Le 18 mai 2021, les membres du programme Innovation, équité et avenir de la prospérité du CIFAR ont participé à une séance d’information sur invitation lors d’une réunion conjointe des comités des sous-ministres sur les cadres économiques et la croissance inclusive, ainsi que sur le développement social et le bien-être du gouvernement du Canada. La discussion lors de la séance d’information a porté sur des questions concernant le « quoi » et le « pourquoi » de l’innovation, les différents leviers et approches que les décideurs peuvent exploiter pour promouvoir une économie fondée sur l’innovation, et les conséquences sur la répartition de différentes politiques d’innovation destinées à promouvoir des résultats sociaux et économiques plus équitables. Le présent compte-rendu met en lumière les principaux résultats issus des présentations et des discussions subséquentes.
Résultats clés
L’innovation ne se résume pas aux inventions ni aux gadgets de haute technologie. Elle englobe l’intégralité du processus consistant à exploiter des idées et à les transformer en produits et services nouveaux ou améliorés, de la conception à la production, jusqu’au service après-vente.
- L’innovation constitue l’un des principaux moyens d’assurer la prospérité durable et la croissance du bien-être d’une société. L’économie de l’innovation peut cependant se décliner selon différents modèles, et le modèle le plus souvent copié, celui des jeunes pousses soutenues par du capital-risque, comme celui de Silicon Valley, donne aussi naissance à certaines des sociétés les plus inégalitaires. D’autres modèles, comme celui de Taïwan, peuvent être plus propices à la création de sociétés plus égalitaires, offrant davantage de possibilités aux citoyens possédant différents types de compétences de participer à la prospérité économique.
- En raison de la mondialisation de l’économie, la production de biens et de services est fragmentée à l’échelle mondiale, et ce sont des activités particulières (par exemple, conception, développement de prototypes, innovation en matière de composants, production et assemblage), et non des industries entières, qui sont regroupées dans des lieux spécifiques. En privilégiant l’innovation de produits nouveaux de « haut niveau », des écosystèmes comme Silicon Valley ont perdu la capacité d’innover à d’autres niveaux, comme dans la fabrication de semi-conducteurs. Les choix que font les gouvernements en matière de soutien d’activités ou de stades de production par des politiques d’innovation ont des conséquences importantes sur la répartition.
- Les décideurs politiques devraient se demander pourquoi ils souhaitent l’innovation dans leur champ de compétence. Ils devraient avoir une vision quant à la forme que devrait prendre l’économie locale, puis travailler à rebours pour définir le modèle d’innovation qui pourrait fonctionner pour les différentes villes ou régions, les industries et les activités particulières dans lesquelles investir, ainsi que les ressources nécessaires pour créer un écosystème propice au renforcement des avantages locaux pour les entreprises. Ces ressources, y compris les biens publics et semi-publics comme une main-d’œuvre qualifiée, ainsi que les mécanismes de financement (par exemple, capital-risque ou investissement en capital durable), devraient correspondre aux types d’entreprises présentes dans une région.
- Pour appliquer les connaissances en sciences sociales à l’élaboration des politiques, il est nécessaire de considérer spécifiquement les dirigeants locaux : s’il vaut mieux traiter certains leviers politiques à l’échelle nationale (comme la politique de la concurrence), d’autres requièrent une adaptation locale. Par ailleurs, il faut comprendre les limites des leviers politiques, plutôt que de s’appuyer sur l’idéal d’un décideur apte à réaliser ce que même un gouvernement national ne peut faire.
- L’expérience du Royaume-Uni au cours des trois dernières décennies pourrait offrir des leçons en matière de politique d’innovation — à savoir qu’il ne suffit pas de mettre l’accent sur les investissements du côté de l’offre pour stimuler la croissance économique, mais qu’il est au contraire nécessaire de considérer le contexte plus large de la demande.
- Malgré d’importants investissements dans l’éducation et les compétences dans les années 1990 — notamment un élargissement de l’enseignement secondaire et supérieur et une augmentation des investissements en recherche fondamentale — et la mise en place d’infrastructures publiques urbaines, le taux de croissance de la productivité britannique n’a pas réussi à rebondir après la crise financière de 2007-2008. Au moment où a frappé la pandémie de COVID, l’Office of National Statistics estimait un manque à gagner de 5 000 £/travailleur/an comparativement à la tendance d’avant 2007.
