation entre les changements que subit le microbiome et un éventail de résultats en matière de santé qui font souvent l’objet de recherches et d’interventions en santé publique, y compris la malnutrition et le retard de croissance pendant l’enfance, la sensibilité aux infections, les maladies non transmissibles, comme l’asthme et la cardiopathie, et les maladies associées au vieillissement, comme la maladie d’Alzheimer. Une meilleure compréhension causale et mécaniste de l’influence des facteurs sociaux et environnementaux sur la santé par l’entremise du microbiome pourrait mener à des axes d’intervention supplémentaires relativement aux déterminants sociaux de la santé. En parallèle, les professionnels devront tenir compte des effets éventuels de la pratique clinique et des politiques en matière de santé sur le microbiome.
Résultats clés
L’interaction entre les facteurs environnementaux, le microbiome et les résultats en matière de santé
Une étude pilotée par Eran Elinav vient étayer la notion voulant que le microbiome joue un rôle important dans la médiation des effets de facteurs environnementaux sur les résultats en matière de santé. Dans le cadre de l’analyse d’une cohorte israélienne aux ascendances variées, les chercheurs ont découvert que ça n’est pas la génétique de l’hôte — définie par l’ascendance, la filiation génétique de la parenté ou les marqueurs génétiques d’une personne — mais plutôt des facteurs environnementaux (comme le régime alimentaire, le style de vie ou faire ménage commun) qui sont fortement associés à des différences dans le microbiome intestinal. De plus, par comparaison avec les différences génétiques de l’hôte, les auteurs ont découvert que la composition du microbiome est le facteur qui est le plus fortement associé avec les différences présentes dans un certain nombre de phénotypes liés à la santé, y compris l’indice de masse corporelle, le niveau de cholestérol HDL ou la glycémie.
Dans un article de synthèse publié dans Environmental Microbiology, Brett Finlay et ses collègues examinent la compréhension actuelle du lien entre l’exposition environnementale tôt dans la vie, le microbiome intestinal et l’incidence d’asthme ou d’allergie plus tard dans la vie. Les auteurs examinent les résultats probants sur une « fenêtre critique » dans les 100 premiers jours de la vie au cours de laquelle le microbiote intestinal peut moduler l’immunité de l’hôte — en limitant la synthèse de cellules immunitaires pro-inflammatoires et en favorisant la synthèse de cellules anti-inflammatoires — et, en retour, influencer la manifestation de l’allergie plus tard dans la vie. De plus, certains métabolites bactériens libérés par la dégradation de fibres alimentaires semblent protéger contre les allergies. Finalement, des recherches sur un certain nombre d’« expériences naturelles » auprès de collectivités qui affichent une géographie et une démographie similaires, mais dont le niveau d’industrialisation est différent, suggèrent que de vivre dans une région rurale, ou près d’une ferme ou d’un parc, là où la diversité microbienne est plus grande (ce qui transparaît aussi dans la diversité microbienne accrue de la poussière domestique), semble protéger contre les allergies.
Le microbiome et la transmissibilité des maladies chroniques
Une équipe de boursiers du programme Microbiome humain propose dans un article du volet perspective de la revue Science que certaines maladies chroniques traditionnellement considérées comme non transmissibles, comme le diabète non insulinodépendant, la cardiopathie et la maladie inflammatoire intestinale, pourraient en fait comporter une composante transmissible par l’entremise du microbiome, ce qui peut avoir des répercussions importantes en santé publique relativement aux mesures préventives et aux traitements. Les auteurs font un survol de résultats probants voulant que le microbiome soit souvent dans un état de déséquilibre ou de dysbiose chez les personnes atteintes de ces maladies chroniques; de données illustrant que les personnes qui vivent sous un même toit ou qui partagent une géographie similaire avec d’autres personnes atteintes de ces maladies acquièrent souvent et rapidement ces mêmes maladies, ainsi qu’un microbiome similairement dysbiotique; et de résultats expérimentaux démontrant que le transfert d’un microbiote dysbiotique d’un humain ou d’un modèle animal à un animal non malade peut entraîner des phénotypes pathologiques similaires. Bien que les corrélations soient fascinantes, les auteurs reconnaissent qu’il est difficile dans bien des cas de distinguer les effets directs des facteurs environnementaux de ceux du microbiome et ils souhaitent susciter de plus amples conversations et expériences pour mettre à l’essai plus rigoureusement les effets de causalité de microbiomes transmissibles sur la maladie chronique.
