Voir petit : Comment l'univers quantique changera le monde
Les membres des programmes Matériaux quantiques et Informatique quantique du CIFAR réalisent de grandes choses avec de minuscules particules
Nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution technologique.
En grec ancien, le mot « atomos » signifiait « intouchable », et le philosophe Démocrite a appliqué cette idée à la plus petite unité possible de matière. Si vous coupez un matériau en morceaux de plus en plus petits, jusqu’à ne plus pouvoir couper, vous obtenez un atome.
L’idée moderne de l’atome emprunte ce mot, mais nous savons maintenant qu’il existe des particules bien plus petites que l’atome. Ces particules subatomiques défient les explications de la physique classique, si bien qu’il a fallu formuler une nouvelle théorie pour expliquer leurs propriétés étranges. Il s’agit de la théorie de la mécanique quantique qui, au début du XXe siècle, a commencé à transformer notre compréhension du fonctionnement de l’Univers, à l’échelle la plus infime.
Elle a déjà permis la mise au point de puissantes technologies comme les puces électroniques et les appareils d’IRM. Aujourd’hui, la mécanique quantique est appliquée à la prochaine génération de technologies transformationnelles.
Les membres des programmes Matériaux quantiques et Informatique quantique du CIFAR font progresser les technologies quantiques qui révolutionneront notamment l’informatique, les réseaux électriques et les réseaux de transport.
Irfan Siddiqi dans son laboratoire à l’Université de la Californie à Berkeley; photo Winni Wintermeyer.
IRFAN SIDDIQI
Lorsqu’un électron passe d’une orbite à l’autre autour du noyau d’un atome, il y a émission d’une minuscule particule de lumière. Elle est si faible qu’elle est à peine perceptible, mais cette particule, appelée photon, répond aux principes de la mécanique quantique. C’est ce qu’on appelle un « saut quantique », et lorsqu’il se produit, le photon et l’atome deviennent liés par un phénomène appelé « intrication quantique ». Leurs propriétés physiques sont interdépendantes, même si les particules sont très éloignées l’une de l’autre.
Le concept est, en quelque sorte, effrayant. Voilà comment Albert Einstein l’a décrit. Il soutenait que l’intrication quantique était impossible, car elle permettait l’interdépendance des parti-cules, même si la distance qui les sépare est si grande que la lumière elle-même ne pourrait pas voyager assez vite pour la franchir. Einstein l’a qualifiée d’« action effrayante ». Elle semble défier sa théorie de la relativité restreinte, qui postule que rien ne voyage plus vite que la lumière.
Mais il est possible d’observer, voire de créer, l’intrication quantique. Elle est essentielle à la libération du potentiel de l’informatique quantique. Les appareils informatiques classiques, comme les ordinateurs portables, effectuent des calculs à l’aide de bits, constitués de transistors sur une puce d’ordinateur. Chaque bit peut prendre la valeur 0 ou 1. Il peut avoir l’une ou l’autre de ces valeurs, mais pas les deux.
En revanche, un ordinateur quantique réalise des calculs à l’aide de qubits - abréviation de « bits quantiques ». Il y a différentes approches pour créer physiquement ces qubits, mais toutes utilisent des phénomènes de la mécanique quantique pour permettre au qubit de se trouver dans un état de superposition. Autrement dit, il peut prendre la valeur 0 et la valeur 1 en même temps.
Et lorsque plusieurs qubits sont reliés entre eux par intrication quantique, ils peuvent être exploités simultanément. Cela augmente la puissance de calcul de manière exponentielle et permet l’exécution beaucoup plus rapide de certains types d’opérations.
Une puce quantique, un processeur spécialisé qui exploite les effets quantiques; photo Winni Wintermeyer.
« Dans un appareil informatique classique comme un ordinateur portable, chaque transistor est indépendant - aucun n’interfère avec les autres », explique Irfan Siddiqi, membre du programme Informatique quantique et professeur de physique à l’Université de la Californie à Berkeley (États-Unis).
