Les 31 août et 1er septembre derniers, le CIFAR a organisé une table ronde virtuelle qui a réuni des membres du programme Règne fongique du CIFAR et du Consortium des laboratoires de diagnostic fongique (FDLC), ainsi que d’autres experts internationaux du milieu universitaire, de la médecine clinique et de l’industrie. L’objectif de la réunion était de discuter des possibilités d’accélérer les progrès en matière de diagnostic afin d’atténuer la menace croissante que posent les infections fongiques pour la santé et de faire progresser les connaissances scientifiques sur le règne fongique. Grâce à de brèves présentations et à une discussion dirigée, cette table ronde a passé en revue les besoins actuels en matière d’amélioration du diagnostic des maladies fongiques, les approches existantes et prometteuses quant aux épreuves diagnostiques, et des propositions de collaboration multicentrique pour promouvoir le développement d’outils diagnostiques. Cette table ronde constitue le point de départ de conversations et de collaborations intersectorielles soutenues destinées à stimuler l’innovation technologique et à contribuer à la recherche fondamentale.
Parties prenantes cibles
- Chercheurs universitaires, cliniques et sectoriels qui étudient les maladies fongiques
- Laboratoires de diagnostic cliniques et gouvernementaux responsables des soins aux patients et de la surveillance de la santé publique
- Entreprises biomédicales et biotechnologiques qui conçoivent de nouveaux outils pour le diagnostic des maladies fongiques
- Fondations sans but lucratif et décideurs gouvernementaux qui interviennent dans le financement de la science et les politiques de santé publique
- Organismes gouvernementaux de réglementation responsables de la surveillance et de l’approbation des appareils médicaux, y compris les épreuves diagnostiques
Résultats clés
- Il existe un besoin croissant d’outils de diagnostic des maladies fongiques. Un certain nombre de facteurs contribuent à l’augmentation de l’incidence et du fardeau des maladies fongiques invasives ou mycoses, notamment les changements climatiques (qui pourraient contribuer à l’augmentation de l’incidence de la coccidioïdomycose, ou fièvre de la vallée) et le nombre croissant de personnes ayant un système immunitaire compromis ou déprimé (par exemple, en raison du traitement de maladies et d’affections comme le cancer, le VIH/sida et les transplantations d’organes, ou de l’amélioration de la survie avec ces troubles). Les maladies fongiques sont également fréquentes en tant que comorbidités d’autres maladies comme l’aspergillose, une infection à moisissures des poumons de patients atteints de la COVID-19, ou à la suite d’une dysbiose (perturbation des communautés microbiennes d’une personne) liée à l’utilisation d’antibiotiques.
- Les souches multirésistantes de la levure Candida auris constituent un important agent pathogène fongique émergent et une grande menace nosocomiale.
- Parmi les autres infections requérant de meilleurs outils diagnostiques, mentionnons la cryptococcose, la mucormycose et la pneumocystose.
- Pour établir un traitement médical adéquat, il est important de poser un diagnostic précoce et précis, mais le diagnostic des maladies fongiques est souvent complexe sur le plan intellectuel et technique. De plus, comme beaucoup de maladies fongiques sont rares, les entreprises médicales et biotechnologiques accordent moins d’intérêt à la conception d’outils diagnostiques que pour les maladies virales et bactériennes. En raison de cette rareté, il est également plus difficile d’avoir assez de cas en clinique pour mener des essais cliniques statistiquement significatifs. Par ailleurs, comme il y a de nombreuses maladies fongiques pour lesquelles il n’existe pas de bons outils diagnostiques, la prévalence réelle de ces maladies pourrait être sous-estimée, ce qui en retour découragerait les investissements.
