Par: Liz Do
30 Juin, 2022
John Mustard, coresponsable du programme Terre 4D : Science et exploration du sous-sol, souhaitait au départ suivre les traces du célèbre océanographe Jacques Cousteau.
« Je me destinais à la biologie marine. J’ai vite compris que ce n’était pas la voie à suivre pour moi », explique-t-il. Après une formation classique en géologie, il se demandait ce qu’il allait faire après son diplôme quand une annonce de programme d’études supérieures en sciences planétaires a attiré son attention. Il n’a jamais regretté son choix.
Trente ans plus tard, il est professeur à l’Université Brown et étudie la composition de la croûte terrestre et le rôle de l’eau sur Mars et sur la Lune. Investi dans l’exploration de Mars depuis 1989, Mustard cherche à résoudre des questions apparemment impossibles, telles que : sommes-nous seuls?
Dans le cadre d’un entretien avec le CIFAR, John Mustard parle de ses projets actuels et de l’avenir passionnant de l’exploration de Mars.
CIFAR : Qu’avez-vous surmonté dans vos recherches qui vous semblait autrefois impossible?
John Mustard : Barbara Sherwood Lollar, coresponsable du programme Terre 4D, et moi avons tissé des liens très forts à la suite d’une de ses présentations à laquelle j’ai assisté. Elle parlait de recherches publiées sur les possibilités qu’offrent les ceintures de roches vertes du Canada, où l’on exploite beaucoup de mines, pour produire de l’hydrogène. Elle a montré que ces anciennes roches vertes produisaient suffisamment d’hydrogène sous terre pour entretenir une grande quantité d’êtres vivants souterrains — des écosystèmes souterrains équivalents au plancher océanique de la Terre.
Je me suis dit que c’était remarquable, car ce sont les mêmes roches qui existent sur Mars. Cela veut dire qu’il est tout à fait possible que Mars produise suffisamment d’hydrogène pour faire vivre tout un écosystème souterrain. Nous avons commencé nos recherches à partir de là et, six ans plus tard, nous avons publié un certain nombre d’articles à ce sujet.
Nous savons que la vie sur Mars serait un exercice bien difficile. La surface de Mars est toxique à cause de la radiation et de la pression atmosphérique égale à un centième de la pression terrestre; il n’y a pas d’eau, il fait froid et il ne fait jamais chaud. Que la vie ait pu naître à la surface de Mars et que tout ce qui y vit puisse prospérer semble donc un concept très éloigné. Mais la présence des bons ingrédients pour produire un écosystème souterrain sain constitue une grande découverte.
CIFAR : À quels projets travaillez-vous actuellement?
John Mustard : Il y a des bandes d’absorption dans le spectre de la surface de la Lune qui sont attribuables à l’eau. De l’eau sur la Lune! Quel concept! Mais aucun instrument spatial ne couvre cette gamme de longueurs d’onde avec la bande d’absorption fondamentale.
Je collabore avec un ancien étudiant diplômé et nous sommes en train de concevoir un instrument scientifique qui pourrait être embarqué dans un vaisseau spatial pour détecter l’eau [dans ces bandes d’absorption]. Il s’agit d’un long processus, et nous sommes en train de définir les spécifications. Nous travaillerons ensuite avec le Jet Propulsion Lab de Pasadena, en Californie, un centre de la NASA voué à l’exploration spatiale robotique. Ce travail prendra quelques années, mais nous allons bien nous amuser.
Un autre de mes projets les plus importants se fait avec le CIFAR. Je travaille en étroite collaboration avec mes collègues du programme Terre 4D pour établir une architecture tridimensionnelle des planètes. Il importe au bout du compte de comprendre l’intérieur. Si nous parvenons à comprendre cette architecture tridimensionnelle, nous pourrons découvrir quels organismes souterrains prospéraient en produisant l’hydrogène nécessaire dans leur ceinture de roches vertes.
CIFAR : Si vous envisagez les dix prochaines années, quelles sont les choses qui vous enthousiasment à propos des possibilités de vos travaux?
John Mustard : Eh bien, le spectromètre compact dont nous parlons pourrait véritablement révolutionner notre compréhension de la composition de la Lune, et étonnamment, de Mercure.
CIFAR : Comment?