« Cependant, les qubits sont intriqués les uns avec les autres. Cela pourrait leur permettre de traiter l’information plus efficacement. Voilà la promesse de la mécanique quantique, mais nous devons créer une intrication à grande échelle. Nous pouvons manipuler une centaine de qubits, mais il nous faut en intriquer une centaine de milliers, voire un million. Et nous ignorons comment créer et contrôler des qubits à cette échelle. »
Pour créer une intrication, il est indispensable de disposer d’un environnement hautement contrôlé. Les ordinateurs quantiques sont particulièrement vulnérables aux interférences que les scientifiques appellent « bruit » et qui provoquent des erreurs et perturbent l’intrication quantique. Le « bruit » à l’origine des erreurs peut prendre n’importe quelle forme, de la lumière à des rayonnements émis par les réseaux Wi-Fi avoisinants.
« L’information quantique est de très courte durée, mais il existe des moyens de prolonger sa durée de vie. Il est possible de perfectionner les matériaux et tout le reste, de sorte à éliminer les erreurs et le bruit. Cela fait plus de 20 ans que nous y travaillons et c’est assez difficile. Toutes les pièces doivent être parfaites. Sinon, ça ne fonctionne pas », explique Siddiqi.
Siddiqi recourt au magnétisme pour contrôler l’information quantique, ce qui peut aider à réduire les erreurs. Cela permet d’éviter certains types de bruit, car le magnétisme se couple plus faiblement que les charges électriques.
« Nous devrions concevoir des systèmes informatiques quantiques de manière à ce que seuls certains types d’erreurs se produisent, puis les associer à des méthodes pratiques de correction d’erreurs », explique Siddiqi.
« Cela facilite la correction des erreurs, car il pourrait suffire de corriger un seul type d’erreur. En revanche, il est difficile de corriger des types d’erreurs arbitraires. Un problème peut survenir de multiples façons. Il suffit d’un photon ou même d’un rayon cosmique. »
Ben Lanyon, membre du programme Informatique quantique du CIFAR, dans son laboratoire à l’Université d’Innsbruck. Photo reproduite avec la permission du chercheur.
BEN LANYON
La chambre à ions piégés de l’ordinateur quantique de Ben Lanyon se compose de titane, plaqué or, avec un collage au saphir. Elle utilise des champs électriques pour suspendre des atomes de calcium chargés électriquement, appelés ions, et manipule leur état quantique à l’aide de lasers.
Les systèmes à ions piégés font partie des méthodes les plus prometteuses en informatique quantique.
« Cela s’explique notamment par leur niveau de contrôle quantique avéré », explique Lanyon, membre du programme Informatique quantique et professeur adjoint à l’Université d’Innsbruck, en Autriche.
« Nous pouvons manipuler les ions avec précision et les faire évoluer vers des états quantiques très intéressants que nous ne saisissons pas encore très bien. Cependant, on ne peut pas tout avoir, et les ordinateurs quantiques à ions piégés ne sont pas aussi faciles à mettre à l’échelle que certaines méthodes d’informatique quantique pourraient l’être. »
Les scientifiques ont mis ce système à l’échelle pour piéger des dizaines d’ions et exploiter leurs états quantiques pour les utiliser comme qubits. Mais il n’y a aucun moyen de faire évoluer directement ce type de système vers les milliers ou les millions de qubits nécessaires pour réaliser certaines applications.
Par conséquent, au lieu de créer de plus gros ordinateurs quantiques à ions piégés, Lanyon les met en réseau.
Ces travaux marquent une étape vers les réseaux quantiques distribués qui ont des applications à court terme dans les domaines de l’informatique, de la sécurité des communications et des horloges atomiques.
Les éléments constitutifs des réseaux quantiques émergent déjà et, en collaboration avec sa collègue Tracy Northup de l’Université d’Innsbruck, Lanyon utilise la lumière pour créer des liens entre des ions séparés par des centaines de mètres.
