Par: Jon Farrow
17 Juin, 2020
La communauté du CIFAR a été profondément attristée d’apprendre le décès de David Poulin le 25 juin 2020.
Dans un message à ses collègues, Aephraim Steinberg, codirecteur du programme Informatique quantique, a écrit : « David laisse un grand vide dans la communauté mondiale de l’informatique quantique et en particulier dans notre petite communauté du CIFAR. Il nous manquera énormément. »
Nous offrons nos plus sincères condoléances à sa famille, à ses collègues et à ses nombreux amis.
David Poulin, codirecteur du programme Informatique quantique du CIFAR et professeur de physique à l’Université de Sherbrooke, se retire du programme pour se concentrer sur sa santé. Ses collègues et amis se sont réunis virtuellement le 5 juin 2020 pour lui rendre hommage et célébrer ses importantes contributions au domaine de l’informatique quantique. La célébration a été marquée par la présentation d’un recueil d’articles scientifiques corédigés ou inspirés par Poulin, de souvenirs de ses collaborations et contributions, et d’anecdotes personnelles.
En mai 2004, lors d’une réunion à Vancouver d’un nouveau programme du CIFAR en informatique quantique, un étudiant diplômé du nom de David Poulin a fait un exposé sur les différents effets classiques et mécaniques quantiques dans une installation expérimentale typique. Il savait que des lauréats d’un prix Nobel se trouvaient dans la salle, mais il ne s’attendait probablement pas à susciter un débat avec l’un d’entre eux. Lorsque Anthony Leggett, alors président du comité consultatif du programme et récent lauréat du prix Nobel de physique en décembre 2003, a exprimé son désaccord avec certaines parties de la présentation, David Poulin a tenu bon.
« C’était un très bon argument », se souvient Raymond Laflamme, directeur de ce programme naissant et directeur de thèse de Poulin au nouvel Institut d’informatique quantique (IIQ) de l’Université de Waterloo. « Je pouvais voir que David avait vraiment beaucoup réfléchi à son travail. »
Laflamme ressentait ce jour-là à Vancouver autant de fierté qu’aujourd’hui, ayant été témoin du charisme, du courage et de l’intelligence exceptionnels de Poulin, qui l’ont propulsé aux plus hauts échelons de la physique.
« C’est un véritable scientifique », dit Laflamme. « En science, il ne faut pas croire quelqu’un avant de l’avoir compris. Et cette [vision du monde] représente bien David. Peu importe qui vous êtes, vous pouvez lui présenter quelque chose et, s’il ne comprend pas, il va argumenter et vous obliger à prouver ce que vous avez avancé. »
« Déjà au premier cycle, il était assez remarquable », se souvient André-Marie Tremblay, longtemps boursier du programme Matériaux quantiques du CIFAR (1987-2019) et professeur de physique à l’Université de Sherbrooke, qui a embauché Poulin comme assistant de recherche de premier cycle en 1999. « Il s’attaquait à des problèmes qui posaient des difficultés à mes stagiaires postdoctoraux et, une fois son diplôme en poche, il avait déjà deux publications à son actif », explique Tremblay.
Des décennies plus tard, les deux chercheurs sont encore proches, bien que leurs trajectoires universitaires aient pris des chemins différents. Alors que Poulin s’est tourné vers l’informatique quantique, Tremblay a poursuivi ses recherches dans le domaine des matériaux quantiques. Au cours de la dernière année, ils se sont réunis de nouveau pour collaborer à trois articles qui réunissent leurs champs d’intérêt. « Il était toujours prêt à discuter de nouvelles idées sur de nouveaux domaines », explique Tremblay. « Nous avons maintenant écrit cinq articles ensemble, à 20 ans d’intervalle. »
Alexandre Blais, directeur scientifique de l’Institut quantique de Sherbrooke, collègue et ami proche, a rencontré Poulin alors qu’il était étudiant de premier cycle à l’Université de Sherbrooke. Animés d’un intérêt commun pour le domaine alors très spécialisé de l’informatique quantique, ils sont restés proches tout au long de leur carrière et Blais est toujours étonné de la capacité de Poulin à maîtriser rapidement les sujets.
« David est l’un des rares scientifiques à pouvoir poser une question, peu importe la conférence. Lors des réunions de programme du CIFAR, il y a des discussions sur un vaste éventail de sujets, et il arrive toujours à poser une question pertinente », explique Blais.
La capacité de Poulin à saisir rapidement de nouveaux concepts, jumelée à une grande curiosité qui va de la théorie à l’expérimentation en informatique et en physique, lui a permis de concevoir de nombreuses idées marquantes, dont les plus célèbres sont des méthodes de correction d’erreurs quantique, de décodage et de tomographie d’état.
Toutefois, ses contributions ne se sont pas limitées à la récupération d’information dans des systèmes quantiques. Pour sa thèse de , par exemple, il s’est penché sur le problème théorique de la façon dont les phénomènes classiques découlent des processus mécaniques quantiques. Plus tard, il a eu recours aux techniques de correction d’erreurs créées pour les systèmes quantiques pour comprimer l’information dans les systèmes classiques. Il nous a même permis de mieux comprendre comment exploiter l’apprentissage automatique et les matériaux quantiques pour faire progresser l’informatique quantique.