L’effet de l’exposition aux antibiotiques tôt dans la vie sur la santé
De plus en plus de résultats probants indiquent que la surconsommation d’antibiotiques peut entraîner des conséquences telles qu’il faudrait apporter des changements aux politiques publiques et à la pratique médicale, y compris comment la dysbiose causée par les antibiotiques chez le nouveau-né peut augmenter considérablement le risque d’asthme plus tard dans la vie. À la conférence annuelle de la Société internationale d’épidémiologie environnementale de 2019, Brett Finlay et ses collègues ont présenté des données de l’étude de cohorte prospective Canadian Healthy Infant Longitudinal Development (CHILD) Study portant sur près de 3500 enfants suivis depuis avant la naissance. Les données démontrent que l’utilisation systémique d’antibiotiques depuis la première année de la vie est en corrélation avec une diminution de la diversité du microbiome intestinal et une augmentation du risque d’asthme chez les enfants de 1 à 4 ans.
Un article récent du laboratoire de Martin Blaser procure encore d’autres données selon lesquelles l’utilisation d’antibiotiques tôt dans la vie a des effets sur les résultats en matière de santé plus tard dans la vie. Dans cette expérience, des souriceaux de 5 à 10 jours, exposés à des antibiotiques par le lait de leur mère, souffraient d’une forme plus grave de colite quand on les infectait avec une souche pathogène d’une bactérie intestinale aussi tard que 80 jours après l’exposition. Chez ces souris, la composition et la diversité du microbiote intestinal avaient considérablement changé et, quand ce microbiote altéré a été transféré à des animaux axéniques qui n’avaient pas été exposés à des antibiotiques tôt dans la vie, il a entraîné une sensibilité similaire à une forme plus grave de colite.
Le lien entre le microbiome et le retard de croissance
Dans une pilotée par Philippe Sansonetti et à laquelle ont aussi participé Brett Finlay et Tamara Giles-Vernick , les chercheurs ont analysé le microbiome d’enfants dans un contexte de retard de croissance, ou de croissance linéaire retardée, un problème de santé mondial majeur qui touche le quart des enfants du monde. En analysant le microbiote fécal et le microbiote intestinal de plus de 400 enfants à Madagascar et en République centrafricaine, l’étude a révélé que, chez les enfants chétifs, le microbiome de l’intestin supérieur (estomac et intestin grêle) ressemble davantage au microbiome que l’on trouve habituellement dans la cavité buccale et dans l’oesophage. De plus, les chercheurs ont observé une diminution du nombre d’espèces bactériennes qui produisent le butyrate, un métabolite riche en nutriments, ainsi qu’une augmentation des souches entéropathogènes, suggérant un cercle vicieux par lequel la dysbiose intestinale aggrave la malnutrition et l’infection. Ces résultats jettent une nouvelle lumière sur la pathophysiologie du retard de croissance et sur des modes d’intervention éventuels.
Les probiotiques et le microbiome intestinal
Les probiotiques sont de plus en plus populaires comme compléments alimentaires ou comme traitement, notamment pour la prévention de la dysbiose après une antibiothérapie, mais les bienfaits réels des probiotiques sur la santé, ainsi que leurs effets secondaires sont encore souvent mal compris. Un article publié par Eran Elinav et ses collègues porte sur une étude longitudinale prospective qui examine comment les probiotiques influencent la reconstitution du microbiome intestinal après une antibiothérapie. Dans cette étude, des volontaires ont reçu un traitement antibiotique à large spectre pour ensuite recevoir soit des probiotiques du marché composés de 11 souches bactériennes, soit une transplantation fécale autologue (échantillon fécal prélevé chez une personne avant l’antibiothérapie et retransféré dans son propre intestin), ou bien on leur a permis de se rétablir spontanément. Ceux qui ont reçu une transplantation fécale autologue ont retrouvé un microbiote « indigène » original en aussi peu qu’une journée, alors que chez ceux qui ont pu se rétablir spontanément, le processus a pris trois semaines. Toutefois, chez les personnes qui ont reçu un probiotique, même si plusieurs des souches probiotiques ont réussi à coloniser l’intestin, le microbiome n’a pas retrouvé son état indigène avant au moins cinq mois. Ces résultats suggèrent qu’il y a un important compromis à considérer en ce qui concerne l’utilisation de probiotiques après une antibiothérapie. Quoiqu’un usage clinique répandu de la transplantation fécale autologue pose des défis logistiques, de plus amples recherches pourraient cerner des composantes spécifiques de microbiomes individuels qui pourraient contribuer à la mise au point d’un traitement probiotique bien circonscrit et personnalisé.