« Nous pouvons manipuler les ions avec précision et les faire évoluer vers des états quantiques très intéressants que nous ne saisissons pas encore très bien. »”
— Ben Lanyon
Une expérience récente a permis de relier deux ordinateurs quantiques à ions piégés de l’Université d’Innsbruck à l’aide d’un câble à fibres optiques, le même type de câble de fibre de verre que celui des réseaux de communication existants. À l’intérieur de la cavité de 2 cm de long de chaque ordinateur, un seul ion calcium a été mis en suspension dans un champ électrique. Ces ions ont été entourés de petits miroirs et des lasers ont provoqué l’émission d’un photon - une particule de lumière - par ion.
Les photons ont rebondi des dizaines de milliers de fois à l’intérieur de chaque chambre avant de ressortir à travers un miroir et de se retrouver dans le câble. L’un des miroirs, légèrement plus faible que les autres, était relié au câble. Une fois que les photons ont traversé leurs miroirs respectifs, ils se sont précipités l’un vers l’autre à la vitesse de la lumière, se rencontrant au milieu. Voilà où la théorie quantique entre en jeu.
« Lorsque l’ion calcium produit un photon, il y a intrication. Et lorsqu’il s’échappe par le côté de la chambre, l’intrication persiste. Lorsque les deux photons se rencontrent dans le câble, ils sont toujours intriqués avec les ions qui les ont produits », explique Lanyon.
« Nous pouvons détecter ces particules à l’aide d’un détecteur de photons - et si cela se fait correctement, ils seront détruits. Une fois ces photons détruits ensemble, l’intrication passe des paires ion-photon aux deux ions éloignés. »
Bien que des centaines de mètres séparaient les ions des chambres à ions piégées, ils ont conservé un état intriqué - un pas en avant vers la conception de réseaux quantiques qui relient entre eux des ordinateurs quantiques à travers des villes, des pays, voire des continents.
« L’intrication d’atomes sur une distance de 100 kilomètres constitue-rait un progrès significatif. Il ne s’agit que de six pas vers Vienne, ou de dix autres vers Paris », explique Lanyon.
« La vraie question est de savoir comment procéder de façon pratique et fiable. Nous pourrions alors distribuer et stocker l’intrication dans toute l’Europe, ce qui constituerait une nouvelle ressource pour la science et la technologie. »
Stephanie Simmons dans son laboratoire; photo Ben Nelms.
STEPHANIE SIMMONS
Le silicium constitue l’épine dorsale de la révolution de l’information. Chaque année, il se fabrique plusieurs milliards de puces électroniques en silicium qui alimentent tout, des téléphones mobiles aux ordinateurs portables, en passant par les réfrigérateurs intelligents. Les puces de silicium sont omniprésentes - une seule automobile peut en compter jusqu’à 3 000.
Mais Stephanie Simmons, membre du programme Informatique quantique, pense que les puces électroniques de silicium peuvent faire beaucoup plus que ce qu’elles font aujourd’hui. Elle utilise le silicium pour exploiter l’informatique quantique.
L’omniprésence du silicium constitue un avantage. Nous savons déjà comment le manipuler et Simmons exploite ses propriétés connues pour créer des qubits. Pour ce faire, Simmons utilise des défauts naturels du silicium appelés centres colorés. Grâce à ces défauts, il est possible d’effectuer des calculs avec un type de qubit appelé qubit de spin. Il est possible de maîtriser leur spin grâce au magnétisme, et les qubits de spin peuvent absorber ou émettre des photons, ce qui leur permet de communiquer entre eux. Une telle communication est impossible avec les puces informatiques traditionnelles où chaque bit fonctionne de manière indépendante.
« Depuis des dizaines d’années, je pensais que nous étions à la recherche du bon type de centres colorés », explique Simmons, professeure de physique à l’Université Simon Fraser, au Canada.
