Par: Katherine Amato
31 Juil, 2018
Katherine Amato est Chercheuse mondiale CIFAR-Azrieli au sein du programme Microbiome humain du CIFAR, professeure adjointe au département d’anthropologie de l’Université Northwestern et rédactrice adjointe de la revue Microbiome. Margaret McFall-Ngai est présidente du comité consultatif du programme Microbiome humain du CIFAR, et professeure et directrice du Pacific Bioscience Research Center de la School of Ocean and Earth Science and Technology à l’Université d’Hawaii, à Manoa.
Katherine Amato (KA) : Pourriez-vous d’abord me parler de votre premier poste de professeur et de ce que ça représentait?
Margaret McFall-Ngai (MMN) : J’ai fait des études supérieures à l’Université de la Californie à Los Angeles – je suis une fille de la Californie du Sud – et ensuite j’ai fait un stage postdoctoral au Jules Stein Eye Institute en biochimie et en biophysique des protéines. Ensuite, je suis redescendue vers le sud, au Scripps Institution of Oceanography, et j’ai fait un deuxième stage postdoctoral avec George Somero sur la chimie et l’enzymologie des protéines. Pendant tout ce temps, j’ai passé des entrevues d’emploi et avant cela on m’avait offert quelques postes.
Ensuite Ned (Edward Ruby) et moi sommes devenus un couple et souhaitions obtenir un poste au même endroit. Cette année-là, nous avons eu trois offres. L’une d’entre elles était à l’Université de la Californie du Sud. La Californie c’était comme chez moi … mais, comme vous pouvez l’imaginer, le problème c’était que Ned y était déjà. Je devais assumer mon premier poste de professeure en tant qu’une « épouse accompagnatrice ». Tout cela ne m’emballait pas beaucoup, mais il s’agissait de la meilleure offre.
C’était en 1989 et j’étais la première femme à occuper un poste menant à la titularisation de toute l’histoire de la section marine de l’Université de la Californie du Sud.
KA : Impressionnant.
MMN : J’avais plein de problèmes associés au fait que j’étais la conjointe de Ned. Ça me rendait folle, car j’avais travaillé vraiment fort pour me retrouver aux plus hauts échelons possible dans ma carrière.
KA : Comment avez-vous cheminé à travers le processus de la titularisation?
MMN : À l’époque, mes recherches portaient sur un sujet tout à fait différent. J’examinais l’adaptation spectrale de la rhodopsine à l’aide d’expériences chez les animaux. Très rapidement, en quatre ans, j’ai obtenu une subvention des NIH, de la NSF et de l’ONR.
Quatre ou cinq autres jeunes professeurs ont été embauchés en même temps que moi. La directrice, Maria Pelligrini, est venue me voir et m’a dit : « Vous savez quoi? Vous devez obtenir votre titularisation tôt, car il y a toutes ces choses qui vous arrivent et je ne veux pas que vous fassiez une demande de titularisation tous en même temps ». J’ai donc obtenu ma titularisation tôt. C’était formidable.
Margaret McFall-Ngai
KA : L’obtention de la titularisation était-elle chose courante parmi vos pairs?
MMN : Environ quatre ans après l’obtention de ma titularisation, je suis allée à une réunion de la [Society for Integrative and Comparative Biology] et mon groupe de l’Université de la Californie à Los Angeles s’y est réuni. Notre cohorte a bien réussi. À ce moment-là, 25 d’entre nous étaient professeurs titulaires – 24 hommes et moi.
Ce qui est triste c’est qu’à la diplomation, il y avait autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandée, « Attendez une minute. Où est passé tout le monde? » Tout s’expliquait par une série de raisons sociologiques. À l’époque, c’était impossible pour les femmes d’avoir le genre de vie qu’elles souhaitaient.
Voilà comment j’ai commencé.
KA : C’était il n’y a pas si longtemps, mais il semble qu’on ne se penchait pas encore sur un grand nombre de ces questions, contrairement à ce qu’on pensait.
MMN : Les choses ont beaucoup changé, mais je me suis toujours dit qu’en leur disant ce qu’il nous faut et ce que l’on veut, et qu’on ne cède pas, qu’on obtient ce qu’il nous faut et ce que l’on veut.
KA : Comment vous êtes-vous retrouvée à déménager à Hawaii?
