Table ronde du CIFAR sur les stratégies quantiques mondiales
Par: Johnny Kung
13 Déc, 2021
13 décembre 2021
Dans la foulée de la publicationUne révolution quantique : Rapport sur les politiques mondiales en matière de technologies quantiques, le CIFAR a organisé le 18 octobre 2021 une table ronde virtuelle internationale qui réunissait des décideurs et des administrateurs de la recherche quantique de sept pays du monde entier, ainsi que de l’Union européenne. Grâce à des discussions dirigées, les participants à la table ronde ont partagé les perspectives et les expériences de leur pays respectif. Ils ont abordé les différentes mesures stratégiques mises en place pour soutenir la recherche quantique et promouvoir un écosystème industriel quantique, les lacunes des systèmes actuels ou des leviers politiques, les mesures de réussite et les processus susceptibles d’encourager les pratiques exemplaires, ainsi que la manière dont les pays mobilisent leurs citoyens et se préparent à l’impact sociétal des technologies quantiques. Ce compte-rendu met en évidence et résume certains des principaux résultats de la conversation.
Coordination des initiatives de R et D en matière quantique dans le cadre d’une stratégie nationale
Pour établir une stratégie quantique nationale, il faut favoriser la collaboration entre de nombreuses parties prenantes et concilier leurs intérêts respectifs, notamment les différents organismes gouvernementaux centraux/fédéraux, les gouvernements régionaux, les secteurs (par exemple, le milieu universitaire et l’industrie) et les chercheurs au sein des universités et des centres de recherche existants — des joueurs souvent plus habitués à travailler en silos. Une première étape pour instaurer la confiance et encourager la coopération peut consister à réunir toutes les parties prenantes afin de déterminer leurs forces, les lacunes à combler, les étapes de la chaîne d’approvisionnement technologique susceptibles d’être réalisées à l’échelle nationale et les domaines où une stratégie nationale peut apporter une valeur ajoutée. Trouver des objectifs communs peut faciliter l’adhésion.
Le financement peut se révéler un outil puissant pour inciter les parties prenantes à collaborer, en particulier s’il y a une injection délibérée de nouveaux fonds permettant aux parties prenantes de voir que le financement existant n’est pas perdu ou simplement remplacé.
Il peut aussi s’avérer utile d’obtenir l’aide de certains penseurs clés dans le domaine, que la communauté est plus susceptible d’écouter, pour mobiliser la communauté au sens large et diriger certains projets, même avant la mise en œuvre de la feuille de route d’une stratégie éventuelle.
La distance compte — il peut être plus facile de favoriser la confiance et la collaboration dans les écosystèmes locaux ou régionaux. Tirer parti des grappes ou des réseaux existants peut faciliter la création de telles entités à l’échelle nationale ou internationale.
Soutien à un écosystème industriel quantique
Par comparaison avec d’autres domaines d’innovation de pointe, les technologies quantiques font l’objet d’investissements importants de la part des secteurs privé et public. Le regroupement de diverses parties prenantes du milieu universitaire, de l’industrie (y compris les fournisseurs, les développeurs de logiciels et de matériel, et les utilisateurs finaux) et d’organismes gouvernementaux au sein d’une espèce de consortium ou de forum peut leur permettre d’apprendre les uns des autres et de mettre à profit ce que chacun fait.
Certaines petites entreprises locales peuvent craindre d’être supplantées par de grandes multinationales, même si elles pourraient aussi tirer avantage (par exemple, un meilleur accès au marché) d’une collaboration avec ces dernières. Les discussions sur les technologies habilitantes, les normes, les paramètres et les politiques en matière de brevets pourraient contribuer à mobiliser les entreprises de toutes tailles. Par ailleurs, le forum des parties prenantes peut contribuer à mettre en valeur les petites entreprises et accroître leur visibilité. En parallèle, il convient de noter qu’au sein des grandes entreprises technologiques, le domaine quantique est souvent dirigé par de plus petites équipes, de jeunes pousses, et le consortium peut donc aussi contribuer à donner une voix à ces équipes.