- Les principaux éléments à considérer pour les nouveaux outils diagnostiques sont la sensibilité, la spécificité, la complexité (qui influence le coût et la nécessité de formation) et la rapidité. Hormis dans les milieux à faibles ressources, les épreuves diagnostiques ne doivent pas nécessairement se faire seulement au point de service (auquel cas les épreuves n’ont pas besoin d’être envoyées à un laboratoire aux fins de traitement), mais le délai d’exécution doit être suffisamment rapide (de l’ordre de quelques heures) pour minimiser l’utilisation de traitements inadéquats par les cliniciens. L’incidence relativement rare des mycoses individuelles devrait aussi réduire le recours au regroupement des prélèvements qui consiste à recueillir plusieurs prélèvements pour effectuer une seule analyse.
- De plus, les épreuves diagnostiques devront fonctionner avec une grande diversité de matrices de prélèvement (le type de matériel prélevé chez les patients comme le sérum sanguin, le plasma, l’urine, les extraits tissulaires, les aspirations des voies respiratoires, le liquide céphalorachidien, etc.) qui peuvent toutes affecter le rendement des épreuves de façon différente.
- Au nombre des méthodes diagnostiques figurent les immuno-essais qui permettent de détecter des antigènes fongiques spécifiques (comme des protéines, des métabolites ou d’autres composants cellulaires) à l’aide d’anticorps produits dans des modèles animaux tels que les souris, ainsi que les épreuves moléculaires qui utilisent des techniques comme l’amplification en chaîne par polymérase (PCR) ou le séquençage génétique pour détecter les acides nucléiques fongiques (ADN ou ARN). Une autre forme de diagnostic moléculaire, utilisant une technique appelée spectrométrie de masse à temps de vol selon la technique de désorption-ionisation laser assistée par matrice (MALDI-TOF MS), fonctionne en détectant des motifs spécifiques ou « spectres de masse » obtenus à partir de l’ensemble du milieu biomoléculaire d’un spécimen.
- En plus de détecter la présence de types particuliers d’organismes fongiques pathogènes, les diagnostics moléculaires basés sur les acides nucléiques pourraient permettre d’obtenir des données supplémentaires comme des marqueurs génétiques particuliers (par exemple, pour déterminer si l’organisme fongique est résistant à certains antifongiques) ou des niveaux d’expression génique (qui pourraient fournir des renseignements sur le comportement de l’organisme fongique). Par le multiplexage des ensembles de sondes utilisés dans une seule épreuve, les diagnostics moléculaires pourraient aussi être déployés en tant qu’épreuves « universelles » pour de nombreux agents pathogènes fongiques, bactériens et autres.
Priorités et prochaines étapes
- Actuellement, comme de nombreux laboratoires mettent au point leurs propres épreuves, il est difficile de les normaliser ou de les faire passer au stade du développement commercial et de l’approbation réglementaire. Les collaborations multicentriques en phase alpha, réalisées par un réseau de laboratoires de recherche et de diagnostic et de partenaires industriels, pourraient éventuellement recruter suffisamment de patients et recueillir assez de prélèvements pour faciliter la mise au point d’épreuves.
- Afin de mettre au point de nouvelles épreuves, il faut des prélèvements pour la validation et la vérification. Cependant, comme les infections fongiques sont rares et souvent détectées à la fin du processus diagnostique, une fois les prélèvements déjà épuisés ou jetés, il peut s’avérer difficile d’avoir suffisamment de prélèvements fongiques pour la mise au point d’épreuves. Une biobanque commune pourrait être créée pour recueillir les prélèvements et les métadonnées de plusieurs laboratoires partenaires et les rendre rapidement et facilement disponibles au besoin.
- Outre les biobanques, une plateforme d’évaluation des outils en réseau qui mobilise plusieurs centres, mais ne nécessite pas la collecte centralisée de prélèvements pourrait aussi faciliter la mise au point d’épreuves. La participation de laboratoires à travers l’Amérique du Nord, et peut-être même le monde entier, permettrait d’accéder à un plus grand nombre de cas (y compris dans des endroits qui ne sont pas des « points chauds »), de tenir compte des différences régionales dans la population de patients et le type d’agents pathogènes, et de permettre une évaluation plus rapide du rendement des épreuves. Le fait de confier à une seule entité la gestion de tous les contrats du réseau pourrait aussi faciliter et encourager la participation de l’industrie.