MMN : Comme le système pieuvre-vibrion fonctionnait, Ned et moi souhaitions déménager à Hawaii. Il y avait là un très bon laboratoire de biologie cellulaire, moléculaire et de développement, appelé Kewalo Marine Laboratory où les chercheurs utilisaient des mammifères marins pour se pencher sur des questions biologiques et biomédicales fondamentales. Mike Hadfield en était le directeur. Lors d’une réunion, je lui ai dit : « En passant, y a-t-il des ouvertures de poste au Kewalo Marine Lab? » Et il se trouvait que quelqu’un se voyait offrir une chaire à Harvard. J’ai donc pu assumer le poste, et Ned – quelqu’un était sur le point d’ouvrir un laboratoire à Berkeley. Les astres étaient alignés et nous avons pu déménager là-bas, et je suis devenue la première femme occupant un poste menant à la titularisation au Kewalo Lab.
Katherine Amato
KA : Quel est le meilleur conseil qu’on vous a donné?
MMN : Le meilleur conseil qu’on ne m’ait jamais donné c’était quand j’étais étudiante diplômée. Le plus important c’était de commencer à réfléchir à qui l’on est et à comment on peut s’intégrer. Selon moi, vous pouvez vous retrouver à la fine pointe en étant l’une de deux choses : vous pouvez être un pionnier ou vous pouvez être une personne qui se lance dans un domaine et qui donne de gros coups de coude.
Je crois que les femmes excellent en tant que pionnières, qu’elles sont habiles pour créer des choses et qu’elles réussissent bien à la frontière des connaissances. Quand je pense à vous, je vois la spécialiste du microbiome des primates au pays. Vous êtes pour moi une pionnière dans le domaine, vous vous taillez une place singulière qui vous mènera en haut de l’échelle.
J’ai fait mon doctorat en morphologie fonctionnelle et en physiologie comparée et, après ça, j’ai étudié la biochimie et la biophysique des protéines. J’ai donc combiné les domaines et j’ai posé la question, « Comment les animaux vivent-ils dans leur environnement? » et je demandais comment ils font sur le plan biochimique.
À l’époque, très peu de personnes se penchaient sur cette question. George Romero est le père du domaine et il a été mon deuxième directeur de stage postdoctoral. J’ai fait mon premier stage postdoctoral avec Joe Horwitz du Jules Stein Eye Institute à l’Université de la Californie, à Los Angeles, où j’ai appris les bases de la biochimie et de la biophysique des protéines. C’était vraiment formidable pour moi, car ce que j’ai fait m’a permis d’avoir une compréhension d’ensemble de l’évolution, de l’écologie et de la physiologie animale. J’ai aussi acquis de grandes compétences en biochimie.
KA : Quelle est la chose la plus précieuse que vous avez apprise pour la mise sur pied d’un programme de recherche et d’un laboratoire? Vous avez eu l’occasion de le faire à quelques reprises, de changer les choses et de voir comment ça fonctionne.
MMN : Je dirais que l’une des choses les plus importantes c’est de ne pas accepter de poste avant que le laboratoire ne soit complètement fini. C’est arrivé à plusieurs de mes collègues. La pire fois, la personne a accepté le poste et c’est seulement trois ans plus tard que le laboratoire était prêt.
KA : Oh la la!
MMN : Vous devez être bien certain que votre laboratoire est prêt pour pouvoir démarrer à plein régime une fois que vous y êtes.
KA : Quelles sont certaines des meilleures façons d’embaucher de bons étudiants?
MMN : Je suis extrêmement franche avec eux. Je leur dis que je suis une universitaire et que s’ils sont incertains quant à leur trajectoire de carrière, mon laboratoire n’est peut-être pas pour eux. S’ils songent à une carrière en industrie ou en enseignement, mon laboratoire n’est peut-être pas l’idéal, car je suis extrêmement exigeante et je leur dis qu’à moins qu’ils ne soient l’auteur principal de trois publications en lien avec leur thèse, je ne serai pas satisfaite. Alors, dès le départ, ils savent à quoi s’en tenir dans mon laboratoire.
