Par: Kathleen Sandusky
15 Fév, 2023
Alors que le monde est confronté aux effets catastrophiques et persistants d’une pandémie, avec en toile de fond l’intensification des changements climatiques, la multiplication des conflits et l’aggravation des crises humanitaires, il n’a jamais été aussi clair que des progrès scientifiques rapides sont nécessaires pour faire face à la situation mondiale.
Nous ne pouvons pas dire que nous n’étions pas au courant. En 2015, les Nations Unies ont publié le Programme de développement durable à l’horizon 2030, un plan commun constituant « un urgent appel à l’action de tous les pays – développés et en voie de développement – dans le cadre d’un partenariat mondial ». Au cœur de ce programme, les 17 objectifs de développement durable (ODD) répondent à une série de besoins urgents de l’humanité, de l’élimination de la pauvreté à l’égalité entre les sexes, de l’accès à un travail décent à la création de villes et de communautés durables, en passant par un environnement propre, une énergie propre et abordable, et la paix. Les objectifs ont été fondés sur des décennies de contributions de la communauté de recherche, de parties prenantes et de responsables politiques du monde entier.
Sept ans plus tard, à l’approche de la mi-parcours, le rapport d’étape pour 2022 est sombre. Mais il y a quelques lueurs d’espoir, dont plusieurs dans le domaine de la technologie, qu’il s’agisse de l’adoption croissante des technologies numériques et de l’innovation de production, de l’accès étendu à l’information et au partage des connaissances, ainsi que des progrès dans le domaine des énergies propres.
Alors que l’utilisation de l’IA en robotique continue à se propager rapidement dans le monde, les technologies auront des répercussions sur les ODD. Mais, jusqu’à récemment, peu d’études scientifiques ont analysé leurs impacts. De plus, les fréquentes interprétations erronées de la robotique assistée par l’IA – des superflics à la Terminator au cauchemar de l’enfant-robot M3GAN – ont conduit à une mauvaise compréhension de son fonctionnement par les publics du monde entier et ont retardé la mise en place de cadres de gouvernance efficaces par les gouvernements et les responsables.
Il n’y a plus de temps à perdre, dit Vincent Mai, qui termine actuellement son doctorat en robotique et en IA à l’Université de Montréal sous la supervision de Liam Paull, titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR à Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle. Vincent Mai travaille également avec Algora Lab, dirigé par Marc-Antoine Dilhac, titulaire d’une chaire en IA Canada-CIFAR. Cette équipe de recherche interdisciplinaire, qui œuvre à Mila, développe une éthique délibérative de l’IA et de l’innovation numérique, en analysant les aspects sociétaux et politiques de l’IA.
« Comme toute technologie, ces progrès seront à l’origine de grandes choses, mais aussi de mauvaises. Nous devons donc nous attarder à déterminer ce qui nous attend, en identifiant à la fois les possibilités et les risques, et de nous y préparer le mieux possible. »
— Vincent Mai
Pendant son cheminement doctoral, Vincent Mai a également joué un rôle important dans le lancement et la direction de Sustainable Robotics, la toute première communauté universitaire en robotique axée sur la durabilité. Fondé en 2021, le groupe organise des événements, publie des rapports collaboratifs et propose des ressources pour soutenir les spécialistes en robotique.
Dirigé par Vincent Mai, le groupe a organisé un atelier d’une journée regroupant des spécialistes de différentes disciplines pour discuter des possibilités et des risques posés par la robotique dans l’atteinte des ODD. Le rapport a été publié en 2022.
« Ce que nous avons découvert, c’est que la robotique aura certainement un fort impact sur l’atteinte des ODD, déclare Vincent Mai. Mais cet impact sera-t-il positif ou négatif ? C’est plus difficile à dire. Ce qui est clair, c’est que les effets ne seront pas les mêmes pour tous les objectifs. »
Le rapport indique que la robotique pourrait largement contribuer à faire progresser des domaines tels que la santé, la protection des infrastructures et la gestion des catastrophes, la surveillance des écosystèmes, la production et la consommation responsables, et même l’égalité entre les sexes. Toutefois, le rapport souligne que la robotique pourrait entraver les progrès et diminuer les gains en raison de ses répercussions sur l’emploi, de ses impacts sur l’environnement et des préoccupations qu’elle soulève en matière d’éthique, de confidentialité et de sécurité, ainsi que de ses conséquences sur les normes et valeurs sociétales.
« Certaines des avancées les plus prometteuses que permet la robotique seront liées à la surveillance, indique Vincent Mai. Les robots sont excellents pour accomplir des choses sans avoir à se reposer, sans nécessiter beaucoup d’entretien et dans des endroits où il est difficile d’envoyer des humains, comme les profondeurs sous-marines ou les zones sinistrées. Ils peuvent assurer la surveillance continue d’infrastructures vitales comme les barrages et les ponts, ou encore surveiller les cultures d’agriculteurs ou les populations d’espèces menacées. Cela peut contribuer à de meilleures décisions et à de meilleures interventions. »
Parmi les recommandations du rapport figure la nécessité d’enseigner les ODD aux chercheurs et chercheuses en IA, et d’apprendre les réalités de l’IA et de la robotique aux responsables politiques mondiaux et au grand public. « En ayant des modèles différents et en essayant d’atteindre des objectifs différents, les communautés de la robotique et du développement durable n’interagissent pas toujours bien, note le rapport. Il faut donc multiplier les ateliers et d’autres initiatives pour rapprocher ces communautés. »
Selon Vincent Mai, une chose est sûre : l’utilisation de l’IA en robotique continuera à progresser et aura une incidence sur le succès ou l’échec de l’humanité à atteindre les ODD. « Je pense que nous devons cesser de nous demander si ces technologies sont globalement bonnes ou mauvaises, déclare le chercheur. Comme toute technologie, ces progrès seront à l’origine de grandes choses, mais aussi de mauvaises. Nous devons donc nous attarder à déterminer ce qui nous attend, en identifiant à la fois les possibilités et les risques, et de nous y préparer le mieux possible. Ces effets sont plus difficiles à gérer lorsqu’ils se produisent déjà. Nous n’avons aucune excuse pour ne pas être prêts. »