Par: Natalie Richard
17 Oct, 2023
« Tout le monde connaît quelqu’un ou est passé par le cancer », explique Parvin Mousavi, titulaire de la chaire d’IA Canada-CIFAR à l’Institut Vecteur. « Actuellement, environ 25 à 30 % des chirurgies du cancer du sein ont des marges positives, ce qui signifie que les patientes devront subir des opérations de suivi pour éliminer les cellules cancéreuses restantes. « Aucun chirurgien ne veut laisser de cancer derrière lui, donc s’il ne pense pas avoir [tous les tissus cancéreux], il risque de prélever plus de tissus sains qu’il n’en a vraiment besoin. Il doit y avoir quelque chose de mieux que cela et c’est là que mes recherches entrent en jeu. »
« Aussi merveilleuse que soit l’IA, elle n’a d’impact sur les soins de santé qu’avec une équipe multidisciplinaire disposée à travailler ensemble – cliniciens, ingénieurs, étudiants, tout le monde. Si l’un d’entre nous tombe, les autres ne peuvent pas rester debout. »
Parvin Mousavi, Titulaire de la chaire d’IA Canada-CIFAR, Institut Vecteur
Lors du traitement du cancer du sein, les chirurgiens créent et cautérisent des incisions. Grâce à une technique de pointe appelée spectrométrie de masse par évaporation rapide (REIMS), le panache de fumée résultant des incisions cautérisées est aspiré par un dispositif appelé spectromètre de masse qui analyse immédiatement les profils biochimiques des échantillons de tissus brûlés. En quelques secondes, les cliniciens peuvent potentiellement se faire une idée précise de la composition du tissu qu’ils coupent, et savoir en temps quasi réel s’ils ont atteint ou franchi par inadvertance les limites du tissu cancéreux qu’ils tentent d’éliminer.
« Lorsque vous brûlez, vous pouvez imaginer que vous brûlez toutes sortes de tissus, ce qui donne des données très bruyantes. Il n’y a pas d’étiquettes – il s’agit de chirurgie, pas de pathologie – parce que vous brûlez les tissus pendant que vous vous déplacez. Le problème est infiniment difficile. »
L’utilisation de l’IA permet de mieux comprendre ces ensembles de données complexes. Parvin Mousavi et son équipe construisent de puissants modèles d’apprentissage profond capables de catégoriser avec précision le type de tissu brûlé, aidant ainsi les chirurgiens à conserver les tissus sains tout en éliminant les cellules cancéreuses. Pour ce faire, ils ont entraîné le programme à l’aide de données collectées avec un outil chirurgical appelé iKnife, alimenté par la technologie REIMS, ce qui permet au modèle de faire la différence entre les types de tissus sur la base de leurs signatures chimiques.
En appliquant des techniques d’apprentissage automatique à la navigation chirurgicale, la recherche de Mousavi vise à éliminer complètement toutes les cellules cancéreuses avec une perte minimale de tissus sains, réduisant ainsi la nécessité d’interventions chirurgicales supplémentaires et améliorant les résultats pour les patients.
Les premiers résultats étant prometteurs, la technologie de Mousavi fait actuellement l’objet d’un essai de faisabilité au Centre des sciences de la santé de Kingston. Un certain nombre d’hôpitaux européens étudient également cette technologie. Parvin Mousavi a également reçu récemment une subvention de 700 000 dollars des Instituts de recherche en santé du Canada pour les travaux de son équipe. Cette somme permettra à Mme Mousavi et à son équipe d’explorer NaviKnife, un système d’imagerie et de navigation chirurgicale de nouvelle génération qui s’appuie sur l’appareil iKnife et utilise un nouveau typage métabolomique des tissus en temps réel, l’apprentissage automatique et le suivi guidé par l’image pour aider le chirurgien à identifier et à tracer les limites d’une tumeur pendant l’intervention chirurgicale.
Un autre domaine de recherche exploré par Parvin Mousavi et une autre équipe de chercheurs est la détection du cancer de la prostate en accélérant l’adoption par l’IA d’une technologie avancée d’échographie.
Le cancer de la prostate représente un cinquième de tous les nouveaux cas de cancer chez les hommes. Toutefois, les chances de guérison augmentent considérablement lorsque le cancer est traité à un stade précoce. Pour détecter le cancer de la prostate, les patients subissent une IRM, puis une échographie qui aide les cliniciens à déterminer où faire une biopsie pour établir un diagnostic définitif. Mais au Canada, les délais d’attente pour l’IRM peuvent être longs. Pour contourner ce problème, Parvin Mousavi et son équipe se sont associées à Exact Imaging, une société d’imagerie médicale basée à Toronto et spécialisée dans les systèmes de micro-ultrasons à haute résolution, pour concevoir un système capable de fournir une imagerie en temps réel et de guider les biopsies.
Contrairement aux appareils à ultrasons classiques, l’échographie à haute fréquence d’Exact Imaging est idéale pour l’imagerie de la prostate. « L’imagerie par ultrasons conventionnelle n’est utile que pour les biopsies, mais ne suffit pas à elle seule à diagnostiquer le cancer, alors que l’imagerie à haute fréquence permet d’observer les changements presque au niveau cellulaire, » explique Parvin Mousavi.
Pour améliorer encore l’image, Exact Imaging explore une approche basée sur l’IA pour identifier les zones les plus susceptibles d’être cancéreuses à partir d’images échographiques pendant la biopsie. Parvin Mousavi et son équipe ont créé des modèles spécifiques pour guider les biopsies du cancer de la prostate en utilisant les données d’essais multicentriques. « En appliquant notre cadre d’IA, nous avons eu beaucoup plus de chance avec l’association des images échographiques avec le cancer de la prostate. »
La spécificité et la précision du modèle d’IA offrent des résultats prometteurs dans la détection du cancer. Une fois validée, cette technologie d’imagerie à haute résolution améliorée par l’IA pourrait permettre d’éviter à certains patients d’avoir recours à l’IRM, ce qui permettrait d’accélérer le diagnostic et, surtout, d’améliorer les résultats pour les patients.
Parvin Mousavi et son équipe ont déjà reçu plusieurs distinctions académiques pour leur travail, notamment le prix de la meilleure présentation à la conférence Information Processing in Computer-Assisted Interventions (IPCAI) de cette année. Leur travail, ainsi que celui d’autres chercheurs et praticiens de l’IA issus de la communauté Vector, pourrait déboucher sur des soins plus personnalisés et de meilleure qualité, améliorant l’efficacité de notre système de santé, réduisant les temps d’attente et améliorant les résultats pour de nombreux Canadiens. Elle souligne toutefois que, lors du déploiement de l’IA dans le domaine de la santé, le passage de la théorie à la pratique exige que toutes les personnes impliquées soient sur la même longueur d’onde et respectent les lignes directrices éthiques appropriées.
« Aussi merveilleuse que soit l’IA, elle n’a d’impact sur les soins de santé qu’avec une équipe multidisciplinaire disposée à travailler ensemble – cliniciens, ingénieurs, étudiants, tout le monde. Si l’un d’entre nous tombe, les autres ne peuvent pas rester debout. »