- Voici des questions clés à aborder pour une collaboration réussie :
- Sur quelles maladies la collaboration devrait-elle se concentrer? Quels seraient les prélèvements et les métadonnées nécessaires, et quels sont les défis en matière d’entreposage et de logistique?
- Qui paiera — les gouvernements (comme les Instituts nationaux de santé [NIH] aux États-Unis), les fondations sans but lucratif (comme la Fondation Gates) ou l’industrie?
- Qu’est-ce qui inciterait les entreprises concurrentes à collaborer (et à payer)?
- Les petits centres participeront-ils, même si leurs dépenses et leur charge de travail risquent d’augmenter?
- Quels sont les obstacles juridiques, éthiques, institutionnels et en matière de confidentialité associés au partage de prélèvements et de données entre différents centres — à l’échelle nationale et internationale?
- Quels sont les mécanismes de soutien dont bénéficieraient les cliniciens dans les divers centres, par exemple pour coordonner la collecte et l’expédition des prélèvements, vu le faible volume de cas éventuels par centre?
- À quel stade de développement des collaborations multicentriques devrait-on faire appel à des organismes de réglementation comme Santé Canada ou le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA)?
- Quelles leçons peut-on tirer d’initiatives existantes telles que l’Aspergillus Technology Consortium (AsTeC), soutenu par les NIH, ou l’Institut Pasteur-FungiBank en France?
- Les initiatives visant à accélérer le développement d’outils diagnostiques pour les maladies fongiques pourraient éventuellement mettre à profit les réseaux de collaboration existants, tels que ceux qui examinent la résistance aux antimicrobiens, ou l’intérêt accru pour les mesures centralisées ou collaboratives de préparation aux pandémies à la suite de la COVID-19.
- Comme les animaux de compagnie, les animaux d’élevage et les animaux sauvages contractent un certain nombre d’infections fongiques similaires à celles des humains, les laboratoires cliniques pourraient aussi songer à renforcer leur collaboration avec les laboratoires vétérinaires.
Participants à la table ronde
- David AuCoin, professeur et directeur, Université du Nevada, Reno
- Esther Babady, directrice, service de microbiologie clinique, Memorial Sloan Kettering Cancer Center / coprésidente, FDLC
- Joan-Miquel Balada-Llasat, directeur, immunologie, et professeur, Centre médical Wexner de l’Université d’état de l’Ohio / membre, FDLC
- Sean Bauman, président et chef de la direction, IMMY
- Amrita Bharat, chercheuse scientifique et responsable de la section de mycologie et de résistance antimicrobienne entérique moléculaire, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada / membre, FDLC
- David Blehert, responsable, Direction des sciences de laboratoire, Centre national de santé de la faune, Commission géologique des États-Unis (USGS) / membre, programme Règne fongique, CIFAR
- Leah Cowen, professeure, titulaire de la chaire de recherche du Canada en génomique microbienne et maladie infectieuse, et vice-présidente associée, recherche, Université de Toronto / coresponsable, programme Règne fongique, CIFAR
- Christina Cuomo, directrice associée, Centre génomique pour les maladies infectieuses, responsable principale de groupe, Groupe de génomique fongique, et scientifique de l’Institut, Institut Broad du MIT et de Harvard / membre, programme Règne fongique, CIFAR
- David Denning, professeur, Université de Manchester / spécialiste-conseil, programme Règne fongique, CIFAR
- Tanis Dingle, microbiologiste clinique, Alberta Precision Laboratories, et professeure adjointe, Université de l’Alberta / membre, FDLC
- Philippe Dufresne, responsable du secteur Mycologie, Laboratoire de santé publique du Québec / membre, FDLC
- Sherry Dunbar, directrice principale, Affaires scientifiques mondiales, Luminex
- Iuliana Ene, professeure adjointe, Institut Pasteur / membre du programme des chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli, programme Règne fongique, CIFAR
- Malcolm Finkelman, directeur, développement clinique, Associates of Cape Cod, Inc.
