Par: Justine Brooks
5 Mar, 2025
La Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle a été lancée en 2017 dans le cadre d’une initiative gouvernementale visant à investir dans la recherche et les talents en IA. Le CIFAR a alors été mandaté pour diriger sa mise en œuvre en collaboration avec trois instituts nationaux d’IA – Amii à Edmonton, Institut Vecteur à Toronto et Mila à Montréal – qui ont été créés dans la foulée de la Stratégie.
Se concentrant d’abord sur les talents et les écosystèmes, les objectifs de la Stratégie ont été étendus lors de la deuxième phase à la commercialisation et aux investissements dans l’infrastructure de calcul. Plus récemment, un nouveau programme de recherche axé sur la sécurité de l’IA a été ajouté au portefeuille. Alors que la Stratégie entre dans sa huitième année, Elissa Strome, directrice générale de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA au CIFAR, en rappelle les origines ainsi que les réalisations et se penche sur ce qui attend le secteur de l’IA au Canada.
CIFAR : Lorsque vous avez été nommée directrice générale de la Stratégie, qu’espériez-vous réaliser? Quelle a été l’évolution depuis 2018?
Elissa Strome : Lorsque je suis arrivée au CIFAR, je savais que le Canada était un leader mondial de la recherche en intelligence artificielle et que nous pouvions nous appuyer sur une expérience de quelques décennies dans ce domaine pour progresser. Mais je savais aussi que les personnes possédant des compétences et une expertise en IA étaient sollicitées dans le monde entier et que la demande ne cessait d’augmenter. Je voulais contribuer à la création au Canada d’une communauté de recherche en IA riche, dynamique et solide, en retenant les talents extraordinaires que nous avions déjà ici et en attirant les esprits les plus brillants du monde entier. En 2018, on commençait tout juste à comprendre que l’IA pouvait avoir des répercussions positives dans des domaines importants pour la société (santé, environnement, éducation), et je savais que la science canadienne, tant fondamentale qu’appliquée, pouvait contribuer à réaliser le potentiel de l’IA. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis 2018, en particulier avec l’avènement de l’IA générative. Parallèlement, à mesure que les systèmes d’IA évoluent, nous commençons à entrevoir que des risques importants sont associés aux systèmes d’IA les plus puissants. C’est pourquoi la compréhension de la sécurité de l’IA est devenue un sujet d’intérêt qui s’ajoute à l’éventail de sujets que nous abordons en IA fondamentale et appliquée.
CIFAR : Pourquoi est-il important de se concentrer sur les talents et la recherche? La commercialisation et l’innovation industrielle ne sont-elles pas également importantes pour le leadership du Canada en matière d’IA?
Elissa Strome : Comme l’IA est une technologie scientifique hautement innovante et en perpétuelle mutation, la plus grande valeur de son écosystème réside dans les personnes. L’IA est un domaine qui se nourrit de nouvelles idées, et les grandes idées naissent lorsque des personnes talentueuses ont la liberté et les ressources nécessaires pour expérimenter ainsi que la possibilité de collaborer avec d’autres personnes talentueuses. Cette dynamique tend à attirer des chefs de file dans le domaine, et le Canada excelle à cet égard : il se classe au troisième rang mondial pour le nombre de chercheurs et chercheuses en IA dont les travaux figurent parmi les 0,5 % les plus cités. Ensemble, grâce à nos efforts en matière de développement, d’attraction et de rétention, la cohorte canadienne de talents en IA a augmenté annuellement de 38 % en moyenne depuis 2018, devançant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Italie. Le Canada compte l’un des plus riches bassins mondiaux de talents qui possèdent des compétences et une expertise en IA. C’est sur ces personnes que repose la véritable valeur de l’écosystème canadien de l’IA.
CIFAR : Y a-t-il des projets de recherche menés par les chaires en IA Canada-CIFAR qui vous enthousiasment particulièrement?
