Contexte
Une stratégie prometteuse pour atténuer les effets des émissions de CO2 sur l’environnement consiste à utiliser la réduction électrochimique pour convertir le CO2 en molécules à haute valeur ajoutée, comme le méthanol et l’éthylène. Ces produits à valeur commerciale pourraient contribuer à assurer la viabilité économique du déploiement de technologies de captage et de conversion du carbone pour compenser les émissions de CO2, tout en réduisant la dépendance à de nouvelles sources d’énergie fossiles pour produire du carburant et des produits pétrochimiques. Toutefois, pour améliorer l’efficacité et la viabilité économique de l’électrolyse du CO2, il faut optimiser encore davantage diverses composantes de l’électrolyseur, y compris les catalyseurs. Des travaux récents menés par des boursiers du CIFAR au sein du programme Énergie solaire bioinspirée illustrent certaines des plus récentes percées dans ce domaine stimulant et soulignent les progrès nécessaires pour mettre au point des systèmes électrolytiques commercialement viables.
Pourquoi est-ce important?
Pour que l’électrolyse du CO2 ait véritablement un impact sur la réduction des émissions et les combustibles neutres ou négatifs en carbone, les systèmes électrolytiques doivent fonctionner à une échelle industrielle. Le défi repose en partie sur la conception d’électrocatalyseurs qui peuvent efficacement réaliser la réaction de réduction avec une sélectivité élevée (de sorte que le produit désiré soit formé de façon préférentielle, par opposition à la formation de produits compétitifs, comme le H2) et avec une forte densité de courant (et donc un taux de réaction élevé). De plus, de nombreux électrocatalyseurs traditionnels sont à base de métaux précieux, comme l’or, l’argent ou le platine, ce qui augmente le coût des réactions de réduction du CO2 (RRCO2). Les travaux résumés dans ce compte-rendu explorent diverses façons d’optimiser les catalyseurs de la RRCO2 et exploitent une variété de techniques de caractérisation in situ et in operando pour mieux comprendre la structure des catalyseurs, ainsi que les réactions chimiques à la surface catalytique. Ces résultats peuvent contribuer à améliorer la conception et l’ajustement des catalyseurs pour que l’électrolyse du CO2 devienne commercialement viable.
Résultats clés
- Pour améliorer l’efficacité, la sélectivité et la stabilité des électrocatalyseurs de la RRCO2, les chercheurs ont mis à l’essai une variété de méthodes pour ajuster la structure et la chimie de ces catalyseurs. Dans un récent article de synthèse publié dans Science Advances, Haotian Wang et ses collègues ont présenté un aperçu de certaines de ces méthodes relativement aux catalyseurs à base de cuivre. Parmi ces stratégies, notons : ajustement du ratio entre le Cu et d’autres métaux (par ex., Au, Ag, Pt et Pd), ainsi que de l’arrangement atomique dans les alliages; changement de l’état d’oxydation des catalyseurs à base de Cu pour créer des sites chargés positivement qui résistent à la réduction; utilisation de nanocristaux de Cu de tailles et de formes différentes (et conséquemment la quantité de « sites bord » réactifs), ou des treillis de Cu dont les pores sont de tailles et de profondeurs différentes pour contrôler la rétention des réactifs et des intermédiaires; ajout de petites molécules, comme des acides aminés, pour stabiliser les intermédiaires réactionnels; et utilisation de défauts dans des structures cristallines de Cu, comme des lacunes et des agents dopants hétéroatomiques, pour moduler la sélectivité de la réaction. De plus amples recherches seront nécessaires pour accroître la stabilité des catalyseurs à base de Cu dans des conditions de réactions aqueuses.