Un consortium de parties prenantes peut aussi jouer le rôle de « voix de la raison », en diffusant des renseignements crédibles et en atténuant un éventuel battage médiatique sur l’état et les promesses des technologies quantiques.
La technologie quantique a d’importantes répercussions sur la sécurité nationale et l’économie, créant une note discordante avec la philosophie générale d’ouverture de la recherche scientifique qu’il ne faudrait pas ignorer (par exemple, les gouvernements pourraient avoir à faire un usage judicieux des contrôles à l’exportation).
Les dirigeants du secteur doivent définir aussi clairement que possible les cas potentiels d’utilisation des technologies quantiques (au-delà du simple décodage des clés de chiffrement); la réalisation de ces objectifs requiert des investissements non seulement dans le matériel quantique, mais aussi dans les algorithmes. Pour accélérer les progrès vers la résolution de certains types de problèmes ou d’applications, les gouvernements peuvent aider en lançant des défis concrets qui orienteraient l’industrie.
L’accroissement de la diversité de la main-d’œuvre quantique relativement à des paramètres démographiques, comme le sexe, mais aussi en matière de spécialisation et de disciplinarité (le secteur n’aura pas seulement besoin de physiciens, mais aussi de personnes issues de nombreux autres domaines) constitue un défi permanent. Les gouvernements et l’industrie doivent commencer à créer un vivier de talents en s’associant avec des éducateurs et d’autres organisations afin que les jeunes, dès l’école secondaire, issus de toutes catégories démographiques et manifestant des intérêts différents, se voient dans cette industrie. Il est peut-être encore possible pour le secteur quantique d’éviter de répéter l’histoire de l’industrie plus large des technologies de l’information, où une participation initialement plus élevée de populations diverses (en particulier les femmes) a finalement été évincée par une culture « geek ».
Mesure de l’incidence des investissements publics
Étant donné qu’on présente souvent les stratégies quantiques nationales comme une façon de faire sortir la technologie du laboratoire pour qu’elle profite aux gens, les gouvernements et les contribuables évalueront très certainement le succès des stratégies en fonction du nombre d’emplois créés ou de la valeur économique ajoutée. Parmi les autres indicateurs clés, mentionnons le nombre de nouvelles jeunes entreprises, la proportion des investissements de l’industrie par rapport aux investissements publics, les activités en matière de capital-risque et les brevets déposés.
Cependant, en plus du financement axé sur la technologie, il est important pour les gouvernements de ne pas affamer le vivier de talents universitaires — « la science d’aujourd’hui est la technologie de demain ». Si les gouvernements souhaitent, à juste titre, accroître la commercialisation des résultats de recherche de leurs universités, trop se concentrer sur un aspect pourrait nuire à l’autre. Parmi les indicateurs importants dans ce domaine, mentionnons le nombre d’étudiants de troisième cycle et de stagiaires formés, ainsi que les mesures favorisant le dynamisme scientifique comme la production de publications de recherche dans le domaine quantique et leur impact en qui concerne les citations.
À ce stade de développement du domaine, de nombreux fondateurs de jeunes entreprises quantiques sont des universitaires qui conservent des liens avec leur établissement d’origine. Par conséquent, il est trop tôt pour connaître l’impact de la mobilité des personnes entre le milieu universitaire, l’industrie et les laboratoires gouvernementaux. Soulignons que de nombreux laboratoires industriels sont aussi d’excellents établissements de recherche.
En ce qui concerne les stratégies nationales axées sur plusieurs domaines technologiques, il importe pour les gouvernements d’insister sur la distinction entre l’informatique quantique et la technologie quantique au sens large, qui comprend d’autres domaines, notamment la communication quantique et la détection quantique qui peuvent avoir des applications plus immédiates.
Au fil de l’évolution des technologies quantiques et de leurs applications, il pourrait aussi être utile de mesurer la pénétration de la dimension quantique dans d’autres domaines.
Mobilisation des citoyens autour des répercussions éthiques et sociales des technologies quantiques
Comme les technologies quantiques se trouvent encore à un stade de développement relativement précoce, il est toujours possible d’avoir de vastes conversations sur leurs répercussions sociétales, occasion manquée avec d’autres technologies comme l’intelligence artificielle.
