Par: Cynthia Macdonald
7 Nov, 2018
Nous avons tous entendu dire que les gens fonctionnent mieux avec sept à huit heures de sommeil par nuit. Mais saviez-vous que dormir davantage peut se révéler tout aussi mauvais que dormir moins? Des neuroscientifiques à l’Institut du cerveau et de l’esprit de l’Université Western ont fait cette découverte et ont élucidé beaucoup d’autres choses intéressantes à propos de l’une de nos ressources naturelles dont nous avons si désespérément besoin. Ils ont réalisé leurs recherches dans le cadre de ce qu’on qualifie de plus grande étude sur le sommeil au monde.
Adrian Owen, codirecteur du programme Cerveau, esprit et conscience du CIFAR a dirigé l’équipe de recherche. Plus de 10 000 volontaires du monde entier ont fourni des renseignements sur leurs habitudes de sommeil. Ils ont ensuite subi une variété de tests pour mesurer l’effet du sommeil sur la mémoire, la prise de décisions et d’autres fonctions cérébrales. Dans le présent entretien, Owen parle de certains des résultats plus remarquables de son étude, publiée dans la revue SLEEP, le 8 octobre dernier.
CIFAR : Cette étude confirme ce que nous avons tous entendu – que sept à huit heures de sommeil devrait être la norme.
Adrian Owen : Je regrette quelque peu d’être arrivé à ce chiffre, car des gens ont dit « n’étions-nous pas déjà au courant? ». Selon moi, ce qui est vraiment intéressant c’est que la plupart des gens ne réussissent pas à dormir autant. Le nombre moyen signalé par les participants est de 6,4 heures, cela veut dire que la moitié de notre échantillon dort moins que cela.
CIFAR : Il y a une autre chose qui m’a étonné : si une personne ne dort que quatre heures, elle fonctionnera le lendemain comme si elle avait neuf ans de plus.
Adrian Owen : Nous souhaitions particulièrement examiner cette idée de dormir quatre heures par nuit, car Donald Trump a dit qu’il ne dort que quatre heures par nuit, et Margaret Thatcher avait dit la même chose. Je crois que les gens sont fiers de dire, « écoutez, moi je dors seulement quatre heures par nuit et tout va bien ». Nous avons essayé d’illustrer cette situation pour que le public puisse comprendre. Une des façons de faire était de dire que ces personnes fonctionnent comme si elles avaient neuf ans de plus. Mais on aurait aussi bien pu se servir du QI, et cette situation équivaut à une perte de quatre points de QI.
CIFAR : Comment un manque de sommeil chronique influence-t-il notre fonctionnement?
Adrian Owen : Les gens qui manquent de sommeil obtiennent des résultats particulièrement mauvais dans des tests qui mettent en jeu la prise de décisions et la résolution de problèmes, le genre de choses qui nous permettent de fonctionner dans notre vie quotidienne. Nous n’avons repéré aucun effet sur la mémoire – la mémoire n’était en fait pas vraiment touchée.
Cela explique probablement en grande partie comment les gens font pour passer à travers leur journée. Dans mon travail, je passe beaucoup de temps à étudier la relation entre les lobes frontaux et les lobes temporaux. Les lobes temporaux sont de façon très générale nos centres de la mémoire, alors que les lobes frontaux entrent en jeu dans la prise de décisions, la planification et l’anticipation.
S’il vous manque l’un ou l’autre de ces éléments, vous pouvez tout de même vous en sortir. Si vous n’avez aucun problème de mémoire, vous pouvez passer à travers votre journée simplement en vous rappelant ce que vous avez à faire. Mais ces personnes-là ne se retrouveront pas à la tête d’Amazon ou d’Apple. En fait, les gens qui occupent un poste important dans ces entreprises ont peut-être une très mauvaise mémoire. Tant et aussi longtemps que vous avez de très bons lobes frontaux, vous pouvez très bien être un cadre avec une mauvaise mémoire au sein d’une entreprise prospère.
CIFAR : Qu’avez-vous découvert quant à la relation entre l’âge et le sommeil?
Les effets de la privation partielle de sommeil chez les personnes âgées sont exactement les mêmes que chez les gens plus jeunes. Je crois que l’idée dominante jusqu’à présent était que les personnes âgées ont besoin de moins de sommeil. Elles n’ont pas besoin de moins de sommeil : elles dorment moins et souffrent d’un déficit cognitif, voilà ce que nous avons découvert.
Adrian Owen : Nous avons découvert qu’avec l’âge les gens dorment moins, et il s’agit d’un effet bien connu. Toutefois, ce que nous n’avons pas découvert – et je crois que c’est novateur – c’est que dormir moins n’est pas un problème. Les effets de la privation partielle de sommeil chez les personnes âgées sont exactement les mêmes que chez les gens plus jeunes. Je crois que l’idée dominante jusqu’à présent était que les personnes âgées ont besoin de moins de sommeil. Elles n’ont pas besoin de moins de sommeil : elles dorment moins et souffrent d’un déficit cognitif, voilà ce que nous avons découvert.
CIFAR : Si le sommeil est si important, pourquoi les gens ne dorment-ils pas assez?
Adrian Owen : Probablement parce que ça n’est pas pratique – les gens voient le sommeil comme une interruption, car il les empêche de faire toutes les choses qu’ils veulent faire. Nous en avons évidemment tous besoin et, dans une certaine mesure, ça nous plaît, car nous nous sentons mieux après, particulièrement en cas de grande fatigue. D’un autre côté, nous percevons un peu le sommeil comme une interruption quand, après avoir regardé, disons, trois saisons de l’émission Peaky Blinders, nous voulons rester debout pour regarder le dernier épisode!
CIFAR : Je me suis toujours demandé si les gens n’avaient pas un peu peur du sommeil, car ils sont alors inconscients et ne peuvent pas jouir de toute l’excitation de la vie. Vous êtes reconnu pour vos recherches sur les gens qui sont inconscients – est-ce que les dormeurs tombent dans cette catégorie?
Adrian Owen : Il s’agit d’un domaine vraiment très nébuleux. Si vous parlez à des spécialistes du sommeil, eux-mêmes sont en désaccord à savoir si le sommeil est un état conscient ou inconscient. Pour moi, rêver est une expérience consciente, car c’est un moment où nous sommes en train d’interpréter le monde. Quand nous rêvons, nous nous déplaçons à travers le temps et l’espace, et nous établissons un rapport entre notre perception de l’information, et nos souvenirs et nos suppositions sur l’avenir.
Dans un rêve, nous prenons des décisions; dans un rêve, il y a des choses qui arrivent. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose, n’est-ce pas? Cette question me fascine et j’estime que le sommeil est un état altéré de la conscience : c’est différent de l’état d’éveil, mais c’est également différent d’un état d’anesthésie profonde.