« Il devait s’agir de quelque chose qui se forme naturellement. Vous prenez ce que la nature vous donne, autrement il sera difficile de produire des qubits assez uniformes, d’assez bonne qualité et à une échelle suffisante. Je ne serai pas nécessairement en mesure de concevoir un défaut entièrement nouveau, mais de nombreux défauts se forment naturellement. Et quand vous utilisez ces défauts comme épine dorsale quantique, vous pouvez les imprimer à l’échelle, directement dans les puces de silicium. Nous travaillons au développement du silicium depuis des dizaines d’années et cela favorise l’évolutivité. »
Le physicien américain Richard Feynman a proposé l’informatique quantique pour la première fois dans les années 1980. La mécanique quantique est trop compliquée pour un ordinateur classique en raison du grand nombre d’interactions dynamiques aux échelles atomique et subatomique. Même avec la technologie informatique puissante d’aujourd’hui, les scientifiques utilisent des approximations pour effectuer ces calculs.
« Les nouvelles technologies passent de la magie à l’ennui, et c’est ce que nous voulons pour le quantique. Nous voulons que cela devienne tout comme un élément du quotidien. » — Stephanie Simmons
Feynman a soutenu qu’un appareil mécanique quantique pourrait surmonter ce problème, mais il n’a pas été facile d’en construire un. Aucun modèle dominant n’a émergé, mais Simmons pense que le silicium dispose des atouts nécessaires. En 2016, elle a cofondé Photonic Inc. avec Mike Thewalt, professeur émérite à l’Université Simon Fraser, et l’entreprise basée à Vancouver met au point des technologies d’informatique et de réseau quantiques à déployer à large échelle.
« Nous considérons les bits comme des concepts, mais ils existent en fait dans le silicium, ils se déplacent et changent d’état. En fin de compte, l’information est une chose physique », déclare Simmons.
« Une course mondiale est en cours pour exploiter et commercialiser la physique quantique. Par le passé, chaque fois que nous avons observé quelque chose du genre, le résultat a été transformateur et imprévisible. Il y a deux siècles, les gens remplissaient des auditoriums pour voir des aimants. Aujourd’hui, l’électromagnétisme ne suscite plus le moindre étonnement, même si nous l’utilisons chaque fois que nous branchons nos appareils. Les nouvelles technologies passent de la magie à l’ennui, et c’est ce que nous voulons pour le quantique. Nous voulons que cela devienne tout comme un élément du quotidien. »
Pablo Jarillo-Herrero dans son laboratoire au MIT; photo Mel Musto.
PABLO JARILLO-HERRERO
Le graphène est le matériau le plus solide que l’on connaisse. Il se compose d’une couche de graphite monoatomique, si fine qu’on le qualifie de matériau bidimensionnel. Le graphène est aussi extrêmement souple et sert déjà dans les appareils électroniques comme les téléphones portables pliables.
Un jour, le graphène pourrait vous permettre d’enrouler une tablette autour du poignet comme une montre intelligente, puis de lui redonner facilement sa forme initiale. Mais le graphène pourrait avoir des applications encore plus fascinantes, et Pablo Jarillo-Herrero étudie les propriétés quantiques du matériau pour mieux en comprendre les possibilités.
« Le graphène provient du graphite, qui est tridimensionnel. Mais il est comme un jeu de cartes. Il est constitué de nombreuses pièces bidimensionnelles », explique Jarillo-Herrero, membre du programme Matériaux quantiques et professeur au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis).
« Le graphite est le matériau constitutif d’un crayon, et lorsque vous écrivez, c’est un peu comme si vous preniez le jeu de cartes et que vous l’étaliez. Une couche de graphène est comme une carte unique, et avec l’épaisseur d’un seul atome, il s’agit du matériau le plus mince. »
« Le graphène provient du graphite, qui est tridimensionnel. Mais il est comme un jeu de cartes. »
— Pablo Jarillo-Herrero
Le graphite est une forme de carbone et, avant 2018, aucune supraconductivité n’avait été observée dans le carbone. Mais en empilant deux couches de graphène à un angle de 1,1 degré, Jarillo-Herrero y est parvenu. C’est ce qu’on appelle le graphène à angle magique.
