Les technologies de réalité virtuelle (RV) en plein essor tirent parti des systèmes visuels et auditifs du cerveau et des interactions cerveau-corps pour plonger les utilisateurs dans des environnements virtuels. Cependant, il existe un potentiel considérable et inexploité d’interfécondation transformative au cœur des expériences de RV, des neurotechnologies et de la recherche de pointe sur le cerveau. Ce potentiel peut être exploité par le recours à la recherche en neurosciences pour favoriser une plus grande immersion en RV, par l’utilisation de la RV en recherche pour faire avancer notre compréhension du cerveau et de l’esprit et par l’emploi de la RV en clinique dans le but d’améliorer l’état de santé.
Les 22 et 23 mai 2019, le CIFAR a organisé une table ronde pour les boursiers du programme Cerveau, esprit et conscience Azrieli qui, aux côtés de chefs de file mondiaux dans le domaine de la RV, ont exploré comment stimuler le développement de réalités plus immersives ainsi que favoriser une meilleure compréhension du cerveau humain. Parmi les principales constatations et les prochaines étapes qui sont ressorties des discussions, on retrouve l’importance de l’information non visuelle (p. ex. : auditive, haptique et sociale) dans les expériences immersives de RV, l’occasion et le besoin créés par la RV de mieux comprendre comment les humains font la distinction entre expériences réelles et simulations, ainsi que les effets d’une utilisation prolongée de la RV sur la santé et le développement des enfants. Les participants ont également soulevé d’importantes questions éthiques liées à la protection de la vie privée et à la propriété des données, ainsi qu’exploré comment le milieu universitaire et l’industrie pourraient améliorer la collaboration par un meilleur partage des données. Cette table ronde s’est appuyée sur les conversations amorcées dans le cadre du panel du CIFAR L’avenir de la réalité virtuelle (RV) : Neurosciences et développement fondé sur les biocapteurs à la Game Developers Conference de 2018, et ouvrira la voie à d’autres possibilités d’échange et de collaboration entre chercheurs, créateurs de contenu et développeurs de technologies.
Parties prenantes cibles
- Chercheurs en neurosciences cognitives et comportementales, en éthique et droit, ainsi qu’en santé mentale
- Praticiens en réadaptation et en santé mentale intéressés par l’utilisation de la RV pour les traitements
- Développeurs d’outils de neuro-imagerie et de surveillance ainsi que de technologies de réalité virtuelle, augmentée et mixte
- Concepteurs, ingénieurs, créateurs de contenu et conseillers juridiques dans l’industrie des jeux vidéo et du cinéma
Résultats clés
- La RV permet aux chercheurs d’étudier plus facilement des scénarios de la vie courante en créant une expérience plus immersive et plus naturaliste que les techniques de laboratoire traditionnelles, tout en leur permettant de maintenir un certain contrôle. Cependant, comme les conséquences des simulations de RV ne sont pas les mêmes que dans la vraie vie, les chercheurs doivent être prudents dans la façon dont ils interprètent les résultats de ces expériences.
- L’un des modèles de perception suggère que notre cerveau est une « machine à prédire » qui traite l’information « de haut en bas », utilisant les expériences passées pour faire des inférences relativement aux signaux qu’il reçoit. Ainsi, avec les intrants sensoriels appropriés, les humains peuvent être amenés à percevoir une simulation comme étant réelle. L’amélioration de la compréhension neuroscientifique dans ce domaine peut contribuer au développement de la RV, par exemple en déterminant les paramètres les plus importants pour créer une expérience de RV immersive ou des personnages animés réalistes qui ne tombent pas dans la « vallée dérangeante ». Parallèlement, en créant des simulations qui permettent aux chercheurs de manipuler les apports sensoriels provenant de l’environnement ou les conséquences des actions, les outils de RV pourraient faciliter l’étude de la perception de la réalité par les humains.
- L’information visuelle et auditive aide à stimuler l’engagement émotionnel dans le cadre d’une expérience de RV. Cependant, notre réalité perçue peut être rehaussée en superposant d’autres rétroactions comme l’haptique (sensation de toucher physique) et même des apports passifs comme la fréquence cardiaque, le mouvement des yeux et la respiration. Le recours à l’intégration multisensorielle pour créer des expériences de RV plus immersives et inclusives (p. ex., pour les utilisateurs handicapés) constitue un champ actif de recherche.
- Alors que la RV est généralement axée sur l’expérience individuelle, les humains sont intrinsèquement de nature sociale – vivre un phénomène avec d’autres personnes et se mouvoir en synchronie se traduisent par une confiance et une coopération accrues. Cette synchronie des mouvements du corps et des ondes cérébrales peut être façonnée par le rythme et le groove de la musique. Ainsi, la compréhension des aspects auditifs et moteurs non verbaux des interactions sociales peut être utile pour créer de meilleures expériences de RV et pour explorer comment la RV peut intégrer un élément partagé ou multi-utilisateur.
- La RV a déjà fait l’objet d’une utilisation importante en milieu clinique, que ce soit comme outil d’évaluation cognitive, de traitement ou de réadaptation pour diverses affections (y compris le trouble de stress post-traumatique et les AVC), ou encore comme outil de formation des médecins et des chirurgiens (p. ex. : pour la formation préopératoire ou lors de scénarios d’erreurs forcées). Cependant, on se demande toujours si les outils de RV sont meilleurs que les pratiques médicales alternatives.