Parmi les actions concrètes possibles dans ce domaine, mentionnons le financement de la recherche sur des questions éthiques et sociales clés relatives aux technologies quantiques (par exemple, la conception fondée sur les valeurs, la communication scientifique et des questions d’ordre juridique telles que les risques, la protection des renseignements personnels et la nécessité de lignes directrices), l’élaboration d’outils d’évaluation d’impact avec l’industrie et la tenue de consultations publiques précoces et fréquentes.
Les consultations et les débats publics ne procurent pas nécessairement aux chercheurs ou aux régulateurs des réponses définitives sur les questions éthiques et sociétales, mais peuvent mettre en évidence des sujets qui préoccupent particulièrement le public.
Il vaut mieux placer la conversation sociétale au début, plutôt qu’à la fin, des discussions sur la technologie. En ce qui concerne la génération montante de chercheurs en début de carrière, ces conversations font de plus en plus partie de l’éthique du domaine. Un certain nombre d’organisations internationales comme le Forum économique mondial s’intéressent aussi de plus en plus à ces conversations, et différents pays et parties prenantes peuvent participer à certaines de ces initiatives internationales en cours.
Si les chercheurs et les développeurs du domaine des technologies quantiques affirment que ces technologies « révolutionneront » certains domaines d’application (par exemple, la cybersécurité), ils devront participer au débat éthique et sociétal dans le domaine en question, et ne pas simplement dire que cela ne les concerne pas parce que les technologies quantiques ne sont que des technologies habilitantes.
Participants à la table ronde et observateurs
Liam Blackwell, directeur des technologies quantiques, Conseil de recherches en génie et en sciences physiques (EPSRC), Royaume-Uni
Mark Daley, vice-président, recherche, CIFAR (animateur)
Anke Davis, coresponsable des technologies quantiques, EPSRC, Royaume-Uni
Gustav Kalbe, responsable de l’Unité de calcul de haute performance et de technologies quantiques et directeur adjoint de la direction C, Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies, Commission européenne
Hajime Kato, secrétariat du Cabinet, Japon
Peter Knight, chercheur principal à l’Imperial College de Londres; président du Conseil consultatif stratégique, Programme national de technologies quantiques, Royaume-Uni
Brianna Knowles, agente principale des politiques, bureau de la scientifique en chef, Australie
Marie-Hélène Légaré, directrice générale, politiques scientifiques, Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE)
Kendal Makgamathe, relations avec les parties prenantes externes, bureau du vice-chancelier, Université de Witwatersrand, Afrique du Sud
Ulrich Mans, responsable des partenariats stratégiques, Quantum Delta NL, Pays-Bas
Esha Matthew, agente du service extérieur, département d’État des États-Unis
Celia Merzbacher, directrice générale, Consortium pour le développement économique de l’industrie quantique (QED-C), États-Unis
Yasunobu Nakamura, professeur, Université de Tokyo; directeur, Centre RIKEN d’informatique quantique; chef du projet sur l’informatique quantique supraconductrice du Q-LEAP Flagship Program, ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie (MEXT), Japon
Michael Rosenblatt, directeur, Secrétariat de la stratégie quantique nationale, ISDE, Canada
Gary Slater, professeur, Université d’Ottawa; chercheur en résidence, bureau de la conseillère scientifique en chef, Canada
Charles Tahan, directeur, bureau national de coordination quantique (NQCO), et directeur adjoint pour l’informatique quantique, bureau de la politique scientifique et technologique (OSTP) de la Maison-Blanche, États-Unis
Zeblon Vilakazi, vice-chancelier et directeur de l’Université de Witwatersrand; ancien président du groupe de travail national sur l’informatique quantique et les technologies quantiques, ministère des Sciences et de l’Innovation, Afrique du Sud
Joseph Westwood, gestionnaire principal de portefeuille pour les technologies quantiques, EPSRC, Royaume-Uni
Shinichi Yorozu, directeur adjoint, Centre RIKEN d’informatique quantique, Japon
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