Par: Jon Farrow
24 Sep, 2020
Des recherches du programme Développement du cerveau et de l’enfant du CIFAR transforment notre vision des premières expériences de la vie.
Les gènes à la naissance (l’inné) et la façon dont nous sommes élevés (l’acquis) influencent tous deux ce que nous sommes. Les détails de l’interaction entre ces facteurs — comment certaines expériences laissent des cicatrices durables ou quels gènes prédisposent les gens à des maladies débilitantes — correspondent à certaines des questions ouvertes les plus importantes auxquelles la science et la société sont aujourd’hui confrontées.
Les travaux d’avant-garde sur les déterminants socio-économiques de la santé menés au sein des programmes du CIFAR depuis quatre décennies par diverses sommités telles que le regretté Fraser Mustard, président et chef de la direction du CIFAR, et le regretté Clyde Hertzman, Boursier du CIFAR, ont révélé que les interactions entre l’inné et l’acquis sont compliquées. Attribuer un pourcentage donné d’un trait à l’« inné » et un autre à l’« acquis » est trop simpliste. Non seulement y a-t-il des interactions complexes entre les gènes et l’environnement, mais les expériences vécues lors de périodes critiques de la vie, comme l’enfance ou l’adolescence, peuvent avoir des effets disproportionnés sur les résultats futurs.
De nouvelles recherches collaboratives issues du programme Développement du cerveau et de l’enfant du CIFAR mettent à profit des données provenant de l’ensemble du règne animal et des méthodes englobant plusieurs disciplines scientifiques; elles démontrent les différentes échelles temporelles de ces effets, de quelques millisecondes à plusieurs générations. Publiée en tant que dossier spécial dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences[1] (PNAS), cette collection compte à la fois des articles de mise en perspective et des articles de recherche originaux qui traitent de l’importance du temps pour l’intériorisation biologique de l’expérience.
Marla Sokolowski est Boursière et codirectrice émérite (2008-2019) du programme Développement du cerveau et de l’enfant du CIFAR. Professeure au département d’écologie et de biologie évolutive de l’Université de Toronto, elle a récemment reçu la médaille Flavelle de la Société royale du Canada pour ses contributions à la biologie. Elle a codirigé la rédaction du dossier spécial de la revue PNAS, avec W. Thomas Boyce et Gene Robinson, conseillers du CIFAR.
L’idée générale est que le moment et les échelles temporelles des expériences sont importants, mais que ceux-ci ont été négligés. Il nous faut tenir compte du temps dans les discussions sur le développement du cerveau et de l’enfant.
Si vous avez des idées nouvelles et importantes qui pourraient transformer un domaine, vous pouvez proposer un dossier spécial à la PNAS sur le sujet. Il s’agit d’une procédure par laquelle vous obtenez la permission d’écrire le dossier. En ce qui nous concerne, la planification, la rédaction et la révision ont pris près de deux ans et demi, ponctués par de nombreuses discussions au sein du programme Développement du cerveau et de l’enfant et avec les directeurs de la rédaction de la revue PNAS.
C’est un véritable bonheur que de voir ce travail aboutir. J’ai beaucoup appris auprès des directeurs de la rédaction et de tous les auteurs du dossier. Comme tout ce que j’ai accompli avec le CIFAR, cette expérience s’est révélée positive et a changé ma vie. C’est aussi une belle façon pour Tom Boyce et moi de conclure notre codirection du programme, rôle que nous avons exercé ensemble pendant environ 11 ans.
Les gens pensaient auparavant que les périodes critiques étaient fixes. Par exemple, à un certain âge, la fenêtre critique pour l’apprentissage d’un aspect d’une langue s’ouvrait, puis se fermait. Dans le premier article de mise en perspective[2] , les auteurs indiquent que ces fenêtres ont une certaine souplesse. Le moment de l’ouverture et de la fermeture de ces fenêtres comporte une certaine plasticité qu’influencent des facteurs environnementaux comme le stress.
Il y a aussi cet article sur l’horloge pédiatrique qui, selon moi, constituera un outil important. Voyez-vous, il se peut que deux enfants de huit ans soient rendus à des âges biologiques et sociaux très différents. Les auteurs ont créé une horloge épigénétique qui donne une idée non seulement de l’âge chronologique d’un enfant, mais aussi de son âge développemental. Il s’agit d’un article fascinant et je pense que les pédiatres pourraient avoir recours à ce genre d’horloges pour bien choisir le moment de leurs interventions.
Des membres du groupe ont réalisé de formidables recherches. Les travaux de Chuck Nelson dans les orphelinats roumains en sont un bon exemple. Il a démontré les conséquences négatives de la négligence et l’importance considérable de premières expériences positives avec une mère, un père ou un adulte bienveillant. Aujourd’hui, grâce à son travail, les orphelinats ont changé, et les Roumains sont plus disposés à adopter des enfants. En outre, la théorie de Tom Boyce sur les enfants « orchidées » et les enfants « pissenlits » a vraiment changé la donne pour des familles et des enfants du monde entier. Il s’agit là de changements profondément transformateurs.
