REACH 2025: Une nouvelle ère dans la conception des bâtiments
Par Mark Witten
Illustrations par Alex Antonescu
Hors des sentiers battus : Une collaboration improbable entre des spécialistes du microbiome et des architectes permet de repenser la conception des bâtiments pour favoriser la santé humaine.

Les êtres humains passent en moyenne 90 % de leur vie à l’intérieur, selon l’Enquête nationale sur les profils d’activité humaine (NHAPS). Par conséquent, les environnements bâtis peuvent considérablement influencer et façonner notre microbiome – les microorganismes qui nous habitent – pour le meilleur ou pour le pire.
Connaissant cet impact profond, des scientifiques travaillent au croisement de la santé humaine et de l’architecture pour explorer comment concevoir des lieux plus sains. C’est le cas de Thomas Bosch, membre du programme Microbiome humain du CIFAR.
En 2019, lors d’un congé sabbatique à Berlin, Bosch a compris l’importance d’un changement de paradigme dans son travail lorsqu’il a fait la connaissance des architectes Mark Wigley et Beatriz Colomina de l’Université Columbia.
« Nous avons passé près d’un an ensemble à parler de la façon dont les bâtiments modernes et les environnements urbains ont contribué à une diminution importante de la diversité microbienne, indispensable à la santé humaine; cette baisse a commencé vers 1950 et s’est progressivement aggravée », explique Bosch, professeur à l’Université de Kiel et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire, Kiel Life Science, en Allemagne.
« Je me suis beaucoup intéressé à la manière dont les architectes et les concepteurs réfléchissent à la perte de diversité dans les microbiomes et aux maladies humaines, ainsi qu’à leur vision des différentes façons dont l’architecture pourrait contribuer à la restauration ou à la préservation de la diversité microbienne. »
Comme l’explique Wigley, l’architecture du XXe siècle – qui correspond en gros à l’architecture de notre époque – est profondément antibiotique dans son approche. Ces environnements stériles ont contribué à des résultats négatifs sur la santé et à la crise actuelle des maladies chroniques liées au mode de vie.
« Il y a une relation très étroite entre les bâtiments et la biologie humaine. En tant qu’architectes, nous considérons les bâtiments comme un moyen pour les humains de partager les microorganismes », explique Wigley, professeur d’architecture et doyen émérite de l’École supérieure d’architecture, de planification et de conservation de l’Université Columbia à New York.
Ces conversations novatrices à Berlin sur les relations entre les bâtiments modernes et le microbiome humain ont suscité un projet multidisciplinaire, soutenu par des fonds Catalyseur du CIFAR. Ce projet a donné lieu à un article de perspective publié dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), en avril 2024.
Cet article influent et collaboratif propose une nouvelle dimension de la recherche sur le microbiome et un changement radical dans la conception des villes et des bâtiments qui appelle à une architecture respectueuse du microbiome, en vue d’améliorer la santé humaine en exposant les personnes à leur environnement microbien, plutôt qu’en les protégeant de celui-ci. Cet article est riche des contributions de plus de 20 scientifiques du monde entier, membres du programme Microbiome humain du CIFAR, et de spécialistes de premier plan en architecture, Wigley, Colomina et Forrest Meggers.
Le document avance que l’appauvrissement du microbiome dans les bâtiments constitue un facteur environnemental important qui a accéléré l’incidence des maladies chroniques comme le diabète, l’asthme, la cardiopathie, l’inflammation chronique de l’intestin, la sclérose en plaques, le reflux œsophagien, la neurodermite, les maladies neurodégénératives, les allergies alimentaires et l’augmentation des cancers multiples à un plus jeune âge.
« Les êtres humains sont des métaorganismes qui ont évolué avec les microorganismes en tant qu’unité fonctionnelle au fil de millions d’années, et nous connaissons leur importance pour la santé humaine, explique Bosch. Notre santé et notre forme physique dépendent de la présence d’un groupe riche et diversifié de microorganismes bénéfiques qui colonisent nos tissus, nos intestins, notre peau et notre cavité buccale. Lorsque nous les supprimons ou les éliminons et que nous leur rendons la vie difficile dans des environnements bâtis hostiles et antimicrobiens, les êtres humains tombent malades. »
Bosch et ses collègues voient dans l’environnement bâti contemporain un coupable peu étudié et méconnu, qui accroît notre susceptibilité à de multiples maladies par la perturbation de la relation évolutive normale et saine entre le corps humain et les microorganismes.
« Les personnes en milieu urbain vivent et travaillent principalement dans des environnements intérieurs fermés, très secs, sans apport d’air extérieur, et conçus pour empêcher l’entrée des microorganismes avec des matériaux comme les plafonds et les peintures traités contre les microorganismes », explique Bosch.