- Aleeza Gerstein, professeure adjointe, Université du Manitoba / membre du programme des chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli, programme Règne fongique, CIFAR
- Heather Glasgow, microbiologiste clinique et professeure adjointe, Hôpital de recherche pour enfants St. Jude / membre, FDLC
- Thomas Grys, directeur, Laboratoire de microbiologie clinique, et professeur agrégé, Clinique Mayo / membre, FDLC
- Amanda Harrington, directrice, Laboratoire de microbiologie clinique, et professeure agrégée, Centre médical universitaire Loyola / membre, FDLC
- Joseph Heitman, professeur et directeur, École de médecine de l’Université Duke / coresponsable, programme Règne fongique, CIFAR
- Jennifer Johnson, directrice, microbiologie clinique, et professeure, Centre médical de l’Université du Maryland / membre, FDLC
- Bruce Klein, professeur, Université du Wisconsin à Madison / membre, programme Règne fongique, CIFAR
- Thomas Kozel, professeur, Université du Nevada, Reno
- Julianne Kus, microbiologiste clinique, Laboratoire de Santé publique Ontario / membre, FDLC
- Paige Larkin, directrice, microbiologie moléculaire, NorthShore University HealthSystem / membre, FDLC
- Shawn Lockhart, conseiller clinique principal de laboratoire, Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) / coprésident, FDLC
- Paul Luethy, directeur associé, Laboratoire de microbiologie clinique, et professeur adjoint, Centre médical de l’Université du Maryland / membre, FDLC
- Isabella Martin, directrice médicale, Laboratoire de microbiologie clinique, et professeure adjointe, Centre médical Dartmouth-Hitchcock / membre, FDLC
- Kaede Ota-Sullivan, professeure, Université Temple / membre, FDLC
- Preeti Pancholi, directrice, microbiologie clinique, et professeure, Centre médical Wexner de l’Université d’état de l’Ohio / membre, FDLC
- John Perfect, chef, division des maladies infectieuses, et professeur, École de médecine de l’Université Duke / membre, FDLC
- Amir Seyedmousavi, directeur, diagnostic mycologique, et scientifique principal, Centre clinique des Instituts nationaux de santé (NIH) / membre, FDLC
- Rebecca Shapiro, professeure adjointe, Université de Guelph / membre du programme des chercheurs mondiaux CIFAR-Azrieli, programme Règne fongique, CIFAR
- Don Sheppard, directeur, Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill, et professeur, Université McGill / membre, programme Règne fongique, CIFAR
- Leal Sixto, directeur, microbiologie clinique, Laboratoire de référence fongique, et professeur adjoint, Université de l’Alabama à Birmingham / membre, FDLC
- Michelle Tabb, scientifique en chef, DiaSorin Molecular
- Paschalis Vergidis, professeur adjoint, Clinique Mayo / membre, FDLC
- Nathan Wiederhold, directeur, Laboratoire d’épreuves fongiques, et professeur agrégé, Centre des sciences de la santé de l’Université du Texas à San Antonio / membre, FDLC
- Sean Zhang, directeur, Laboratoire de mycologie clinique, École de médecine Johns Hopkins / coprésident, FDLC
Lectures complémentaires
Ressources du CIFAR :
Les organismes fongiques pourraient constituer la prochaine grande menace (nouvelles du CIFAR)
Lutte contre une « superlevure » mondiale (nouvelles du CIFAR)
Quelle est la prochaine grande menace? (conférence virtuelle du CIFAR)
Autres ressources :
Menaces que pose le règne fongique pour l’être humain, la faune et l’agriculture, par Matthew Fisher et coll. (en anglais)
Reconnaissance des lacunes dans le diagnostic des maladies fongiques en laboratoire : Avis d’experts du Consortium des laboratoires de diagnostic fongique, par Sean Zhang et coll. (en anglais)
Diagnostic moléculaire en mycologie médicale, par Brian Wickes et Nathan Wiederhold (en anglais)
Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec :
Hillary Connolly
Agente principale, mobilisation du savoir; Responsable, santé et société
CIFAR
hillary.connolly@cifar.ca