Elissa Strome : Il y en a quelques-uns qui me réjouissent et me donnent de l’espoir en raison de leur potentiel d’impact. L’un d’entre eux est le projet BIOSCAN sur lequel travaillent trois de nos titulaires de chaires en IA Canada-CIFAR. Graham Taylor (Institut Vecteur), Angel Chang (Amii) et David Rolnick (Mila) utilisent l’apprentissage automatique pour surveiller les populations d’insectes et protéger la biodiversité dans le monde entier. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une collaboration mondiale plus large, mais il met réellement en évidence les possibilités qu’offre l’IA pour apporter des solutions dans toutes les disciplines.
Un autre projet qui me ravit est celui d’Audrey Durand (Mila) qui utilise l’apprentissage par renforcement pour identifier les interactions médicamenteuses dangereuses. Cette recherche vise à atténuer leurs effets néfastes sur la santé, en particulier dans certaines des populations les plus vulnérables, comme les personnes âgées, qui prennent souvent plusieurs médicaments différents.
CIFAR : La sécurité de l’IA est une expression à la mode en ce moment. Comment le Canada se distingue-t-il des autres pays dans ce domaine?
Elissa Strome : Dans le cadre du nouveau programme de recherche de l’Institut canadien de la sécurité de l’IA (ICSIA) au CIFAR, nous avons réuni une communauté de chercheurs et chercheuses de différentes disciplines pour faire progresser notre compréhension de la sécurité de l’IA. L’ICSIA, qui est une initiative menée par le gouvernement fédéral, fait partie du réseau international des instituts de la sécurité de l’IA. Alors que d’autres pays font progresser leurs travaux sur la sécurité de l’IA uniquement au sein du gouvernement, le travail que nous effectuons avec la communauté de recherche du CIFAR est complémentaire au travail effectué par le gouvernement. Nous voulons ainsi tirer parti de l’expertise sur les répercussions techniques et sociales partout au pays afin d’enrichir la réflexion sur la sécurité de l’IA et d’aider le gouvernement à faire progresser les politiques et la coopération internationale.
Quelles ont été les principales retombées de la Stratégie au cours des cinq dernières années?
Elissa Strome : Les efforts consacrés à l’attraction et à la rétention des talents ont eu une incidence considérable sur l’écosystème de la recherche en IA au Canada. Nous comptons aujourd’hui plus de 130 titulaires de chaires en IA Canada-CIFAR qui forment l’une des communautés de recherche en IA les plus riches du monde. Nous nous classons également au deuxième rang mondial pour le nombre d’articles de recherche sur l’IA publiés par habitant. En ce qui concerne le secteur de l’IA au Canada, nous avons soutenu la création de jeunes pousses, qui constituent aujourd’hui un écosystème dynamique et florissant. En effet, le Canada se situe au cinquième rang mondial pour le nombre de jeunes pousses dans le domaine de l’IA. Certaines de ces entreprises ont été fondées par des personnes qui ont assisté à notre École d’été sur l’apprentissage profond et l’apprentissage par renforcement, qui ont été formées par nos titulaires de chaires en IA Canada-CIFAR ou encore qui ont participé à d’autres programmes du CIFAR, comme le programme de recherche Apprentissage automatique, apprentissage biologique. C’est le cas, par exemple, de Raquel Urtasun, fondatrice de Waabi, une jeune pousse de technologie de conduite autonome, et d’Alex Cui, cofondateur de GPTZero.
CIFAR : Comment peuvent progresser le leadership et l’héritage du Canada en matière d’IA, et quelle sera la contribution du CIFAR?
Je pense qu’au cours des années à venir, la qualité de la recherche et des talents restera la principale contribution du Canada au monde de l’IA. Le CIFAR continuera à réunir les meilleures personnes pour faire progresser une IA responsable, sûre et fiable dans des domaines qui profiteront au Canada et au monde entier.
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