Les théories de Poulin étaient souvent en avance sur leur temps. Blais se souvient d’avoir présenté un ensemble particulier de problèmes théoriques épineux portant sur des qubits supraconducteurs lors d’une conférence et d’avoir partagé sa frustration avec un collègue qui lui a répondu : « Vous ne savez pas? Votre collègue David Poulin a déjà résolu tout ça. »
« Des années auparavant, il avait trouvé des solutions à des problèmes qui correspondaient exactement à ce dont nous avions besoin maintenant pour faire passer le matériel au niveau suivant », explique Blais. « Ses théories étaient déjà là, elles nous attendaient. »
Parmi les nombreux talents de David, notons sa capacité à communiquer efficacement ses recherches à différents auditoires. « David est vraiment doué pour expliquer simplement les choses compliquées que nous faisons », dit Blais.
Que ce soit lors de grands rassemblements, comme les célébrations de l’Appel mondial du CIFAR, ou de plus petites réunions avec des donateurs, des chercheurs d’autres domaines ou des réunions de laboratoire, Poulin insuffle habilement passion et solennité à ses messages scientifiques clairs.
Allocution de David Poulin lors de la célébration de l’Appel mondial 2019 du CIFAR
« David a le génie de présenter simplement des notions d’informatique quantique à un auditoire non scientifique. En plus d’être un brillant scientifique, ses compétences en matière de communication scientifique sont sans pareil », déclare Alan Bernstein, président et chef de la direction du CIFAR. « Son énergie et sa clarté donnent vie au sujet et il a une incroyable habileté à inspirer les autres à travailler en collaboration et à trouver de grandes idées. »
David a fait figure de pont entre la physique, l’informatique, la théorie et l’expérimentation lors des réunions de programme du CIFAR. « Le défi dont nous parlons depuis le début du programme du CIFAR est le besoin de réunir les physiciens et les informaticiens, car nous ne parlons pas la même langue », explique Blais. « En nous réunissant régulièrement, nous apprendrons une même langue et il en résultera des découvertes. Je pense que David est le seul qui a pu, dès le départ, parler les deux langues. »
Après des études postdoctorales en Australie avec Gerard Milburn et au California Institute of Technology avec John Preskill, Poulin a décidé en 2008 d’accepter un poste de professeur à l’Université de Sherbrooke, ce qui a joué un rôle déterminant dans la croissance de la communauté quantique à Sherbrooke.
« Après mon arrivée à Sherbrooke en 2006, David a été le chercheur suivant à être embauché en informatique quantique », explique Blais, et l’impact de Poulin s’est fait sentir immédiatement. « Tout à coup, j’avais un collègue. On pouvait organiser des clubs de lecture! Il y avait une vie en informatique quantique en dehors de mes quelques étudiants de l’époque. »
Son impact se fait sentir non seulement à Sherbrooke, mais à l’échelle mondiale, et ses recherches lui valent de nombreuses distinctions, des centaines de citations et le profond respect des chercheurs du monde entier. De plus, ses collègues font souvent des commentaires sur son charisme et son charme. « Il a une personnalité vraiment charismatique », déclare Tremblay. « Quand il est dans une pièce, les gens se rassemblent autour de lui. »
En octobre 2019, il a accepté un poste de chercheur principal chez Microsoft. « David partage son énergie et son regard différent avec notre équipe chez Microsoft », explique Krysta Svore, directrice générale du groupe Architecture et Informatique quantiques chez Microsoft. « Bien qu’il fasse officiellement partie de l’équipe depuis très peu de temps seulement, nous le considérons comme un membre de notre famille depuis bien plus longtemps. »
« Quand je pense à David, j’ai en tête quelqu’un qui aime les défis, qu’ils soient intellectuels ou physiques », explique Laflamme. Il se souvient de nombreuses conversations fascinantes sur la science, ainsi que d’aventures en plein air avec Poulin, comme d’aller nager dans les eaux glaciales de l’île de Baffin, de faire du ski de soirée à Los Alamos ou de faire du vélo de montagne dans les forêts près de Waterloo.
Au début des années 2000, Poulin a participé à de nombreuses réunions du CIFAR en tant qu’étudiant diplômé et a été très actif au sein de la communauté de l’informatique quantique. En 2014, il est devenu officiellement un boursier du CIFAR et, en 2018, il est devenu codirecteur du programme Matériaux quantiques. Il a succédé à Laflamme qui avait dirigé le programme depuis sa création en 2002.
Poulin, de concert avec Aephraim Steinberg, codirecteur et professeur à l’Université de Toronto, a dirigé le programme à un moment crucial de son histoire. Confrontés à un processus de renouvellement compétitif, ils ont réorienté le programme en mettant l’accent sur la perspective informatique et en invitant davantage de boursiers et d’experts internationaux ayant des liens avec des laboratoires industriels.
« Il fallait transformer le programme », dit Laflamme. « Quand ça fait quinze ans qu’on fait quelque chose, on a besoin de sang neuf et d’une nouvelle énergie. David était manifestement la bonne personne pour diriger le nouveau programme. »
« David était plus spontanément ouvert à l’idée d’examiner de grands changements structurels et n’était pas lié à la façon dont les choses se faisaient auparavant », dit Steinberg, codirecteur du programme du CIFAR avec Poulin. « Travailler avec lui pour repenser le programme m’a beaucoup apporté et je pense que cela me sera utile dans mon travail pour relever toutes sortes de défis organisationnels. »
« David est étonnant, particulièrement en ce qui concerne sa créativité et sa volonté de tout repenser. Je pense que la créativité a été une caractéristique distinctive de David sur le plan administratif, mais aussi en recherche. Je déteste tomber dans les clichés, mais il cherche toujours à sortir des sentiers battus pour tenter de réaliser la prochaine grande découverte. »