Par: Jon Farrow
3 Sep, 2019
Les codirecteurs du programme Innovation, équité et avenir de la prospérité parlent du « gâteau » économique et de la raison pour laquelle une réflexion interdisciplinaire est essentielle pour créer un monde où tous les gens peuvent avoir une plus grosse part.
Chaque domaine a sa métaphore. La physique quantique a son chat qui est à la fois vivant et mort, et la génétique a son manuel d’instructions composé d’ADN.
L’économie, quant à elle, a son gâteau.
L’une des préoccupations centrales de l’économie traditionnelle est de comprendre si la société devrait se concentrer sur la « croissance du gâteau économique » en créant plus efficacement de nouvelles technologies et produits industriels, ou en veillant à la distribution juste et équitable du gâteau. On présente souvent cette question comme un compromis.
Selon les codirecteurs du nouveau programme Innovation, équité et avenir de la prospérité du CIFAR, il s’agit d’un faux choix. Nous pouvons, et devons, trouver des politiques qui atteignent ces deux objectifs.
La codirectrice Susan Helper, ancienne économiste en chef au ministère du Commerce des États-Unis à l’époque de l’administration Obama, professeure d’économie à l’Université Case Western Reserve et « économiste étrange » autoproclamée, croit que le moment est venu de voir les choses autrement. « Selon moi, le mode de création du gâteau influence sa distribution », dit-elle.
Selon Dan Breznitz, codirecteur du programme Innovation, équité et avenir de la prospérité et directeur de l’Innovation Policy Lab à l’École Munk des affaires internationales à Toronto, Israël constitue une excellente étude de cas pour illustrer la complexité de ces enjeux. Dans les années 1970, le pays a commencé à investir dans des industries à vocation scientifique pour renverser un ralentissement économique. Grâce à cet investissement, quand le pays a connu un afflux très important d’immigrants hautement scolarisés provenant de l’ancienne Union soviétique, il a pu intégrer les nouveaux arrivants grâce à des programmes qui encourageaient la participation au secteur de la haute technologie déjà florissant.
« C’était une réussite », dit Amos Zehavi, professeur à l’Université de Tel-Aviv et directeur adjoint du programme Innovation, équité et avenir de la prospérité. « Mais au fil du temps, nous nous sommes rendu compte d’une chose. Non seulement s’agissait-il d’une réussite sur le plan économique, mais aussi sur le plan social. Vers la fin des années 1990 et au début des années 2000, cela a vraiment contribué à améliorer la situation des immigrants, de leur famille et de la communauté russe en général en Israël. »
Ce type de réflexion, associé à des répercussions économiques et sociales, mène à ce que Zehavi et Breznitz appellent des « politiques d’innovation sensibles à la distribution ». Ils avancent que ces types de politiques pourraient constituer des outils efficaces pour résoudre le problème de l’inégalité sociale.
De plus, Breznitz met en garde que les récits d’innovation provenant d’endroits comme Israël ne sont pas nécessairement tout rose.
« Israël, à la fin de cette croissance incroyable, est passé de la deuxième société la plus égalitaire de l’OCDE à une société où un ménage sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté », dit-il. « Cela reflète ce que nous avons observé à San Francisco, à New York et dans d’autres centres d’innovation. » Bien que de nombreux avantages sociaux et économiques découlent de l’innovation, ceux-ci ne sont pas toujours distribués équitablement.
« Il est très clair que les politiques entourant l’innovation influencent sa trajectoire », dit Breznitz. Mais il prévient qu’il n’existe actuellement aucun moyen efficace de prédire l’impact social complet d’une politique donnée. En conséquence, il avance que de nombreuses décisions stratégiques importantes sont prises aveuglément.
Alors comment prendre des décisions plus éclairées et trouver des moyens pour faire croître le gâteau économique, tout en veillant à ce que tout le monde obtienne sa juste part? Nous devons commencer à poser les bonnes questions.
Il faut d’abord réunir des gens aux perspectives différentes. « Ceux qui participent au processus d’innovation influencent la nature des avantages qui en découlent », dit Helper. Voilà pourquoi le programme compte non seulement des spécialistes de l’innovation et des politologues, comme Breznitz et Zehavi, et des économistes, comme Helper, mais aussi des historiens qui comprennent comment les circonstances évoluent au fil du temps, ainsi que des ingénieurs qui développent de nouvelles technologies.
Les solutions aux grands défis sociétaux, qu’il s’agisse des changements climatiques, de l’antibiorésistance, de l’inégalité ou de l’insécurité, comporteront des aspects à la fois techniques et sociaux. Conséquemment, si nous souhaitons un monde où l’innovation mène à un plus gros gâteau économique, nous devons aussi réfléchir à la façon dont celui-ci sera tranché.