Par: Cynthia Macdonald
11 Juil, 2018
On comprend facilement l’intérêt suscité par la cryptomonnaie, comme le bitcoin. La transaction financière entre l’acheteur et le vendeur s’effectue rapidement et le recours à un intermédiaire, comme une banque, est inutile. De plus, le bitcoin est accepté dans le monde entier et sa valeur n’est pas assujettie à la manipulation gouvernementale, comme le sont les devises nationales.
Toutefois, sans les freins et contrepoids offerts, disons, par une banque, on se demande si nos bitcoins sont en sécurité.
Pour le moment, la réponse est oui. Les bitcoins sont actuellement protégés par le système des chaînes de blocs – un grand livre numérique où chaque transaction est enregistrée et visible à travers un vaste réseau d’ordinateurs personnels. Les dossiers sont entreposés dans une série de « blocs » en ordre chronologique. Tout changement dans un bloc donné est marqué d’une empreinte numérique; si les dossiers sont modifiés pour avantager illicitement une partie, tout le réseau en prend connaissance immédiatement.
La cryptographie qui protège les transactions dans la chaîne de blocs est d’une telle complexité mathématique qu’on la juge actuellement à l’abri du piratage, même par un superordinateur. Toutefois, il en va tout autrement pour ce qui est des ordinateurs quantiques.
Dans un ordinateur classique, une unité d’information s’appelle bit et prend la valeur 0 ou 1. Toutefois, le bit quantique – appelé qubit – peut exister en deux états à la fois : il pourrait prendre la valeur 0 ou 1 simultanément, un phénomène appelé superposition. Conséquemment, l’augmentation considérable de la capacité informationnelle d’un ordinateur quantique accroîtra aussi sa puissance de calcul.
« Dès l’avènement des ordinateurs quantiques, les cryptomonnaies ne vaudront plus rien », dit Alexander Lvovsky (Université de Calgary), Boursier au sein du programme Informatique quantique du CIFAR. Mais quand les ordinateurs quantiques deviendront-ils réalité?
« Si vous m’aviez posé la question il y a deux ans, j’aurais dit que cet ordinateur appartient à un avenir lointain », dit Lvovsky. « Mais depuis, d’importants développements ont vu le jour. » Google, Microsoft et IBM ont réalisé des investissements fructueux et puis il y a D-Wave (une entreprise de la Colombie-Britannique qui a produit un prototype d’ordinateur quantique). Lvovsky croit encore que « nous sommes bien loin » d’un ordinateur apte à détruire les systèmes de chiffrement qui protègent actuellement non seulement le bitcoin, mais aussi le gros de nos finances conventionnelles.
Le problème c’est que personne ne sait à quoi ressemble cet horizon temporel. Voilà pourquoi Lvovsky et d’autres ont cherché à protéger les chaînes de blocs des ordinateurs quantiques avant même que ceux-ci ne voient le jour. En ayant recours au principe appelé distribution quantique de clés (DQC), Lvovsky et une équipe du Centre quantique russe de Moscou ont trouvé une solution préliminaire au problème.
Dans la DQC, deux parties (disons, un acheteur et un vendeur) génèrent une clé secrète sur un canal quantique protégé. Ensuite, ils utilisent cette clé pour que leur information demeure chiffrée tout en communiquant sur un canal public ou transparent.
La DQC en soi ne date pas d’hier. Elle a été créée en 1984 par deux boursiers du CIFAR, Gilles Brassard et Charles Bennett. Depuis, d’autres physiciens (comme Thomas Jennewein, Boursier du CIFAR) ont mis au point de nouveaux protocoles fondés sur celui conçu par Brassard et Bennett en vue de protéger non seulement de l’information financière, mais aussi d’autres renseignements hautement sensibles.
Comme le dit Lvovsky, « les ordinateurs quantiques sont comme une épée, mais la communication quantique est un bouclier ». Toutefois, nous n’avons pas encore utilisé la communication quantique pour protéger le système des chaînes de blocs.
Il est intéressant de noter que Lvovsky et son équipe ont collaboré avec Gazprombank, l’une des plus grandes institutions financières russes, pour mettre à l’essai leurs recherches. Bien que le bitcoin soit souvent vu comme une devise « anti-banque », sa nature numérique est tout comme celle d’autres devises.
Conséquemment, « les banques et la technologie quantique représentent un partenariat naturel », dit Lvovsky. « De nos jours, une banque est essentiellement une entreprise de technologie de l’information, et la sécurité de l’information est un atout déterminant de sa réussite. En Russie, on comprend bien ce principe. »
Lvovsky souligne que d’autres pays devraient emboîter le pas et que les travaux de son équipe ne représentent qu’une étape dans l’atteinte de cet objectif. « Notre protocole présume que chaque nœud du réseau de chaînes de blocs est en lien avec tous les autres par l’entremise de liens directs avec la DQC. À l’heure actuelle, le coût de cette technologie est exorbitant. De plus, que se passe-t-il si certains nœuds tentent de tricher? L’algorithme que nous utilisons finira par détecter et neutraliser les tricheurs, mais il faudra une quantité phénoménale de communications quantiques si la fraction des tricheurs est élevée. Je crois donc que notre article constitue avant tout un avertissement pour la communauté scientifique, plutôt qu’une solution finale. Il s’agit d’un problème d’importance et nous devons travailler ensemble pour mettre au point une solution pratique. »
« C’est un enjeu d’ordre macroéconomique, n’est-ce pas? » ajoute-t-il. « Une bonne part de la recherche quantique ne suscite de l’intérêt qu’en physique et est digne d’attention sur le plan intellectuel, mais la menace quantique qui pèse sur la sécurité de la cryptomonnaie nous touchera tous, et très bientôt. Il nous faut examiner cet enjeu. »