Les étudiants doivent obtenir un certain GPA ou un certain résultat au GRE afin d’être acceptés aux études supérieures; mais je n’ai cerné aucune corrélation entre ces notes et la réussite en laboratoire. En fait, si quelqu’un a un GPA de 4,0 et une note parfaite au GRE ça me fait réfléchir, car ça veut dire que cette personne apprend extrêmement bien ce qu’il y a dans les manuels et ça m’inquiète. Conséquemment, je cherche toujours des gens qui adorent travailler en laboratoire.
KA : À quelle fréquence allez-vous sur le terrain pour prélever des échantillons?
MMN : Je suis maintenant à Hawaii, mais quand nous étions au Wisconsin, nous nous déplacions trois à quatre fois l’an. Et quand nous étions à l’Université de la Californie du Sud, nous allions à Hawaii trois à quatre fois l’an.
KA : Y a-t-il des caractéristiques spéciales que vous cherchez en matière de compétences ou de personnalité chez les gens qui travaillent dans votre laboratoire?
MMN : Certaines personnes aiment beaucoup faire du travail de terrain et d’autres souhaitent vraiment travailler en laboratoire, il y a donc une tension entre ces deux sphères.
Je crois que c’est une mauvaise idée de forcer les gens à faire des choses qui leur déplaisent, mais c’est très important que tout le monde se retrouve au moins une fois sur le terrain. Ils doivent comprendre cette dimension, à quel point c’est important, à quel point c’est difficile.
KA : Quelle est la taille de votre laboratoire?
MMN : On découvre une chose après un certain temps, c’est que la taille de laboratoire idéale varie d’une personne à l’autre.
En d’autres mots, il faut veiller à ce que la taille du laboratoire soit gérable. Certaines personnes se débrouillent très bien avec un groupe de stagiaires postdoctoraux qui aident les étudiants diplômés, et alors ils n’ont pas grand-chose à faire. Comme chaque personne dans mon laboratoire a un projet vraiment très différent, cette dynamique est difficile. Pour moi, je trouve que c’est plus efficace d’avoir un plus petit laboratoire.
J’ai découvert que l’idéal quand j’étais tout le temps au labo, c’était d’avoir une équipe de six à huit personnes; et maintenant que j’ai un poste administratif, j’ai quatre personnes dans le laboratoire – deux stagiaires postdoctoraux et deux étudiants diplômés.
KA : Comment fonctionne votre laboratoire?
MMN : Je dois dire que dans l’ensemble tous mes étudiants diplômés et stagiaires postdoctoraux sont indépendants. Et j’encourage la chose à dessein. Ils ont chacun leurs propres projets, des projets très différents. Et je crois que c’est grâce à la façon dont j’ai été élevée, j’étais responsable d’être l’experte en la matière. Je vous donne un exemple : actuellement, j’ai un stagiaire qui travaille en épigénétique. Et nous sommes l’un des rares groupes en raison de la nature de notre symbiose, c’est-à-dire, elle est binaire et on peut y cultiver les bactéries. Nous pouvons donc étudier l’épigénétique dans les bactéries et savoir précisément qui ou quoi les influencent.
KA : C’est vraiment intéressant.
MMN : Le système pieuvre-vibrion a une telle envergure que d’autres peuvent en profiter, et Ned et moi ne leur ferons pas concurrence. En juin, nous avons célébré le 30e anniversaire du système pieuvre-vibrion.
Nous avons organisé une grande fête au Scripps Institution of Oceanography, à La Jolla, où tout a commencé. Il y a maintenant 15 ou 16 laboratoires qui travaillent à divers aspects du système. Nous tenons une réunion annuelle et tous les gens savent alors ce que les autres font, donc personne ne se marche sur les pieds. Vous pouvez faire de l’écologie, de l’évolution, de la biochimie. Vous pouvez faire tant de choses.
KA : Avez-vous réalisé beaucoup de choses en collaboration avec l’industrie?
MMN : On s’est adressé à moi plusieurs fois pour réaliser des travaux en collaboration avec l’industrie et cela concernait surtout une réflectine découverte par mon laboratoire. Je ne m’intéresse aucunement aux collaborations avec l’industrie, mais j’ai encouragé les interactions. Il y a un jeune chercheur, Alon Gorodetzky, à l’Université de la Californie à Irvine, qui a commercialisé la réflectine. Ils font toutes sortes de produits avec ces molécules biologiques biodégradables stables.