« Le graphène n’est ni un aimant, ni un supraconducteur, ni un isolant. Mais grâce à différents angles de torsion, nous pouvons lui conférer ces propriétés », explique Jarillo-Herrero.
« En utilisant le graphène et un matériau appelé nitrure de bore hexagonal, nous avons réalisé la plupart des phases quantiques de la matière. C’est absolument inédit. Aucun autre matériau ne peut exhiber toutes ces phases. Habituellement, il faut changer la chimie ou le matériau. Mais en tordant le graphène, nous pouvons tout faire en un seul matériau. »
Les recherches sur les matériaux bidimensionnels tordus n’en sont qu’à leurs débuts. Jarillo-Herrero établit une comparaison avec les recherches sur les transistors dans les années 1940. Le potentiel est énorme, mais nous n’avons fait qu’effleurer la surface.
« Les défis sont nombreux. Nous voulons fabriquer des appareils avec différents angles de torsion, et toujours reproduire le même angle. Ces systèmes sont sensibles à d’infimes variations. Un angle de 1,13 degré est différent d’un angle de 1,14 degré, et nous ne disposons pas de la technologie nécessaire pour fabriquer des dispositifs toujours identiques », explique Jarillo-Herrero.
Actuellement, ces dispositifs sont fabriqués par des stagiaires aux cycles supérieurs, que Jarillo-Herrero compare à des moines médiévaux qui exercent leur métier avec méticulosité. Il envisage une machine qui automatiserait et normaliserait le processus de fabrication. Il compare cette machine à une presse de Gutenberg pour les technologies quantiques. Et tout comme l’invention d’une presse à imprimer automatisée a inauguré une ère d’épanouissement intellectuel en augmentant considérablement la diffusion de l’écrit, Jarillo-Herrero considère que l’automatisation est essentielle à une meilleure compréhension du potentiel des matériaux bidimensionnels.
« Une presse quantique automatiserait l’empilement et permettrait la fabrication de matériaux dans n’importe quelle combinaison et n’importe quel angle. Cela permettrait de mettre systématiquement à l’essai les propriétés électroniques, optiques et mécaniques. Comme il faut à mes stagiaires plusieurs semaines pour fabriquer chaque dispositif, il faudra des décennies pour explorer ce domaine. Une presse quantique nous permettrait de faire tout cela en appuyant sur un bouton. »
Louis Taillefer, coresponsable du programme Matériaux quantiques; photo Korina Joseph.
LOUIS TAILLEFER
Dans le réseau électrique actuel, une quantité importante d’électricité se perd au cours du processus de transport en raison de la résistance électrique des matériaux utilisés dans les câbles de transport. En pratique, cela signifie que nous produisons beaucoup d’électricité que nous n’utilisons pas.
Voilà où entrent en jeu les supraconducteurs. Un supraconducteur est un matériau capable de conduire l’électricité avec une résistance nulle. Il pourrait contribuer à résoudre ce problème de gaspillage en éliminant la résistance, mais son utilisation est problématique. Les supraconducteurs manifestent leurs propriétés uniquement en dessous d’un seuil de température critique, et en ce qui concerne tous les matériaux supraconducteurs connus, cette température est véritablement glaciale.
La supraconductivité a été observée pour la première fois en 1911, lorsque le physicien néerlandais Heike Kamerlingh Onnes a constaté que le mercure ne présentait aucune résistance électrique à une température de -269 oCelsius. Mais cette température correspond à peu près à celle de l’espace lointain et n’a donné lieu qu’à quelques applications spécialisées, comme les aimants des appareils d’IRM.
Cependant, dans les années 1980, des scientifiques ont découvert un nouveau type de matériau supraconducteur prometteur : les oxydes de cuivre, aussi appelés cuprates. Ceux-ci manifestent un comportement supraconducteur à des températures beaucoup plus élevées - une température qui reste encore très froide, à savoir -140 oC.