« À l’examen des détails mécanistes de la science qui sous-tend ces questions, on s’aperçoit que tout est d’une complexité inouïe. »
À l’examen des détails mécanistes de la science qui sous-tend ces questions, on s’aperçoit que tout est d’une complexité inouïe. Pour comprendre ce qui se passe, il est essentiel qu’un groupe de personnes aux domaines d’expertise différents, comme les membres du programme Développement du cerveau et de l’enfant du CIFAR, travaillent en collaboration. Un grand nombre de personnes du domaine se tournent vers notre programme et prêtent attention à ce que nous écrivons et présentons. Si vous assistez à une conférence sur un aspect quelconque de ce domaine, l’un des conférenciers est habituellement quelqu’un du programme. Et grâce à l’expérience acquise lors des réunions du CIFAR, nous sommes très bons pour animer la discussion.
La petite enfance et l’adolescence sont des moments de croissance et de développement incroyables. Pendant ces périodes, le cerveau est comme une éponge qui absorbe nos expériences et se recâble en conséquence. Le type et la qualité des expériences vécues pendant ces périodes ont une grande incidence sur le fonctionnement de notre cerveau et de notre organisme tout au long de la vie.
« Les scientifiques sont désormais en mesure d’étudier l’importance du moment de ces expériences pour la transmission de l’influx nerveux, les molécules, les cellules, les circuits cérébraux et l’expression génique »
Notre dossier de la PNAS traite de l’importance que représente le moment où se produisent les expériences pour les interactions entre l’inné et l’acquis. Les scientifiques sont désormais en mesure d’étudier l’importance du moment de ces expériences pour la transmission de l’influx nerveux, les molécules, les cellules, les circuits cérébraux et l’expression génique, ce qui nous permet de mieux comprendre l’influence de nos premières expériences sur notre santé et notre comportement à long terme. Il est intéressant de noter que, dans certains cas, nos expériences se transmettent à la génération suivante.
Pour les parents, je pense qu’il est important de comprendre que les expériences de l’enfance peuvent vraiment avoir des répercussions tout au long de la vie. Par conséquent, un lien de qualité entre l’enfant et son environnement et entre l’enfant et ses parents est indispensable. L’autre leçon à tirer de ces recherches est que rien n’est immuable. Une personne peut présenter des prédispositions d’origine héréditaire ou génétique, mais l’environnement et l’expérience peuvent changer beaucoup de choses.
L’entretien ci-dessus a été modifié par souci de concision et de clarté.
Le dossier spécial, Genes and environments, development and time [3], a été publié dans la PNAS le 22 septembre 2020. De nombreuses discussions lors des réunions du programme Développement du cerveau et de l’enfant ont inspiré ce dossier codirigé par Marla Sokolowski (Université de Toronto) et W. Thomas Boyce (Université de la Californie à San Francisco), anciens codirecteurs du programme Développement du cerveau et de l’enfant, et Gene Robinson (Université de l’Illinois à Urbana-Champaign), conseiller.
Le dossier comporte des articles de nombreux membres du programme Développement du cerveau et de l’enfant du CIFAR :
Ina Anreiter (rapportrice du programme, Université de Toronto), Maria Aristizbal (ancienne stagiaire postdoctorale, Université Queen’s), Elisabeth Binder (présidente du comité consultatif, Institut Max-Planck de psychiatrie), W. Thomas Boyce (conseiller du CIFAR, Université de la Californie à San Francisco), Ami Citri (Chercheur mondial CIFAR-Azrieli 2016-2018, Boursier du CIFAR, Université hébraïque de Jérusalem), David Forrest Clayton (Boursier associé du CIFAR, Université Queen Mary de Londres), Brian Dias (Chercheur mondial CIFAR-Azrieli 2017-2019, Boursier associé, Université de la Californie du Sud), Paul Frankland (Boursier du CIFAR, Université de Toronto), Anna Goldenberg (Boursière Lebovic, titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR, Université de Toronto – Institut Vecteur), Takao Hensch (codirecteur, Université Harvard), Daniela Kaufer (Boursière associée du CIFAR, Université de la Californie à Berkeley), Michael Kobor (Boursier du CIFAR, Université de la Colombie-Britannique), Bryan Kolb (Boursier associé du CIFAR, Université de Lethbridge), Joel Levine (Boursier du CIFAR, Université de Toronto à Mississauga), Thomas McDade (Boursier du CIFAR, Université Northwestern), Michael Meaney (conseiller du CIFAR, Université McGill), Sara Mostafavi (Boursière du CIFAR, titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR, Université de la Colombie-Britannique – Institut Vecteur), Charles Nelson (Boursier du CIFAR, Université Harvard), Candice Odgers (codirectrice, Université de la Californie à Irvine), Nadine Provençal (Chercheuse mondiale CIFAR-Azrieli 2020-2022, Université Simon Fraser), Kieran O’Donnell (Chercheur mondial CIFAR-Azrieli 2016-2018, Boursier du CIFAR, Université McGill), Rebecah Reh (ancienne stagiaire postdoctorale, Université de la Colombie-Britannique), Gene Robinson (conseiller du CIFAR, Université de l’Illinois à Urbana–Champaign), Marla Sokolowski (Boursière du CIFAR, Université de Toronto), Jenny Tung (Boursière du CIFAR, Université Duke), Janet Werker (présidente du comité consultatif du programme Cerveau, esprit et conscience du CIFAR, Université de la Colombie-Britannique).