- Les développeurs en RV explorent comment rendre le contrôle et la saisie aussi intuitifs que possible pour les utilisateurs, que ce soit au moyen de contrôleurs portables ou de nouvelles possibilités, comme l’oculométrie. En parallèle, les progrès des outils d’interface esprit-machine (comme l’électroencéphalographie et l’électromyographie) ainsi que le développement de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique (qui permettent de « décoder » les données neurologiques saisies) ouvrent de nouvelles voies en ce qui a trait à la lecture de la pensée ou au contrôle par la pensée. Il reste des défis à relever pour que ces méthodes dites de « neurocontrôle » parviennent à une résolution (p. ex. : saisir un signal provenant d’une région précise du cerveau ou d’une unité motrice) et à une différenciation (p. ex. : faire la distinction entre une action délibérée ou consciente et une action non intentionnelle ou subconsciente) suffisantes.
Priorités et prochaines étapes
- Un meilleur rapprochement entre les milieux de la RV et de la recherche peut stimuler la création d’initiatives synergiques. Pour ce faire, il faudrait accroître les connaissances des développeurs en RV et des créateurs de contenu relativement aux concepts pertinents des sciences neurologique et cognitive, comme la perception, la métacognition et l’agentivité. Il faudrait aussi favoriser une meilleure compréhension, parmi les chercheurs, de ce qui est faisable du point de vue technologique en matière de RV.
- Les appareils de réalité virtuelle, augmentée et mixte sont des outils de mesure qui génèrent de grandes quantités de données comportementales et neurologiques, tant en mode d’essai par le secteur industriel que lors de leur utilisation par les consommateurs. Afin de faire progresser la science, le secteur industriel et le milieu universitaire devraient collaborer pour trouver des moyens d’améliorer l’accès des chercheurs à ces données tout en protégeant la vie privée des utilisateurs et en veillant au respect de l’éthique en matière de recherche. Parmi les solutions envisageables, les sociétés de RV pourraient envisager d’ajouter des paramètres pour créer à la fois des versions universitaires et grand public de leurs jeux.
- Il est nécessaire d’approfondir la recherche sur la façon dont l’utilisation de la RV peut avoir une incidence négative sur le développement du cerveau de l’enfant, à la fois pour comprendre comment son emploi dans les programmes éducatifs pourrait être bénéfique et comment un usage excessif pourrait s’avérer nuisible, particulièrement lorsque l’enfant commence à se familiariser avec la réalité. De manière plus générale, on ne sait pas encore très bien comment la conception des expériences de RV pourrait façonner le comportement social des utilisateurs.
- L’amélioration des outils de lecture et de saisie des pensées, qui ouvrent la porte à un contrôle plus intuitif et moins laborieux de la part des utilisateurs, soulève également des enjeux en matière de protection des renseignements personnels et de propriété des données. Ces enjeux devront être abordés dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire entre neuroscientifiques, concepteurs technologiques, spécialistes en éthique, sociologues et juristes, entre autres. Il pourrait se révéler instructif d’examiner comment d’autres domaines, comme l’intelligence artificielle ou la génomique, se penchent sur les implications éthiques découlant de leurs recherches et de leurs applications (p. ex. : en créant des communautés de parties prenantes et d’utilisateurs qui contrôlent leurs propres données).
Participants à la table ronde
- Kent Bye, Balado Voices of VR
- Craig Chapman, Université de l’Alberta / CIFAR
- Ryan Chapman, Motive.io
- Brea Chouinard, Université de l’Alberta
- Chad Dezern, Insomniac Games
- Noah Falstein, MindMaze / The Inspiracy
- Walter Greenleaf, Université Stanford / MindMaze
- Peter King, Samsung
- Sid Kouider, École normale supérieure / CNRS / CIFAR
- Nick LaMartina, Electronic Arts
- David Menon, Université de Cambridge / CIFAR
- Holly Nguyen, Facebook
- Aniruddh Patel, Université Tufts / CIFAR
- Brian Pene, Autodesk
- Yelena Rachitsky, Facebook / Oculus
- Brian Schwab, Magic Leap
- Anil Seth, Université du Sussex / CIFAR
- Omer Shapira, NVIDIA
- Laurel Trainor, Université McMaster / CIFAR
- Timoni West, Unity
- Dan Wetmore, CTRL-Labs
- Joel Zylberberg, Université York / CIFAR
Lectures complémentaires
Un panel à la Game Developers Conference 2018 – L’avenir de la réalité virtuelle (RV) : Neuroscience et développement fondé sur les biocapteurs (compte rendu d’événement)
Ouvrir les portes (virtuelles) de la perception (résumé de recherche)
L’intelligence artificielle est-elle maintenant douée de conscience? Pas encore. (résumé de recherche)
La femme aveugle qui peut voir les émotions (nouvelle sur une récente recherche du laboratoire de Melvyn Goodale, codirecteur du programme Cerveau, esprit et conscience Azrieli)
Pour de plus amples renseignements, communiquez avec : Amy Cook, Directrice principale, Mobilisation du savoir.