Mais il est possible d’atteindre ces températures grâce à des réfrigérants largement disponibles, comme l’air liquide, ce qui a ouvert la voie à de nouvelles applications. Les cuprates contribuent à une révolution de l’énergie propre en permettant la construction d’éoliennes en mer.
« Personne n’aime avoir des éoliennes dans sa cour, et beaucoup d’entre elles sont construites en mer. Il y a beaucoup de vent et elles sont à l’écart, mais elles sont aussi plus délicates », explique Louis Taillefer, coresponsable du programme Matériaux quantiques et professeur à l’Université de Sherbrooke, au Québec (Canada).
« Après l’invention du laser, tout le monde ignorait ce que l’on pouvait en faire. Aujourd’hui, ils sont omniprésents », explique Taillefer.
« Vous voulez minimiser le poids d’une éolienne. Un supraconducteur peut le faire, tout en maintenant l’efficacité. Il peut réduire de cinq fois le poids, mais il doit être refroidi à l’azote liquide. »
L’objectif est d’aller plus loin que les applications spécialisées. Un supraconducteur fonctionnant sans équipement de refroidissement compliqué ne transformerait pas seulement les réseaux électriques, il permettrait des applications que nous n’avons même pas imaginées. Mais pour y parvenir, nous devons mieux comprendre les propriétés quantiques des cuprates.
Les cuprates sont considérés comme des métaux étranges, c’est-à-dire des matériaux qui défient les conventions de la conductivité électrique. « Les métaux étranges se comportent de manière déconcertante. Ils ne se conforment pas à la théorie standard des électrons », explique Taillefer.
« Il y a de nombreuses collisions entre les électrons, qui semblent atteindre un maximum. Lorsque nous essayons de mesurer le temps qui sépare les collisions, il nous faut utiliser la constante de Planck. »
La constante de Planck est un élément fondamental de la mécanique quantique. Elle a été introduite en 1900 par le physicien Max Planck, lauréat du prix Nobel, considéré comme le père de la théorie quantique. Planck a posé comme théorie que la lumière se composait de particules individuelles qu’il a appelées « quanta de lumière ». Aujourd’hui, les physiciens appellent ces particules des photons, et la constante de Planck calcule la relation entre l’énergie d’un photon et sa fréquence.
« Le fait que la constante de Planck représente le temps le plus court entre les collisions d’électrons nous conduit vers une nouvelle loi fondamentale de la physique que nous ne comprenons pas encore. Les métaux étranges se comportent de nouvelles façons. Et nous ignorons s’il est possible d’en tirer parti sur le plan technologique », explique Taillefer.
Les supraconducteurs sont susceptibles d’avoir diverses applications, car ils se comportent comme des objets quantiques macroscopiques, c’est-à-dire qu’ils ont une fonction d’onde quantique unique et cohérente.
« Faisons une analogie avec le laser. Quelle est la différence entre une ampoule électrique et un laser? », demande Taillefer.
« Les deux émettent de la lumière, mais l’ampoule le fait de manière incohérente. Chaque photon est séparé et il y a beaucoup de longueurs d’onde et de phases différentes. En revanche, dans un laser, chaque photon se trouve dans le même état - même fréquence, même phase. Ce phénomène est connu sous le nom de cohérence. Les supraconducteurs en sont l’équivalent électrique. Tous les électrons sont dans un état quantique cohérent. C’est ce qui les rend si puissants. »
Les applications comme les réseaux électriques sont évidentes, mais les supraconducteurs à température ambiante ouvriraient la voie à des applications entièrement nouvelles.
« Après l’invention du laser, tout le monde ignorait ce que l’on pouvait en faire. Aujourd’hui, ils sont omniprésents », explique Taillefer.
« Il en sera de même avec les supraconducteurs. Quand un laboratoire spécialisé est nécessaire, peu de gens peuvent y travailler. Mais lorsque n’importe quel enfant pourra laisser libre cours à son imagination avec un objet supraconducteur, les possibilités se multiplieront. Une révolution technologique s’ensuivrait. »