« Mais au regard de notre nouvelle réflexion sur le métaorganisme, cette approche architecturale ultra-hygiénique empêche les êtres humains de profiter des microorganismes bénéfiques et, pire encore, elle accumule, enrichit et sélectionne les microorganismes indésirables dans ces bâtiments. Il s’agit des bactéries multirésistantes, les vraies méchantes, prévient-il. Il faut améliorer la perméabilité de l’architecture, ce qui permettrait un échange plus important de microorganismes bénéfiques dans les bâtiments pour soutenir et maintenir la santé et la condition physique des êtres humains, plutôt que de permettre aux seuls microorganismes nocifs de survivre et de prospérer. »
Selon les scientifiques, il conviendrait de concevoir l’architecture de demain pour favoriser une meilleure santé et garantir la survie et l’épanouissement d’un microbiome complexe et diversifié.
« Le manifeste publié dans la revue PNAS, rédigé en collaboration avec les spécialistes du microbiome humain, soutient qu’il faut changer la stratégie architecturale moderne dominante, qui sépare les êtres humains du sol, des plantes et de la plupart des autres espèces », explique Wigley.
Wigley suggère que la nouvelle ère de la conception des bâtiments devrait inclure la gestion d’un éventail plus diversifié de microorganismes dans l’environnement bâti, ce qui permettrait aux bâtiments d’être ouverts sur le monde extérieur et de renouer avec les plantes, le sol et d’autres espèces. Le système immunitaire humain pourrait servir de modèle : il ne se contente pas d’exclure les agents pathogènes ennemis de l’organisme, mais incorpore des mélanges particuliers de microorganismes afin de maintenir un équilibre sain et sûr.
Bosch constate des signes prometteurs à l’effet que certaines villes s’orientent vers une architecture probiotique – un réensauvagement de l’intérieur des bâtiments et des paysages urbains. « Singapour, par exemple, qui se résume à un environnement urbain, est une ville verte. La conception de cette ville moderne cherche à rétablir la nature, un réensauvagement où l’on trouve des bâtiments verts avec des plantes sur les toits et des plantes partout, et des sols libres où les enfants peuvent jouer », explique-t-il, notant que les villes du nord de l’Europe, comme Oslo, se réensauvagent également. « Lorsque l’on se promène à Oslo, on trouve de nombreuses zones avec toutes sortes de plantes et de fleurs sauvages, plutôt que des surfaces scellées, comme le béton. »
Depuis la publication de l’article dans la revue PNAS, Bosch et ses collègues ont été invités à diffuser plus largement leurs idées dans des publications comme The Microbiologist et Cradle, une revue allemande d’architecture. De plus, Wigley et Colomina ont organisé une exposition d’architecture, intitulée We the bacteria: towards biotic architecture, qui s’est ouverte à Milan en mai 2025.
Grâce à la collaboration de plus de 20 membres du CIFAR à l’article publié dans la revue PNAS, ce projet a aussi favorisé l’avancement des travaux du programme Microbiome humain. En misant sur l’intérêt initial du programme pour le microbiome et l’environnement, ces développements ont suscité l’émergence d’un mouvement plus large au sein du programme dont l’objectif est de mieux comprendre l’impact éventuel du microbiome bâti sur la définition de l’avenir de la santé humaine.
« Thomas a le don de rapprocher les gens, comme il l’a fait en nous présentant ses collègues spécialistes du microbiome au CIFAR, déclare Wigley. C’était formidable de voir comment ce groupe de personnes issues de sous-domaines très différents, souvent sans aucun lien, a pu rédiger ensemble un article riche d’autant de perspectives différentes. »
Melissa Melby, membre du programme Microbiome humain et collaboratrice à la rédaction de l’article, a apporté sa perspective particulière d’anthropologue biologique et médicale, enrichie de plus de 20 ans de recherche au Japon.
« Je m’intéresse particulièrement à l’architecture japonaise et à la façon dont elle intègre la nature, ce qui favorise probablement les échanges microbiens », explique Melby, professeure au département d’anthropologie de l’Université du Delaware. « Ce projet interdisciplinaire intégrateur a permis à beaucoup d’entre nous, spécialistes du microbiome, de prendre du recul et de poser des questions auxquelles les scientifiques n’avaient pas vraiment réfléchi auparavant et d’envisager de nouvelles voies pour concevoir et créer des bâtiments et des environnements urbains plus sains où les gens passent le gros de leur temps. »
Grâce à cette riche collaboration interdisciplinaire, il a été établi que le microbiome de l’environnement bâti est un facteur environnemental ayant un impact et une incidence considérables sur la santé humaine.
« Une cohorte très moderne d’architectes et de concepteurs suit actuellement une formation pour que l’urbanisme et la conception de nouveaux bâtiments s’harmonisent mieux avec notre idée au sujet de la nécessité d’améliorer l’accessibilité des environnements intérieurs et leur perméabilité avec l’extérieur grâce à des fenêtres ouvertes et à des matériaux de construction perméables, explique Bosch. J’espère que la prochaine génération d’architectes percevra différemment l’importance de ces microorganismes bénéfiques pour la santé humaine. »

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