J’aime trop la science fondamentale. Et ça fait qu’il est très difficile de réfléchir à une demande de subvention et à d’autres tâches du genre. Mais Ned et moi avons eu beaucoup de chance. Et j’ai personnellement eu beaucoup de chance, car Ned excelle dans les demandes de subvention. C’est comme s’il savait ce que les gens veulent entendre et il repère les problèmes dans une demande de subventions. Moi j’aurais plutôt le réflexe de dire : « Vous savez quoi, pourquoi ne pas tout simplement nous donner l’argent? On va faire de belles choses grâce à ces fonds. »
KA : Oui, je comprends. Et quelle a été votre expérience avec les demandes de subvention?
MMN : J’ai obtenu d’importantes subventions seule, et en collaboration avec Ned et d’autres. Vous devez formuler trois très bonnes questions – premièrement, vous avez tellement de données préliminaires sur l’une des questions que le travail est presque fini; deuxièmement, vous avez une question qui est tout à fait faisable et très stimulante; et, troisièmement, vous avez une question très audacieuse, un peu risquée, mais vous pouvez démontrer que c’est possible.
Ned et moi avons eu beaucoup de chance. Nous avons obtenu des subventions des NIH ou de la NSF presque de façon continue. Et laissez-moi vous dire, Katherine, que de dire, « Vous devriez donner de l’argent à une pieuvre », est en quelque sorte un art.
Selon moi, pour une demande de subvention, il faut formuler des questions stimulantes et souligner ce que vous faites qui se distingue de ce que font les autres.
Ce que vous vendez après tout c’est un concept, vous devez comprendre leur position en tant qu’examinateurs et tenir compte de ce qu’ils veulent entendre.
KA : En début de carrière, faut-il cibler de grosses subventions ou bien de petites subventions qui sont plus accessibles?
MMN : Eh bien, voici ce que j’en pense. L’âge moyen de la première subvention RO1 est de 43 ans.
KA : Oui, et je refuse de l’accepter, même si c’est la réalité.
MMN : Voilà une bonne attitude. Il est important de se lancer dès que possible. À mon arrivée à l’Université de la Californie du Sud, le directeur de la section marine – je ne parle pas de Maria Pellegrini qui était directrice du département – me suggérait régulièrement des subventions destinées spécifiquement aux femmes. Un jour, je lui ai dit : « Je ne vais pas essayer d’obtenir ces subventions et je vais vous expliquer pourquoi – parce que quand je passe du temps à faire une demande de subvention destinée aux femmes, je ne suis pas dans l’arène principale où je devrai faire concurrence aux autres. »
Conséquemment, je crois qu’au début, en tant que chercheur débutant, vous aurez la chance de faire une demande de subvention à la NSF et aux NIH, et vous devriez saisir l’occasion.
KA : Avez-vous d’autres suggestions en matière de demande de subvention?
MMN : L’une des choses à faire est de trouver quelqu’un qui pourra revoir la demande. J’encourage fortement les gens à trouver quelqu’un de hautement compétent dans leur domaine qui serait prêt à réviser leur demande, à leur dire ce qu’il faut faire pour que la demande soit concurrentielle.
Pour cette raison, essayer de faire une demande en tant que nouveau professeur est vraiment très difficile. Vous n’êtes pas clairvoyant. Vous ne pouvez pas connaître la culture sans que quelqu’un vous aide à comprendre.
KA : Y a-t-il quelque chose que nous avons oublié et que vous aimeriez dire aux nouveaux professeurs?
MMN : La seule chose que je peux dire c’est de se tenir la tête haute et de ne pas être timide. Quelques-uns de mes stagiaires postdoctoraux en ce moment semblent un peu effrayés. Pourquoi avez-vous peur? Vous n’avez pas à avoir peur. Vous savez, lancez-vous et battez-vous comme un lion. En d’autres termes, si c’est votre rêve, vous avez intérêt à vous battre. Vous avez travaillé fort pour vous rendre où vous êtes et certains vont tomber, car ils ne se battront pas assez fort. Et vous n’avez qu’à vous battre encore et encore, et veillez à faire ce qu’il faut et à ne pas faire de compromis.
Selon moi, il ne faut pas faire de compromis. Évidemment, je suis une battante.
KA : C’est ce que j’aime chez vous, l’idée me plaît et je la fais mienne.
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