- Alors que les économistes débattent des causes d’un déclin aussi important de la croissance de la productivité, les points consensuels sont les suivants : une longue traîne d’entreprises à faible productivité ayant réalisé peu d’investissements de capitaux et s’appuyant sur une main-d’œuvre faiblement rémunérée (peut-être en raison d’un salaire minimum bas et de crédits d’impôt qui ont encouragé le travail à bas salaire); une inadéquation des compétences, où un vaste secteur à bas salaire a embauché un nombre croissant de personnes hautement qualifiées; et une stagnation de la productivité et un sous-investissement de capitaux par les entreprises les plus performantes, même dans la région la plus riche du pays autour de Londres. Le défi pour les décideurs politiques consiste donc à découvrir comment encourager le secteur privé à investir davantage de capitaux et à mieux exploiter les compétences.
- Le principal succès du Royaume-Uni pendant la pandémie de COVID, le vaccin AstraZeneca/Oxford, illustre le jumelage des approches de l’offre et de la demande : l’investissement d’un partenariat public-privé en recherche fondamentale a permis de créer le vaccin, mais la capacité d’étendre les lieux de test et d’essai clinique (par l’entremise du National Health Service) et la demande massive créée par les marchés publics ont aussi joué un rôle essentiel pour faciliter le développement rapide d’un vaccin à faible coût.
- Alors que le soutien économique aux entreprises et aux travailleurs diminuera progressivement après la COVID, le gouvernement aura pour défi de veiller à ce que la transformation créative qui s’ensuivra dans les secteurs du commerce de détail et de l’hôtellerie n’augmente pas les inégalités. De plus, au fur et à mesure des investissements dans les infrastructures et la R et D en dehors de Londres, le gouvernement devra s’assurer que ces investissements correspondent à un modèle de demande locale sur lequel les entreprises pourront miser.
- Alors que les gouvernements envisagent un changement vers le recours à la politique industrielle pour promouvoir l’innovation et la croissance économique, ils devraient éviter de soutenir par inadvertance les entreprises à faible productivité. Si de telles politiques doivent prévoir une protection pour les travailleurs déplacés, les gouvernements doivent dissocier l’objectif stratégique de l’innovation des incitations politiques immédiates consistant à « sauver des emplois ». Il faut éviter les crédits d’impôt inefficaces qui incitent les entreprises peu productives à préserver les emplois (par exemple en réduisant les cotisations à l’assurance sociale).
- De façon générale, les subventions à la R et D pourraient être de meilleurs outils en matière de politique d’innovation que les crédits d’impôt, car elles permettent une certaine discipline — par la mise en place de mécanismes pour examiner la façon dont les entreprises ont utilisé la subvention et les résultats des projets, ainsi que de conséquences réelles (comme le fait d’être exclu du financement pour les années suivantes) qui peuvent encadrer le comportement des entreprises. Voilà un élément important de la réussite des politiques industrielles et d’innovation dans les économies des « tigres » asiatiques et en Israël.
Présentateurs
- Dan Breznitz, codirecteur, Laboratoire de politiques d’innovation, et professeur, Université de Toronto / coresponsable, programme Innovation, équité et avenir de la prospérité, CIFAR
- Jane Gingrich, professeure, Université d’Oxford / membre, programme Innovation, équité et avenir de la prospérité, CIFAR
Lectures complémentaires
Ressources du CIFAR :
Innovation inclusive : la COVID et après (compte-rendu d’événement)
Un « gâteau » économique plus gros, plus savoureux et plus équitable est possible (Nouvelles du CIFAR)
Croissance et équité — pouvons-nous avoir les deux? (Conférence virtuelle du CIFAR)
Autres ressources :
Entretien avec Dan Breznitz (en anglais seulement)
Inadéquation : Éducation universitaire et institutions du marché du travail, par B. Ansell et J. Gingrich (en anglais seulement)
Les États-providence ont besoin d’être renforcés, pas réinventés, par S. Häusermann et J. Gingrich (en anglais seulement)
Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec
Fiona Cunningham
Directrice, innovation
CIFAR
fiona.cunningham@cifar.ca