Par: Justine Brooks
25 Juil, 2023
En raison du taux croissant de l’immigration mondiale et de l’augmentation du nombre de réfugiés fuyant les catastrophes climatiques et les conflits politiques, l’intégration des migrants devient un défi de plus en plus pressant pour les pays du monde entier. Dans le dernier rapport annuel de la Banque mondiale, un chapitre explique pourquoi la migration, malgré ses avantages économiques, se heurte encore à des résistances politiques et sociales.
Dans le cadre du programme Frontières, groupes et appartenance du CIFAR, Irene Bloemraad, Victoria Esses, Will Kymlicka et Yang-Yang Zhou ont été invités à revoir le chapitre et à examiner les défis qui entravent l’intégration des migrants à l’échelle mondiale.
« Nous avons la chance que le responsable de notre comité consultatif, l’économiste Biju Rao, travaille à la Banque mondiale et puisse nous mettre en contact avec l’équipe chargée du rapport », explique Bloemraad, coresponsable du programme. « Cette équipe souhaitait au départ savoir si la “distance culturelle” de certains migrants par rapport au pays d’accueil ralentissait l’intégration ou minait l’inclusion sociale. Nous estimions que ce n’était pas le bon cadre. »
Grâce à l’interdisciplinarité du programme Frontières, groupes et appartenance, les membres ont pu apporter des perspectives inédites et diverses, explique-t-elle, « en s’inspirant non seulement de l’économie, mais aussi de la sociologie, de la science politique, de la psychologie sociale et même de la philosophie ».
L’équipe de la Banque mondiale a reconnu la valeur de ce travail et, après avoir fourni des commentaires substantiels sur le chapitre, l’équipe du CIFAR a été invitée à rédiger un document d’information exposant sa compréhension particulière de la question.
La perception d’un groupe de migrants comme culturellement proche ou culturellement éloigné n’est pas le produit de différences objectives, expliquent les quatre scientifiques dans leur article, mais plutôt le résultat d’un processus complexe d’établissement de limites en fonction de l’histoire, de la politique et des institutions sociales.
« Il y aura toujours des différences culturelles si on y regarde de plus près. Et il y aura toujours des similitudes si on y regarde de plus près », déclare Yang-Yang Zhou, membre du programme des chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli. « Mais pourquoi cette limite particulière, à cette époque et à ce moment de l’histoire, est-elle la limite qui compte? »
Elle explique que ces limites ne sont pas objectives; elles évoluent dans le temps et l’espace et sont souvent motivées par des considérations politiques. Le groupe cite l’exemple du rapprochement des protestants et des catholiques blancs aux États-Unis entre le début et le milieu du siècle dernier, alors que les Noirs américains se mobilisaient pour revendiquer l’égalité. Ce clivage religieux, auparavant considéré comme une distance culturelle radicale, a été écarté pour défendre le privilège blanc. Par conséquent, la race a remplacé la religion en tant que marqueur de distance culturelle.
« S’il n’est pas pertinent d’aborder l’intégration des immigrants comme un problème de distance culturelle, il est tout aussi faux d’affirmer qu’une bonne intégration ne peut se faire que par l’assimilation culturelle », explique Bloemraad. Dans un tel contexte, les scientifiques ont présenté une série de modèles d’intégration qui favorisent la préservation des cultures et l’adaptation culturelle. Alors que les interventions se concentrent souvent sur des interactions interpersonnelles à petite échelle – comme encourager les membres de différents groupes à faire du sport ensemble – les quatre scientifiques soulignent que des interventions institutionnelles sont aussi nécessaires et peuvent avoir des effets plus importants.
L’une de ces méthodes est la citoyenneté. « Pour une bonne intégration, il faut que les personnes nées au pays en arrivent à considérer les immigrants comme des citoyens, et pas seulement comme des “invités” ou des “visiteurs”. Ils sont plutôt considérés comme des personnes qui ont le droit d’être ici, le droit de s’exprimer, le droit de faire bouger la société », explique Will Kymlicka, coresponsable du programme.
Bloemraad ajoute que la citoyenneté a une importance non seulement tangible, mais aussi symbolique. « Au-delà des droits légaux qui peuvent accompagner la citoyenneté – comme la possibilité de voter aux élections et de s’exprimer sur les politiques – la citoyenneté inclusive envoie un message puissant d’appartenance et d’inclusion. Il s’agit là d’une base beaucoup plus positive pour l’intégration. »
Les quatre scientifiques espèrent que leur article et les recherches dans le domaine permettront de mieux comprendre la question et de lancer des discussions plus approfondies avec des personnes en position de pouvoir, explique Zhou. « J’espère que le fait de réaliser que quelque chose d’aussi simple que la distance culturelle n’est pas une réalité objective donnera à réfléchir aux responsables politiques lorsqu’ils créeront des institutions, des organisations et des politiques différentes. »