Le rôle du microbiome dans les maladies liées au vieillissement
Un article de synthèse publié dans Bioessays par Brett Finlay, Sven Pettersson, Melissa Melby et Thomas Bosch donne un aperçu des recherches qui explorent les nombreux liens entre le microbiome et le vieillissement, dont les répercussions sur le bien-être de la population vieillissante pourraient se révéler importantes, et leur impact sur le système des soins de santé. Des études ont démontré qu’un certain nombre de métabolites microbiens jouent un rôle dans la régulation positive du facteur de croissance FGF21 — responsable de la régulation du métabolisme et de la longévité de l’hôte — et des expériences sur des modèles animaux ont suggéré que la transplantation de microbiomes intestinaux de personnes plus jeunes à des personnes plus âgées peut prolonger la vie. La production de ces métabolites, en retour, est influencée par des facteurs de style de vie, comme le régime alimentaire et l’exercice. En même temps, des facteurs sociaux et environnementaux peuvent aussi influencer les réactions psychologiques et comportementales au vieillissement par l’entremise de leurs effets sur le microbiote intestinal où il y a production de molécules neuroactives qui influencent le système nerveux central par l’entremise de l’ axe intestin-cerveau (la connexion neuronale et hormonale entre la voie gastro-intestinale et le système nerveux central). À titre d’exemple, mentionnons la forte corrélation entre un régime alimentaire riche en soya (plus spécifiquement l’isoflavone dans le soya), et la longévité et une expérience plus positive de la ménopause chez les Japonais, comparativement aux populations nord-américaines qui semblent retirer moins de bienfaits de cet apport en isoflavone. Il pourrait y avoir une association entre cette différence observée et une plus grande prévalence de souches bactériennes, dans le microbiome intestinal des populations japonaises, qui sont capables de métaboliser l’isoflavone en équol.
Une autre étude récente menée par Martin Blaser vient étayer l’idée voulant que le microbiome joue un rôle dans le développement de la maladie d’Alzheimer chez les personnes vieillissantes. Dans le cadre d’une expérience réalisée avec une souche de souris génétiquement modifiée pour qu’elle soit plus sujette à des symptômes de type Alzheimer, les chercheurs ont découvert que la composition du microbiome intestinal change avec l’âge, mais si les souris étaient soumises à un régime de restriction calorique, certains de ces changements se renversaient. En particulier, les chercheurs ont découvert que le dépôt de plaques β amyloïdes dans le cerveau (un marqueur courant de la maladie d’Alzheimer) était moindre chez les souris soumises à un régime de restriction calorique et qu’il y avait aussi une diminution de l’expression de gènes pro-inflammatoires dans l’intestin. Quand les scientifiques ont administré à des souriceaux des souches bactériennes dont l’augmentation avait été la plus marquée avec l’âge ( Bacteroides fragilis ), ils ont observé que la taille des plaques β amyloïdes dans le cerveau avait augmenté, suggérant un effet biologique direct qui s’opère peut-être par l’axe intestin-cerveau. Si ces résultats se confirment chez l’humain, cela pourrait indiquer que le régime alimentaire constituerait peut-être un mode d’intervention contre la maladie d’Alzheimer. Il importe de noter que ces effets ont été observés chez les souris femelles, mais pas chez les mâles.
Prochaines étapes
En misant sur les travaux mentionnés ci-dessus, les membres du programme Microbiome humain ont cerné un certain nombre de questions clés ou d’orientations de recherche qui pourront éclaircir davantage le rôle du microbiome dans la santé humaine, et la mesure dans laquelle celui-ci agit comme médiateur ou tampon des effets de facteurs environnementaux :
Meilleure détermination du rôle causal de la diversité microbienne et de la dysbiose dans la santé et la maladie;
Caractérisation améliorée des métabolites microbiens et des voies génétiques qui pourraient assurer la médiation des effets du microbiote sur la santé;
Exploration plus approfondie du microbiome à l’extérieur de l’intestin, dans d’autres organes, comme les poumons et la peau;
Élargissement des recherches sur d’autres composantes du microbiote au-delà des bactéries, comme les virus, les organismes fongiques et les vers parasites;
Recours à des méthodes multidisciplinaires qui peuvent compléter des études en laboratoire sur des modèles animaux axéniques, comme des « études de terrain » écologiques portant sur des animaux qui présentent des variations naturelles sur les plans de la génétique et du microbiome, des études de primates non humains, et des méthodes anthropologiques et historiques pour étudier comment le microbiome pourrait varier en fonction des pratiques sociales et culturelles.
Références
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