- Pour favoriser la conception rationnelle de catalyseurs, il est essentiel d’avoir une meilleure compréhension des caractéristiques thermodynamiques de la réaction qui se produit au site d’électrocatalyse. Dans une prépublication dans ChemRxiv, Yogesh Surendranath et ses collègues font état d’expériences recourant à une technique appelée spectroscopie infrarouge exaltée de surface in situ (surface-enhanced infrared absorption spectroscopy, SEIRAS) pour analyser l’adsorption du CO — un intermédiaire et un produit important de la RRCO2 — sur les électrodes avec des catalyseurs à base d’Au ou de Cu dans des conditions électrochimiques. L’expérience démontre que sur le plan énergétique, il vaut mieux pour le CO de rester près d’une surface Cu-électrode que d’une surface Au-électrode, car cette première permet la réduction supplémentaire du CO en hydrocarbures (comme le CH4) et en composés oxygénés. Plus important encore, les résultats démontrent que lors de la conception d’électrocatalyseurs pour la RRCO2, il est important de considérer les interactions avec des intermédiaires réactionnels, des solvants et des ions électrolytiques.
- Plutôt que d’essayer d’optimiser des catalyseurs à base de métaux précieux, il est possible d’utiliser des catalyseurs moléculaires peu coûteux — des molécules organiques macrocycliques coordonnées à des métaux de transition abondants sur Terre. Dans un article publié dans Science, Curtis Berlinguette et ses collègues font rapport sur l’utilisation de phtalocyanine de cobalt (CoPc) comme catalyseur pour l’électroréduction du CO2 en CO. À l’aide d’un réacteur à circulation avec une électrode à diffusion de gaz, les chercheurs ont pu obtenir une sélectivité de >98 % et une efficacité faradique de >95 % à une densité de courant allant jusqu’à 150 mA/cm2. De plus, dans une autre étude publiée dans Nature Communications, Berlinguette et certains des mêmes chercheurs ont démontré qu’en ajoutant un ammonium de triméthyle et trois groupes tert-butyle à la molécule de CoPc, ce catalyseur modifié peut contribuer à une réaction sélective et efficace dans une fourchette de pH allant de 4 à 14. En particulier, dans des conditions basiques, le système produit du CO avec une sélectivité de 94 % à une densité de courant de 165 mA/cm2. Le rendement de l’électrolyseur est resté stable pendant plus de 10 h, et en utilisant une variété de techniques de spectroscopie à absorption des rayons X — comme la spectroscopie photoélectrique par rayons X (X-ray photoelectron spectroscopy, XPS), la spectroscopie XANES (X-ray absorption near edge structure) et la spectroscopie EXAFS (extended X-ray absorption fine structure) — les chercheurs ont démontré que les catalyseurs maintenaient leur intégrité chimique et structurelle pendant cette période. Ces deux études démontrent le potentiel des catalyseurs moléculaires pour la RRCO2 à des échelles commerciales et le fait qu’il est possible d’ajuster le rendement de ces catalyseurs de façon rationnelle en apportant des modifications chimiques à leur structure moléculaire.
- Par opposition aux catalyseurs moléculaires immobilisés sur des électrodes inertes, il est possible d’utiliser des catalyseurs moléculaires comme éléments constitutifs de structures cristallines poreuses et étendues appelées cadres réticulaires, comme des cadres métallo-organiques (MOF) et des cadres organiques covalents (COF), pour l’intégration de catalyseurs et d’électrodes qui permettraient une plus grande charge de catalyseurs et, en conséquence, une plus grande densité de courant. Dans un article publié dans le Journal of the American Chemical Society, Peidong Yang et ses collègues font état d’un catalyseur MOF à base de sous-unités CoPc-catéchol (appelé MOF-1992∙[Fe]3) qui manifeste des propriétés de transport d’électrons dans l’ensemble du cadre et dont les sites catalytiques sont hautement accessibles. Les chercheurs ont eu recours à la radiocristallographie pour déterminer la structure cristalline du MOF-1992∙[Fe]3 et à une variété de techniques — y compris la spectroscopie Mössbauer, la spectroscopie ICP-AES (inductively coupled plasma atomic emission spectroscopy) et la spectroscopie photoélectrique par rayons X (XPS) — pour élucider sa formule chimique. Dans le cadre de tests électrochimiques, une cathode MOF-1992 a catalysé la production de CO à une densité de courant partielle de 16,5 mA/cm2 et a maintenu son intégrité structurelle pendant au moins 6 h. Il s’agit du meilleur rendement signalé à ce jour pour des électrocatalyseurs de CO2 à base de cadres réticulaires et cela offre une piste possible pour une optimisation plus poussée.
