Par: Jon Farrow
22 Mar, 2021
À toute heure du jour ou de la nuit, le téléphone de Raffaella Margutti pourrait émettre le doux son d’une notification Slack. C’est l’Univers qui appelle.
Margutti est professeure agrégée d’astronomie à l’Université Northwestern où elle étudie les événements extrêmes qui se produisent à la mort de grosses étoiles. Elle s’intéresse particulièrement aux systèmes rares et exotiques qui se déchirent, libèrent d’énormes salves d’énergie et provoquent des ondulations dans le tissu même de l’espace et du temps. Voilà précisément le type d’événements au cœur du programme Extrême Univers et gravité du CIFAR dont Margutti fait partie depuis 2019.
Ces explosions libèrent suffisamment d’énergie pour éclipser les galaxies, mais elles ne sont que de courte durée. Margutti doit donc agir rapidement si elle souhaite réorienter un télescope pour capter cette explosion sur le vif. Chaque minute compte, car la durée de ces explosions se mesure en minutes ou en heures, et non en milliards d’années, échelle temporelle normale la plupart du temps en astronomie.
Pour être certaine de capter ces événements spectaculaires, Margutti est branchée à un vaste réseau de télescopes terrestres et orbitaux. Ils surveillent les changements dans le ciel nocturne, mais ils ne sont pas suffisamment sensibles pour renseigner Margutti sur la physique des explosions. De plus, il leur arrive souvent d’envoyer des alertes pour des changements ordinaires comme des supernovas communes ou la naissance d’étoiles. Ce que Margutti souhaite étudier plus que tout, ce sont les événements extrêmes qui semblent enfreindre les lois de la physique.
Par conséquent, lorsque l’un de ces télescopes de surveillance la prévient qu’il y a quelque chose de nouveau dans le ciel, elle n’a que peu de temps pour décider de la suite des choses. Si elle prend plus de quelques minutes pour trancher, l’événement pourrait déjà être terminé au moment où le télescope approprié sera prêt à observer ce qui se passe.
La grande majorité des notifications sont erronées. « Je dis à mes étudiants que nous connaîtrons bien des échecs, dit Margutti. Les découvertes n’arrivent pas tous les jours. »
Toutefois, il y a des aiguilles à trouver dans la botte de foin. En 2018, par exemple, Margutti a réorienté un télescope de la NASA appelé NuSTAR pour suivre une étrange explosion stellaire appelée AT2018cow. Cela a permis d’obtenir des données exceptionnelles sur les rayons X qui ont aidé les astronomes à préciser la cause de cette explosion d’une puissance inhabituelle. Ce genre de données sur l’origine des événements extrêmes nous éclaire sur le fonctionnement fondamental de l’Univers.
Réorienter un télescope comme Margutti l’a fait avec NuSTAR a un coût. Les études que réalisait le télescope sont mises en pause. « Même si vous avez le pouvoir d’interrompre le programme d’autres astronomes, il vaut toujours mieux établir un lien personnel, explique Margutti. Il y a un aspect sociologique à ce travail, sinon vous vous faites trop d’ennemis et vous êtes condamnés. »
Selon Margutti, la politique entourant l’interruption du travail d’autres astronomes n’est pas la seule façon par laquelle la dynamique sociale affecte la science. « Comme l’astronomie des phénomènes transitoires est très dynamique, il est extrêmement important de pouvoir laisser sa marque sur un événement [en publiant dans Astronomer’s Telegram], explique Margutti. Si j’observe quelque chose une demi-heure avant quelqu’un d’autre et que j’envoie un télégramme, je peux revendiquer une découverte. Mais suis-je vraiment une meilleure astronome parce que j’ai eu accès à un télescope là où la nuit tombait 30 minutes plus tôt? »
Pour explorer ces questions d’ordre philosophique et sociologique, elle a récemment collaboré avec le chercheur mondial CIFAR-Azrieli Joshua Shepherd, philosophe au sein du programme Cerveau, esprit et conscience du CIFAR, pour animer un atelier multidisciplinaire sur la nature de la découverte. Lors de cet atelier tenu en février 2021, des astronomes, des neuroscientifiques, des philosophes et des physiciens de deux programmes apparemment disparates du CIFAR (Extrême Univers et gravité et Cerveau, esprit et conscience) ont échangé sur le fonctionnement de la découverte et du crédit dans leurs domaines respectifs afin de trouver de meilleurs moyens de récompenser le travail scientifique de qualité.
L’expérience a changé l’opinion que se faisait Margutti de l’interdisciplinarité. « J’ai toujours vu les projets interdisciplinaires avec une certaine dose de scepticisme, dit-elle. Dans cette initiative avec Josh, sur la philosophie, je vois pour la première fois que cela fonctionne. Je suis extrêmement heureuse et surprise. Peu importe ce que fait le CIFAR, il le fait bien. »
Le CIFAR est un organisme de bienfaisance enregistré qui reçoit le soutien des gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que de fondations, de donateurs individuels, d’entreprises et de partenaires canadiens et internationaux.