John Mustard : Cela pourrait révolutionner la façon dont nous étudions la Lune, car il sera possible, pour la première fois, de détecter et de quantifier les teneurs en fer et en magnésium des minéraux lithogénétiques que l’on doit connaître pour démêler les théories concurrentes sur l’origine et l’évolution de la Lune. Quant à Mercure, le spectromètre compact permettra de détecter des minéraux qui, à ce jour, n’ont pu être détectés par l’éventail existant d’instruments de télédétection.
CIFAR : Qu’est-ce qui vous enthousiasme dans l’avenir de votre domaine?
Au cours des dix prochaines années, la Lune deviendra un lieu d’exploration très actif. Elle suscite beaucoup d’intérêt à l’échelle internationale, puisque six nations (Japon, Corée du Sud, Russie, Inde, Émirats arabes unis et États-Unis) ont l’intention d’envoyer quelque chose sur la Lune. La NASA sera la première à renvoyer des humains sur la Lune. Parallèlement, les parties prenantes auront besoin d’outils et d’instruments et nous croyons qu’elles voudront embarquer les nôtres.
CIFAR : L’établissement d’une colonie sur Mars tient-il autant de la science-fiction qu’il n’y paraît?
John Mustard : Il y a des jours où je pense que c’est inévitable, car la motivation et le dynamisme à cet égard ne ressemblent à rien de ce que j’ai connu au fil de ma carrière. Dans une dynamique commerciale, il pourrait y avoir des possibilités.
Je suis allé à l’usine de fusées de SpaceX et j’ai parlé à certains employés des projets à venir. Je sais que c’est très sérieux. Une autre société, Blue Origin, suit probablement de très près. Cela stimule la créativité des ingénieurs pour réaliser quelque chose de remarquable.
Je donne un cours intitulé Mars, Lune et Terre. L’une des choses dont nous parlons est de savoir s’il est bon de commercialiser l’espace. William Shatner est allé dans l’espace la dernière fois que j’ai donné le cours et nous avons suivi l’événement en classe. Au sortir de la capsule, Shatner était tout simplement sans voix. Mais il a ensuite réussi à exprimer ce qu’il ressentait et ce qu’il voyait. Ce fut l’une des communications les plus intéressantes que j’aie jamais entendues de la part de quelqu’un qui venait d’aller dans l’espace. Comme cette réaction vient d’un acteur — quelqu’un avec qui on s’identifie un peu plus, par opposition à un astronaute —, cela illustre avec force là où nous sommes rendus.
Je n’ai aucun doute quant à l’accélération de la commercialisation. Mais je pense qu’il faudra attendre longtemps avant de voir des missions humaines sur Mars. Nous aurons besoin de la technologie nécessaire pour assurer une présence durable, que ce soit sur la Lune ou sur Mars.
CIFAR : Alors que nous célébrons les 40 ans du CIFAR, vous avez un lien particulier et familial avec les origines de cette organisation. Votre père en était le président fondateur. Quel a été le rôle de l’organisation dans votre carrière en recherche? Que voulez-vous que les gens sachent à propos du CIFAR?
John Mustard : Comme j’ai cinq frères et sœurs, les repas à table pouvaient être très animés. Et quand mon père nous racontait sa journée — wow —, il parlait de toutes ces idées qui émanaient du CIFAR à l’époque. Il était très enthousiaste. Il parlait de robotique, par exemple, ce qui était très loin de ses recherches sur les plaquettes (Fraser menait des recherches sur la maladie cardiaque et le développement de la petite enfance). Mais vous pouviez voir à quel point cela lui insufflait de l’énergie et du dynamisme.
L’essence même du CIFAR est d’embrasser les idées sans retenue et de préparer le terrain pour que des choses remarquables puissent se concrétiser. Cela ne pourrait pas se faire sans les efforts incroyables des membres du CIFAR et de sa direction. L’expérience qu’a vécue mon père m’a permis de comprendre ce que la direction du CIFAR fait pour maintenir le navire en marche, pour s’attaquer à ces importantes questions de financement, afin que nous puissions nous vouer à la recherche scientifique.
Dans le cadre de la célébration du 40e anniversaire du CIFAR, « Croire en l’impossible : L’avenir de… » présente des scientifiques dont les grandes idées pourraient transformer leur domaine au cours des 40 prochaines années.