- Certains chercheurs s’inspirent de catalyseurs de source naturelle — enzymes biologiques — afin d’optimiser d’autant plus les électrocatalyseurs de CO2. Dans un prépublication dans la revue ChemRxiv, Christopher Chang et ses collègues adoptent une telle méthode bioinspirée pour concevoir un nouveau catalyseur à base de tétrapyridyle-Fe dont le fonctionnement est stable en conditions aqueuses. En misant sur des travaux antérieurs sur la conception d’électrocatalyseurs dotés d’un échafaudage de polypyridine multidenté qui offre un réservoir d’électrons et qui stabilise un site actif de métal de transition, les chercheurs ont adopté certains éléments de la monoxyde de carbone déshydrogénase qui catalyse la réaction de fixation réductive du CO2, en plus de l’oxydation du CO. Plus spécifiquement, en ajoutant un fragment d’acide de Lewis (dans ce cas-ci, un groupe éthylamine) à la deuxième sphère de coordination du Fe réactif dans 6-(1,1-di(pyridine-2-yl)éthyle)-2,2’-bipyridine, les auteurs ont créé un électrocatalyseur qui produit sélectivement du CO à partir du CO2 avec une efficacité faradique de 81 % et un rendement stable après 12 h d’électrolyse.
Prochaines étapes
En misant sur les travaux ci-dessus, les chercheurs au sein du programme Énergie solaire bioinspirée ont cerné un certain nombre de questions clés ou d’orientations de recherche qui pourraient donner lieu à de meilleurs catalyseurs de la RRCO2 :
- Continuer à optimiser le rendement de catalyseurs métalliques en modulant leur composition et leur structure;
- Mieux caractériser la compétition entre les intermédiaires réactionnels, les produits, les solvants et les électrolytes afin de concevoir des catalyseurs qui sont optimisés pour les produits de réaction souhaités;
- Mettre à l’essai les catalyseurs dans des cuves à circulation dans des conditions électrochimiques pour obtenir un portrait plus pertinent de leur réactivité et de leur stabilité;
- Optimiser les catalyseurs moléculaires par la modification rationnelle de leur structure chimique, y compris en s’inspirant des enzymes biologiques; et,
- Explorer davantage de façons d’intégrer des catalyseurs moléculaires aux électrodes pour améliorer leur efficacité, y compris l’incorporation dans des cadres réticulaires ou la conjugaison et le couplage électronique à des électrodes de graphite.
Références
Fan L et coll. 2020. Strategies in catalysts and electrolyzer design for electrochemical CO2
reduction toward C2+ products. Sci. Adv. 6:eaay3111.
Jackson M et coll. 2019. Molecular control of heterogeneous electrocatalysis through
graphite conjugation. Acc. Chem. Res. 52:3432-3441.
Matheu R et coll. 2019. Three-dimensional phthalocyanine metal-catecholates for high
electrochemical carbon dioxide reduction. J. Am. Chem. Soc. 141:17081-17085.
Ren S et coll. 2019. Molecular electrocatalysts can mediate fast, selective CO2 reduction in
a flow cell. Science 365:367-369.
Wang M et coll. 2019. CO2 electrochemical catalytic reduction with a highly active cobalt
phthalocyanine. Nat. Commun. 10:3602.
Wuttig A et coll. 2019. Electrolyte competition controls surface binding of CO intermediates
to CO2 Reduction Catalysts. ChemRxiv. Prépublication.
Zee D et coll. 2019. Tuning second coordination sphere interactions in polypyridyl–iron
complexes to achieve selective electrocatalytic reduction of carbon dioxide to carbon
monoxide. ChemRxiv. Prépublication.
Lectures complémentaires
Ressources du CIFAR :
Membranes sélectives d’ions dans l’électrolyse du CO2 (compte-rendu d’événement)
Fabrication de combustibles à l’aide d’eau et de CO2 : Importance de la stabilisation des catalyseurs à base de nickel hautement réactif dans une solution à pH neutre (compte-rendu de recherche)
Conversion solaire du CO2 en CO à l’aide d’électrolyseurs terrestres abondants préparés par la modification de couches atomiques de CuO (compte-rendu de recherche)