Par: Abeer Khan
21 Août, 2024
Quatre membres du programme Règne fongique : Menaces et possibilités du CIFAR ont découvert un traitement potentiel contre un organisme fongique qui décime les grenouilles et les crapauds à travers le monde.
Les membres Jason Stajich, Tim James, Lillian Fritz-Laylin, Matthew Fisher et leurs équipes collaborent à la découverte et à l’étude d’un virus qui pourrait être modifié pour infecter et détruire Batrachochytrium dendrobatidis, ou Bd. Cet organisme fongique, qui a contribué au déclin de plus de 500 espèces d’amphibiens et peut-être à 90 extinctions, s’infiltre dans la peau des grenouilles et des crapauds et finit par provoquer une insuffisance cardiaque.
Bd n’est qu’une des nombreuses maladies fongiques responsables de l’extinction de certaines espèces sauvages à travers le monde, et la mortalité massive des amphibiens menace la biodiversité.
« Il entraîne une infection de l’épiderme, ce qui rend la respiration difficile », a déclaré Stajich, professeur à l’Université de la Californie à Riverside.
Bien que d’autres facteurs, comme la perte d’habitat et les polluants environnementaux, aient contribué au déclin des populations de grenouilles et de crapauds, Bd a eu un impact considérable sur les écosystèmes mondiaux et a contribué à la disparition massive de populations d’amphibiens.
« Il n’existe pas encore de bons traitements », déclare Fritz-Laylin, biologiste cellulaire à l’Université du Massachusetts à Amherst. « Certaines choses ont déjà été essayées et semblent aider, mais elles sont associées à d’autres coûts importants », explique-t-elle. Pour le programme Règne fongique, le développement de nouveaux traitements et antifongiques constitue un objectif important, car il y a actuellement un manque de connaissances et de disponibilité dans le domaine.
Stajich a découvert la présence du virus grâce à une approche originale. Depuis des décennies, les scientifiques étudient Bd en séquençant son génome pour mieux en comprendre la diversité et les origines. Les données de séquençage sont alignées avec un génome de référence – la version la plus parfaite du génome de Bd réalisée en 2006 par des équipes de l’Institut Broad et du Joint Genome Institute – et les deux sont comparés.
Le virus avait jusqu’alors échappé à la détection, car il était absent des souches choisies pour le génome de référence, de sorte que les scientifiques ignoraient son existence. Stajich a eu l’idée d’examiner les « restes », c’est-à-dire les séquences qui ne s’alignaient pas avec le génome de référence.
À l’issue de l’analyse, il s’est avéré que ces séquences renfermaient des gènes correspondant à un gène viral, ce qui a finalement mené à cette découverte. Une autre raison importante pour laquelle le virus n’avait jamais été détecté auparavant est qu’il s’agit d’un virus à ADN plutôt qu’à ARN, ce qui requiert une stratégie de recherche différente. La plupart des mycovirus répertoriés qui ont fait l’objet d’études poussées sont des virus à ARN.
« Personne ne l’avait détecté auparavant, car on examinait toujours différentes souches de l’organisme fongique sans le virus – et on les examinait d’une manière différente », a déclaré James, professeur à l’Université du Michigan. « Le virus était donc bel et bien présent depuis le début, mais nous ne le savions pas. »
Lorsque Stajich a découvert les séquences qui ne correspondaient pas au génome de référence, il a envoyé un courriel à James, membre du CIFAR et ami de longue date. Ils ont souligné l’importance du virus dans une demande conjointe de subvention à la Fondation Moore dirigée par Fritz-Laylin, biologiste cellulaire à l’Université du Massachusetts à Amherst. La subvention a été accordée dans le cadre de l’Initiative sur la symbiose dans les systèmes aquatiques de la Fondation qui vise à rehausser la normalisation de l’étude des symbioses amphibiens-Bd. Le groupe a aussi obtenu une subvention Catalyseur du CIFAR et a ainsi reçu des fonds pour explorer le virus dans Bd, en collaboration avec Fisher, professeur à l’Imperial College de Londres.
« La collaboration s’est faite tout naturellement, car nous nous connaissons du CIFAR. Notre travail conjoint coulait de source », ajoute James.
Le laboratoire de James, axé sur les souches de Bd trouvées au Brésil, a réalisé un grand nombre des expériences centrales de l’étude visant à déterminer si les souches présentaient un phénotype différent en fonction de leur statut infectieux.
Le laboratoire de Fritz-Laylin a créé une sonde d’hybridation in situ en fluorescence (FISH) pour visualiser s’il y avait des particules virales dans les cellules. Son laboratoire travaille actuellement à la manipulation de l’organisme fongique, en réalisant des transformations et en essayant des manipulations génétiques.
« La collaboration a été formidable, car nous apportons tous des compétences différentes », a déclaré Fritz-Laylin. « Tout le monde offre quelque chose de différent. C’est vraiment merveilleux de faire avancer la science. Mais c’est aussi très amusant, et c’est en partie pourquoi nous travaillons si bien ensemble. »
Globalement, le travail des membres du CIFAR fait la lumière sur la façon dont le virus infecte les organismes fongiques. L’équipe connaît désormais la structure du virus, sait qu’il se trouve dans le génome fongique et a les connaissances nécessaires pour le modifier.
« À ce stade, cela pourrait résoudre deux problèmes », a déclaré James. « Premièrement, il y a l’aspect biocontrôle, où nous essayons d’affaiblir l’organisme fongique pour qu’il n’infecte pas les grenouilles. Deuxièmement, nous pouvons faire de la transgénèse en laboratoire pour mieux comprendre l’organisme fongique. »
À l’avenir, l’équipe continuera à approfondir sa compréhension des mécanismes biologiques de l’infection grâce à la technologie des sondes FISH de Fritz-Laylin. Cela permettra d’étudier comment modifier la souche virale pour cibler l’organisme fongique et, en fin de compte, arriver à décoder les interactions entre le virus et l’organisme fongique, a expliqué Stajich.
Il a par ailleurs souligné le rôle joué par le CIFAR en facilitant des discussions importantes et en rassemblant les membres autour de cet important travail.
« Le programme du CIFAR a renforcé notre capacité à communiquer et à collaborer », a déclaré Stajich.
Cette recherche ouvre la voie à une pléthore de nouvelles découvertes et applications éventuelles, y compris une meilleure compréhension de ce qui distingue Bd des autres organismes fongiques chytrides.
« Il y a longtemps que l’on se demande comment Bd peut infecter les vertébrés et en quoi il est différent », explique Fritz-Laylin.
Elle précise que des personnes ont proposé des idées, mais qu’il était impossible de les mettre à l’essai.
« Désormais, c’est possible. »